Danse : Les Ballets Trockadero de Monte Carlo

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Les Ballets Trockadero de Monte Carlo, fondés par des passionnés en 1974, sont devenus une véritable institution au fil des ans. Établie à New York, la compagnie n’a de monégasque que le nom et la version décalée et cocasse du ballet classique qu’elle propose, sous forme de parodie et en travesti, a rapidement trouvé écho dans les médias et chez le public. Imaginez une troupe de gaillards fardés, vêtus de tutus et évoluant sur les pointes avec une technique irréprochable. Marginaux à leurs débuts, les « Trocks », comme ils se désignent, sont aujourd’hui indubitablement dans l’air du temps.

Pourquoi choisir le ballet classique alors que le soccer et le karaté existent ? En Italie comme ailleurs, devenir danseur classique relève encore du tabou pour certains hommes. Raffaele Morra, aujourd’hui professeur et maître de ballet, y a été formé en danse classique, puis il y a travaillé une dizaine d’années : « Cela n’a pas toujours été évident, mais ma famille et mes amis m’ont soutenu », concède l’ancien danseur, gagnant du prix Chase Johnsey, lequel récompense un danseur queer qui a marqué le monde de la danse. Rien ne destinait l’Italien aux Ballets Trockadero de Monte Carlo. Alors qu’il songe à se tourner vers la danse contemporaine, l’interprète a la curiosité d’assister à une représentation des Trocks alors en tournée en Italie. La fantaisie et la liberté du propos le séduisent; la précision technique avec laquelle les danseurs s’exécutent le ravit. Ce qu’il voit lui ouvre l’esprit – il comprend qu’une partie de lui a soif de divertir. La joie et l’enthousiasme du public achèvent de le convaincre : « J’ai décidé de quitter l’Italie et de m’établir à Brooklyn pour rejoindre la compagnie. C’était en 2001. » Engagé comme danseur, Raffaele Morra assume des rôles au premier plan, dont Odette et Paquita, et chorégraphie notamment Majisimas, une parodie du ballet Majísimo du chorégraphe cubain Jorge Garcia. Morra devient rapidement le répétiteur attitré de la compagnie et cumule les deux postes jusqu’en 2017, année où il accroche ses chaussons.

La compagnie des Ballets Trokadero est comme une grande famille. Les danseurs proviennent du monde entier et il est parfois difficile d’établir un consensus auquel tous adhèrent avec la même compréhension, mais Raffaele Morra souhaite soutenir ses interprètes autant que possible, pour qu’ils puissent s’épanouir et éviter les blessures. En danse classique, les rôles masculins typiques sont synonymes de nombreux sauts et de non moins innombrables portées de partenaires. Il faut donc beaucoup de force, de puissance et de résistance musculaire. Des ballerines, on attend qu’elles pointent et qu’elles s’envolent gracieusement. Les Trocks doivent parler ces deux langages. Le travail sur pointes est accessible aux interprètes qui ont bénéficié d’une formation rigoureuse en ballet. Comme il n’y a pas de danseur étoile dans la compagnie, tous les interprètes travaillent au succès de la troupe dont le nom est internationalement reconnu. Le répétiteur est strict : « J’encourage chacun à travailler aussi rigoureusement qu’il le peut – chacun aura, son tour venu, l’occasion de se dépasser. » Les interprètes ne peuvent prendre aucune répétition à la légère. Ils doivent être fin prêts pour les représentations et résister à l’horaire exigeant de la compagnie. « Nous partons régulièrement en tournée plus de deux mois d’affilée et il faut être en forme pour pouvoir sauter dans ses chaussures de ballet et faire des entrechats, après douze heures de trajet en autobus. »

UNE BALLERINE EST UNE BALLERINE
Attention ! Le ballet est une des formes d’art les plus nobles et il n’y a aucun sous-entendu dans les spectacles de la compagnie, qui s’adressent à toutes sortes de publics et même aux familles et aux enfants. Docte, Morra rappelle : « Nous ne ridiculisons aucunement la façon d’être des femmes et nous ne voulons pas que les gens croient que c’est ce que nous faisons. Évoquer des ballerines du début du XXe siècle, avec les attitudes surannées qui s’y attachent, est une forme d’art en soi. » Le répétiteur est catégorique : « Un cygne est un cygne et une ballerine est une ballerine, qu’un homme ou une femme se déplace sous le tutu. » Il n’en demeure pas moins que, même à l’ère de la fluidité des genres, voir des articulations noueuses se forcer à la grâce et apercevoir des torses poilus émerger des bustiers à paillettes reste amusant. « Le contraste visuel fait sourire et c’est l’effet recherché; ne cherchez pas plus loin notre motivation. » Si les Trocks proposent des parodies craquantes, la compagnie se veut avant tout un hommage vibrant aux Ballets russes de Sergeï Diaghilev, qui ont eu pignon sur rue dans la petite principauté de Monaco jusqu’à la mort du chorégraphe, en 1929. Le solo le plus emblématique du ballet classique est assurément La Mort du cygne, chorégraphié par Michel Fokine pour Anna Pavlova à Saint-Pétersbourg (1907). Les Ballets Trockadéro en ont fait une version facile et drolatique, devenue leur œuvre emblématique, qui ironiquement prône la vulgarisation de la danse classique. Le maître de ballet se délecte : « Odette, la délicate princesse transformée en cygne par l’effroyable sorcier, n’en finit plus d’agoniser – elle a l’allure d’une autruche qui a avalé de travers et perd ses plumes comme un vieil oreiller; c’est irrésistible. » Swan Lake Act II: Le Lac des Cygnes sera d’ailleurs présenté à Montréal avec, en complément de programme, en première canadienne et sur une musique de Charles Gounod, la version des Trocks de La Nuit de Walpurgis.

« Il est évidemment important de combattre l’homophobie, mais ce n’est pas la mission première de la compagnie – notre idée est d’affirmer la liberté de tous à faire des pointes. » Les danseurs des Trocks montent des spectacles pour divertir et affirmer leur liberté de création, parce que des gaillards chaussant du 14 ont le droit de mettre des tutus et de faire des pointes si ça leur chante et c’est ce qu’ils revendiquent. Au fil du temps, la compagnie a-t-elle vu un changement dans l’accueil réservé à ses productions ? Sans qu’il y ait de révolution, de plus en plus de publics variés viennent certainement voir le spectacle, répond Morra sans hésiter. Le phénomène Trocks a aussi intégré la culture populaire : le film Rebels on Pointe de la Canadienne Bobbi Jo Hart a fait plusieurs festivals avant d’être diffusé par la chaîne CBC (2018) – on y retrouve d’ailleurs l’ancien danseur. Même si l’étiquette drag ne lui convient pas, la troupe a aussi participé l’automne dernier à la pittoresque course de drag queen organisée par le célèbre RuPaul à New York. « La liberté, c’est d’être qui nous sommes et c’est ça qui compte – avec le plaisir et la joie du public ! »

Découvrez le phénomène des Ballets Trockadero de Monte Carlo, à voir le 5 mars 2020, au Théâtre Maisonneuve (Montréal) et le 7 et 8 mars au Winter Garden Theatre (Toronto).
www.showoneproductions.com
www.trockadero.org
www.placedesarts.com

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