Danse Danse : vingt ans à l’avant-garde de la danse contemporaine

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Danse Danse programme tout au cours de l’année des spectacles de danse contemporaine qui, s’ils appartiennent à des univers bien distincts, ont tous en commun d’être de grande qualité. Le diffuseur, qui a développé au fil des ans un large spectre d’activités afin de rendre au mieux la nature multiple et mouvante de la danse, souligne cette année sa 20e saison avec faste. Pierre Desmarais, directeur artistique et général de l’organisme, et Caroline Ohrt, directrice du développement et de la programmation, évoquent le festin chorégraphique qu’ils ont orchestré pour les Montréalais en cette année anniversaire. Entrevue avec deux passionnés.

En septembre 1998, quatre compagnies québécoises créaient un regroupement destiné à favoriser la diffusion des compagnies nécessitant de grands plateaux scéniques, commence Pierre Desmarais, présent depuis le début de l’aventure. Les Productions LOMA (L pour La La La, la compagnie d’Édouard Lock; O pour O Vertigo, celle de Ginette Laurin; M pour Marie Chouinard; A pour Agora) venaient de voir le jour. L’organisme sans but lucratif – car c’en est un – met dès lors en place une programmation annuelle, baptisée Danse Danse, qui produit les spectacles des quatre compagnies québécoises en question. Le succès est immédiat : les spectacles à la salle Pierre-Mercure, les tournées au Centre national des Arts d’Ottawa, les partenariats innovants donnent vite à la danse une nouvelle image et le public se laisse immédiatement séduire par cette transformation puisque près de 20 000 spectateurs se déplacent pour assister aux premières productions.

Au fil des ans, la programmation s’étoffe en s’ouvrant à l’international et aux artistes de la relève québécoise. Dès sa deuxième édition, le diffuseur Danse Danse invite la compagnie japonaise H. Art Chaos. C’est un moment fondateur : le milieu exècre, le public aime. Danse Danse rejette l’idée du compromis et prend alors la décision de ne plus se préoccuper que de satisfaire les désirs des spectateurs. Deux ans plus tard, Clothilde Cardinal, maintenant à la Place des Arts, rejoint l’organisme et en assume la codirection artistique pendant 17 ans pour ensuite laisser la place à Caroline Ohrt, en poste depuis une vingtaine de mois maintenant. « Il faut penser à deux têtes pour faire une programmation – se relancer, se questionner… Cette diversité d’opinion est importante pour garantir la diversité d’approche », soutient Pierre Desmarais. « L’un défend ses coups de cœur pendant que l’autre se fait l’avocat du diable », renchérit Caroline Ohrt. Les deux parties du binôme ne voyagent jamais ensemble, mais à leur retour, elles doivent convaincre leur vis-à-vis. Pierre Desmarais pointe deux pupitres laqués installés face à face, dans l’espace lumineux et blanc des nouveaux locaux du 2-22, le bâtiment certifié LEED qui abrite aussi la Vitrine et CIBL : « Nous sommes assis l’un devant l’autre toute la journée, à réfléchir à ce que nous voulons offrir au public de Danse Danse – ou plutôt aux publics de Danse Danse, comme on aime dire ici. »

Caroline Ohrt reprend : « Danse Danse est une sorte de festival de danse dont les manifestations se déploient tout au long de l’année. » L’idée est faire voyager les publics entre les spectacles, que chacun puisse composer sa propre saison, choisir une des représentations intimistes à la Cinquième Salle de la Place des Arts, comme Flickers, de la compagnie autochtone Dancers of the Damelahamid (14-18 novembre) et Cosmic Love de la brillante Clara Furey (6-15 décembre) ou des représentations à plus large déploiement sur grand plateau comme celui du Théâtre Maisonneuve – par exemple les BJM qui présenteront le spectacle hommage à Leonard Cohen Dance Me (5-9 décembre) ou encore la célèbre compagnie Saddler’s Wells de Londres qui revient avec Sutra, un spectacle où le non moins populaire Sidi Larbi Cherkaoui orchestre un ballet acrobatique entre dix-neuf moines bouddhistes du temple de Shaolin, experts en kung-fu, cinq musiciens, tous habillés de noir et… vingt et une boîtes de bois clair. « Je crois que les spectateurs ont plaisir à fréquenter différents théâtres », résume Caroline Ohrt. « Guider le public d’un spectacle comme Rain de la compagnie Rosas d’Ana de Keersmaeker qui clôturait la saison 2016-2017 à l’installation sculpturale du spectacle Le cri des méduses d’Alan Lake (20-24 mars 2018) pour finir avec un bonbon comme Sutra, qui revient à la demande générale du 3 au 9 mai 2018 : c’est un privilège des plus réjouissants et c’est pour cela que nous faisons ce métier », ajoute Pierre Desmarais, visiblement aux anges.

Photo Peritu Saska

Le public de Montréal est éduqué et en matière chorégraphique, il est fin connaisseur. « Alors il faut lui lancer des défis, comme avec le spectacle de la compagnie La Veronal du chorégraphe barcelonais Marcos Morau qui propose, avec sa danse espagnole qui croise performance et ballet, un travail très différent de celui qu’on voit habituellement sur les scènes québécoises », prévient Pierre Desmarais, l’œil brillant. Par le biais d’une mise en abîme, procédé plus répandu en théâtre qu’en danse contemporaine, Siena (que l’on pourra voir cet hiver, les 8, 9 et 10 février 2018) questionne l’art et sa représentation, le corps humain et ses projections, allant de La Vénus d’Urbino du Titien au cinéma de David Lynch. Caroline Ohrt continue : « On peut maintenant dire qu’il y a un échange véritable avec le public : les spectateurs attendent impatiemment la venue des artistes qu’ils ont envie de revoir ou de découvrir et ils nous le font savoir; ils assistent avec intérêt aux échanges que nous organisons avec les chorégraphes à la suite des représentations, posent de bonnes questions… » Différents spectacles entraînent différentes ambiances, bien entendu. Avec la compagnie Martha Graham, ce sera une page d’histoire et la confrontation des époques. Les spectateurs font aussi des listes de demandes spéciales aux programmateurs et leur adressent des critiques… La discussion est très ouverte, décomplexée, dit Desmarais, joyeux du chemin parcouru.

Les spectateurs répondent en effet avec enthousiasme aux événements coordonnés en marge des représentations. Les deux programmateurs évoquent le succès de l’atelier de danse « Gaga People » offert en janvier dernier aux non-initiés pour leur permettre d’expérimenter la technique mise au point par le gourou de la danse contemporaine israélienne et directeur artistique de la Batsheva Dance Company, Ohad Naharin. « Les gens étaient ravis, les places se sont envolées très vite », rappelle Caroline Ohrt, fort satisfaite. Le documentaire Mr. Gaga, sur les pas d’Ohad Naharin, était lui aussi projeté au cinéma Beaubien lors du dernier passage du chorégraphe, autour de la présentation de Last Work. Tout récemment, au début du mois, c’est aux ateliers du grand Hofesh Shechter que les curieux ont pu participer. Tout cela participe à l’élargissement de la culture chorégraphique des publics montréalais; les gens comprennent de plus en plus la danse et veulent s’intéresser au processus artistique de leur chorégraphe favori. Et ça se sent : avant, les artistes n’en avaient que pour Paris et New York, maintenant ils veulent tous venir et surtout revenir à Montréal, une fois qu’ils ont fait la connaissance de la ville. « Danse Danse a la réputation d’être une plaque tournante de la danse par la qualité de son public et je crois que cet engouement n’est pas encore arrivé à son plein potentiel », fait Pierre Desmarais, optimiste et fier.

Les risques et les désirs

« Danse Danse se veut avant tout une porte d’entrée vers l’art chorégraphique, mais ce qui est amusant, c’est que les gens restent attachés à nous », commente Desmarais. Est-ce parce que Danse Danse s’efforce de ne diffuser que la crème la plus onctueuse de la danse actuelle ? « Pourtant, des risques, il y en a toujours… Des risques financiers, artistiques que nous calculons, certes, mais ils existent pourtant bel et bien, rétorque l’ancien danseur avec un demi-sourire. Celui qui a commencé sa carrière à Vancouver avec la compagnie Anna Wyman donne en exemple la talentueuse compagnie de patinage contemporain montréalaise d’Alex Hamel, Le Patin Libre, qui donnera rendez-vous au public à l’aréna Saint-Louis du Mile-End. Les spectateurs renonceront-ils comme le pensent certains au confort des théâtres ? La troupe d’allumés, qui a été acclamée dans le monde entier et qui présentera Seuils (11-22 avril 2018) en vaut absolument le déplacement. « Même s’il s’agit de la Cinquième Salle de la Place des Arts, quand on donne carte blanche à un jeune créateur et qu’on renouvelle la gageure cinq ou six fois dans l’année, c’est là que pour nous, ça peut devenir conséquent », concède Caroline Ohrt. À l’autre bout de la fourchette, le défi posé par les grandes salles : le diffuseur a invité le Saddler’s Wells du 3 au 9 mai, il lui faut maintenant s’assurer de remplir les salles !

Danse Danse présente cette saison les deux seules compagnies québécoises qui ont encore la capacité de faire de grands plateaux : Marie Chouinard et les BJM. Il faut d’une part des scènes appropriées pour que de telles relations artistiques soient envisagées. « Il est, de plus, crucial de développer des chorégraphes qui ont ce potentiel, comme Virginie Brunelle », ajoute Desmarais, qui retrouve ici le sens précis de ce qui avait animé LOMA il y a vingt ans. Le volet danse du programme ponctuel Nouveau Chapitre (NC) un programme de 35 millions créé à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération pour permettre aux artistes de toutes disciplines de « rêver en grand », a en effet alloué à la chorégraphe une enveloppe de 160 000 $ pour créer au Theaterhaus Stuttgart/Gauthier Dance une pièce de 20 minutes pour huit danseurs, tableau d’un spectacle qui ira ensuite en tournée internationale. Le processus de la création pourra être suivi par le biais de Créateurenmouvement.ca, une nouvelle plate-forme Web qui sera façonnée pour le diffuseur partenaire Danse Danse et qui servira à d’autres projets dans le futur. Le site Web relève d’un travail d’émulation; les plates-formes numériques ne sont pas une menace, mais sont vues comme un appui, un outil d’éducation et de mise en marché. La technologie s’essoufflera à un moment donné et, juste de retour du balancier, les relations humaines seront à nouveau à la mode, philosophe Caroline Ohrt.

Cela signifie-t-il que la danse contemporaine a enfin l’oreille des politiques ? La danse contemporaine est considérée comme le parent pauvre, car elle est une des dernières venues dans les arts. Pourtant, la danse est à peu près comme l’opéra au chapitre des coûts engagés – et elle coûte en tout cas la même chose que la danse classique. Il y a encore beaucoup à faire et la compagnie Danse Danse est bien assise pour poursuivre sa mission, mais le soutien doit être là, rappelle Pierre Desmarais.

En terminant et à l’intention des lecteurs de La Scena musicale, Caroline Ohrt lance : « Cette saison anniversaire voit le retour en force de la musique jouée par les musiciens sur scène. Je voudrais attirer l’attention de vos lecteurs sur Breath (17-21 avril 2018), qui réunit le grand interprète chorégraphe finlandais Tero Saarinen et le musicien et compositeur également finlandais Kimmo Pohjonen, connu comme un révolutionnaire de la musique d’accordéon. » Ce sera d’ailleurs le dernier duo de Tero Saarinen, qui s’arrêtera de danser après cette tournée.

Curieux de connaître le goût de la danse contemporaine ? Danse Danse offre justement des promotions avantageuses aux moins de trente ans et pour les soirs de première, histoire d’encourager le bouche-à-oreille. Et si vous aimiez ?…

www.dansedanse.ca

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