Dix ans après le succès de sa pièce À présent, créée en 2008 par La Manufacture et récemment mise en scène en Angleterre par le grand Michael Boyd, ancien pilier du Royal Shakespeare de Londres, Catherine-Anne Toupin ouvre la saison d’hiver de la Licorne avec La meute, un texte inquiétant qu’elle signe et quelle interprétera sous la direction de Marc Beaupré, au Théâtre de la Licorne. Entrevue.
« La meute marque mon retour à l’écriture pour le théâtre, mais j’ai continué à écrire pour la télévision », commence Catherine-Anne Toupin, faisant allusion à Boomerang, la populaire émission télévisée familiale diffusée sur les ondes de TVA qu’elle a créée et dans laquelle elle joue aussi, ce qui lui a valu le trophée Artis de la Meilleur(e) interprète dans une comédie en mai 2017. « Dès mon arrivée, ce voyage à Londres m’a emplie d’un sentiment de liberté incroyable qui m’a permis d’aller très loin dans l’écriture », indique l’auteure québécoise qui a écrit le texte très rapidement, en trois mois seulement. La pièce n’était pas encore commencée, mais Catherine-Anne Toupin savait exactement où elle voulait aller : elle réfléchit en effet au thème de la vengeance, de la violence pour répondre à la violence depuis une dizaine d’années. « Ce que j’avais à écrire est très dérangeant et ce voyage m’a donné toute la latitude dont j’avais besoin pour le sortir et me décoller du regard que les gens ont sur moi. L’expérience s’est révélée surréaliste et nourrissante. Les artisans du théâtre anglais que j’ai pu rencontrer me voyaient comme une auteure, pas comme la petite blonde comique qui joue dans une émission populaire », raconte la créatrice, agréablement surprise. Comédienne comblée, Catherine-Anne Toupin n’écrit pas pour se créer un rôle, mais plutôt pour défendre un point de vue qui lui est cher. Elle a été ravie d’arriver devant une page blanche et de pouvoir se réinventer : « Ici, les gens aiment l’image qu’ils ont de moi, alors il est plus difficile d’oser la briser en montant sur scène avec quelque chose qui n’est ni mignon ni drôle. »
La meute est un suspense psychologique qui parle de vengeance, de réponse aux coups par les coups. Que se passe-t-il quand le vernis social craque ? On a perdu le contrôle du discours ambiant sur les réseaux sociaux comme dans la vie de tous les jours et nous sommes tous contaminés, souligne l’auteure. À force de voir les unes révoltantes des journaux, des nouvelles inacceptables à la télévision, sans oublier l’exemple répété du président des États-Unis qui dépasse tout dans la démesure et l’obscénité, quelque chose se révèle à l’individu comme au public, quel qu’il soit. La misogynie, le racisme, l’homophobie éclatent au grand jour dans le discours social et par ricochet dans le discours individuel. « Cette violence omniprésente transforme jusqu’à la façon dont nous entrons en relation avec les autres, affirme-t-elle, parce que maintenant méchanceté et lynchage public sont de mise. » Et que se passe-t-il si un individu décide de répondre à la violence qui lui a été faite ? « Dans l’inconscient collectif, la charge générale de la vengeance est satisfaisante et c’est ce qui est terrible », déplore-t-elle. Comment réagir, sortir du marécage de l’inacceptable dans lequel tout s’engloutit ? « Évidemment, je ne défends aucun des actes inacceptables évoqués dans la pièce, mais comprenez qu’un artiste doit prendre position et j’ai la chance de travailler avec une équipe qui appuie mes propositions. » À bon entendeur, salut.
Le spectacle La meute sera-t-il interdit aux moins de seize ans ? « Je recommande plutôt d’avoir au moins seize ans pour y assister, car je veux que le public soit averti de la violence du propos de la pièce », s’empresse de rectifier celle à qui la tatillonne critique britannique a accordé quatre étoiles sur cinq. L’idée est de prévenir les parents des jeunes qui regardent le personnage de Karine à la télévision et qui voudront voir le spectacle qu’on est ailleurs. « On navigue dans des zones très grises, des actes indéfendables se déroulent, mais on leur fait tout de même place sur scène. » Se réclamant de la génération Spielberg qui croit que pour raconter une bonne histoire, il faut avant tout surprendre, Catherine-Anne Toupin refuse de faire circuler le texte jusqu’à la première : « On comprend ce qui s’est passé dans les cinq dernières minutes de la pièce, alors je ne veux pas brûler le dénouement et gâcher le plaisir des spectateurs, je veux qu’ils aient des surprises jusqu’à la fin ! » À présent évoquait la mort en bas âge d’un enfant; les blessures que l’on s’efforce de dissimuler l’intéressent-elles ? « Non, mais les pulsions irrépressibles m’intéressent, parce que quelque chose sort des personnages malgré eux et que cette humanité noire, qu’on a tous en nous, peut arriver à nous posséder si on la laisse faire », rétorque l’auteure montréalaise.
Sophie, l’héroïne ou l’anti-héroïne de la pièce, a 40 ans – l’âge auquel Catherine-Anne Toupin arrive maintenant. Elle avait donc une excellente raison de faire partie de la distribution, mais elle assure ne pas y avoir pensé dès le départ. Quand elle écrit, elle se concentre sur l’écriture. « Par contre, c’est vrai que ne pas traverser toute l’arcade de la création, ne pas participer à la distribution aurait relevé du coït interrompu ! » C’est Marc Beaupré, qui proposait tout récemment une brillante adaptation slammée de l’Iliade au Denise-Pelletier, qui signera la mise en scène du spectacle : « C’est une première collaboration, comme avec le reste de la distribution – et c’est ce que je voulais : abreuver mon imaginaire au talent des autres, aller ailleurs. » Questionnée au sujet du titre, La meute, Catherine-Anne Toupin répond l’avoir choisi il y a deux ans et qu’il n’a donc aucun lien avec de récents événements. L’auteure s’est demandé si elle devait le modifier et a consulté à ce sujet le directeur artistique de La Licorne, Denis Bernard. Dans un rire ironique, elle conclut : « Il n’y a aucun recoupement avec le groupuscule de Québec et de toute façon, je ne pense pas que leurs membres aillent beaucoup au théâtre. »
La meute, à voir au Théatre La Licorne du 16 janvier au 17 février 2018.
www.theatrelalicorne.com