Pour le brillant chorégraphe montréalais Frédérick Gravel, l’art contemporain est multiple : il signe les chorégraphies des spectacles de Pierre Lapointe (2008; 2017), fait des incursions au théâtre aux côtés d’Étienne Lepage (Ainsi parlait… en 2013, Logique du pire en 2016) et compose régulièrement une partie du contenu musical de ses spectacles. Après avoir conçu et interprété le duo intimiste This Duet That We’ve Already Done (so many times) avec Brianna Lombardo (2015), le créateur montréalais a eu envie de relever d’autres défis et de s’essayer aux grands plateaux avec neuf danseurs et deux musiciens. Le résultat : Some hope for the bastards, qui prendra l’affiche deux soirs, à l’Usine C, les 29 et 30 novembre, après avoir été trop brièvement présenté dans le cadre de la dernière édition du Festival TransAmériques.
Le duo que Frédérick Gravel a conçu et interprété en 2015 l’a amené à danser plus qu’il ne le fait d’habitude et il a eu envie de faire passer cette danse retrouvée par plusieurs corps, tout en revenant à sa forme de prédilection, celle du concert. Si l’éclectique chorégraphe a toujours prêché une égalité entre les façons de s’exprimer, la musique était d’abord pour lui à la fois un élément hautement théâtral et une stratégie dramatique. Pour Some hope for the bastards, il souhaitait que la musique soit plus assumée, plus complexe, qu’elle aille plus loin. « Il y a dans ce spectacle, dit-il, une écriture globale et rythmique en phase et en symbiose avec la danse; l’écriture est musicale et il y a des chansons, dont certaines sont de moi. » Some hope for the bastards est certainement un spectacle plus linéaire que les précédents, moins abstrait aussi puisque les chansons contiennent des mots : « Il y a plus de signifiant et cela me sort de mon système habituel de vignettes et de tableaux un peu abstraits : au lieu d’avoir une quinzaine de sketches, j’ai une bulle plus construite et même s’il y a des ruptures, on reste dans cette bulle. »
Dans Some hope for the bastards, les interprètes sont en plein concert et l’assument, ils ne déconnectent pas à tout moment. Cela donne un spectacle à la fois essoufflant et satisfaisant pour le public même si le travail sur la danse est parfois inconfortable, reprend Frédérick Gravel. L’interprète chorégraphe poursuit : « Les danseurs sont extrêmement sollicités, ils subissent beaucoup dans le cadre du spectacle, mais ce malaise est nécessaire pour que la charge monte et soit effective. » Gravel tient à souligner cette évolution pour que les spectateurs ne soient pas déçus de ne pas retrouver les tableaux courts et punchés desquels il est coutumier. « Oui, il y a de l’action et nous dansons pour de vrai, mais ce qui tient l’écriture ensemble, c’est la tension que j’ai travaillée avec les danseurs. »
Une heure et demie d’art contemporain
La distribution est toujours cruciale, mais elle l’a été particulièrement dans le contexte de ce spectacle puisque Gravel a passé une très grosse commande au bassiste et réalisateur Philippe Brault (Pierre Lapointe, Random Recipe, Dear Criminals, Hôtel Morphée, Émile Proulx-Cloutier, la liste est longue). Le batteur José Major, avec qui Philippe Brault travaille régulièrement, s’est joint au projet. Avec le ton d’un enfant réjoui, le chorégraphe québécois lance : « Je suis heureux qu’ils aient tous deux accepté d’être dans le spectacle… Et de m’accepter dans leur band ! » Avec les danseurs, Frédérick Gravel a des exigences, des désirs, des expériences. Une grosse partie du travail a été d’apprendre à se comprendre, à communiquer. Le chorégraphe ne tarit pas d’éloges envers ses interprètes et leur degré de concentration : « Ils doivent disparaître doucement pour ensuite réapparaître et moduler leur présence pour être visibles ou être perçus comme moins importants tout au long du spectacle. » La tension est très vive entre les neuf danseurs, ils doivent avoir une compréhension dramaturgique très fine pour qu’il n’y ait pas surenchère et qu’ils ne se battent pas pour l’attention du public ou, comme le dit Gravel, la présence. Il explique : « Il y a toujours quelqu’un, il y a toujours une préoccupation, le spectacle regorge de stratégies pour que l’écriture chorégraphique génère une charge qui essouffle et décoiffe le public. »
« Some hope for the bastards, avec ses neuf danseurs et ses deux musiciens, demande des salles pleines, c’est une question d’échelle de spectacle », analyse Gravel, toujours généreux d’explications. À petit spectacle, petite salle et petit budget de mise en marché; à production de taille moyenne, salle moyenne et budget moyen. Une distribution aussi conséquente que celle de Some hope for the bastards commande donc de jouer dans de grandes salles, ce qui influe sur d’autres paramètres de la création. « C’est intéressant, ça relance le processus créatif et te garde sur la pointe des pieds parce que le public est une science inexacte ! » Le Montréalais aime opérer de cette façon, avoir à s’adapter rapidement le stimule. « J’ai plus de danseurs, la forme est plus écrite, le plateau plus grand, le public plus loin de l’action… tout cela bouscule ma façon de créer, mais j’ai senti que j’aurais ce potentiel et que le pétrin dans lequel j’allais me mettre serait intéressant », commente le sympathique chorégraphe. L’exercice lui permettra en effet de faire le CNA en avril… Et ça, c’est un plaisir certain.
L’art est notre planche de salut et Some hope for the bastards, une solide heure et demie d’art contemporain, conclut Frédérick Gravel.
Some hope for the bastards de Frédérick Gravel, à voir à l’Usine C les 29 et 30 novembre 2017.
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