Angela Konrad : le théâtre est une invitation à la liberté

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Connaissez-vous Angela Konrad? Montréalaise depuis seulement quatre ans, la metteure en scène et dramaturge d’origine allemande a, d’un même élan, réussi à séduire les amateurs de théâtre, les critiques et les diffuseurs: l’engouement pour son travail est total. Sa compagnie LA FABRIK présentera d’ailleurs trois spectacles cette année, ouvrant d’abord la saison du Théâtre de Quat’Sous avec Le Royaume des animaux, un texte du réputé Roland Schimmelpfennig, présenté en grande première mondiale en français (6 septembre – 1er octobre 2016).

Angela Konrad, Photo: Julie Rivard

Angela Konrad, Photo: Julie Rivard

« Tout a commencé au début de la résidence que l’Usine C m’a octroyée », dit Angela Konrad.  Sous le titre de Variations pour une déchéance annoncée (2013), elle adapte et met en scène La Cerisaie de Tchekhov. Le spectacle est un succès et sera même repris au FTA en 2015. Très favorablement impressionné, Éric Jean, alors directeur artistique du Quat’Sous, invite la metteure en scène à discuter. De fil en aiguille, leurs échanges aboutissent à la coproduction Auditions ou Me, Myself and I. La pièce est un nouveau succès puisque cette adaptation de Richard III est mise en nomination comme meilleure mise en scène par l’Association des ­ritiques de théâtre du Québec – Dominique Quesnel obtenant le prix de l’interprétation ­féminine de l’AQCT (2015). Le spectacle, qui montre une metteure en scène tyrannique tout en questionnant le théâtre et les rapports de domination, sera d’ailleurs repris en janvier 2017.

Angela Konrad poursuit: « Le Royaume des animaux s’est présenté comme la continuité parfaite du travail amorcé avec Auditions ou Me, Myself and I ». La pièce campe en effet une troupe de théâtre qui rejoue inlassablement un spectacle intitulé Le Royaume des animaux, dont l’action se déroule dans une steppe impitoyable. Nous voyons les comédiens s’affronter dans les coulisses, écrasés par le poids de leurs costumes comme celui de leur désespoir. Angela Konrad note: « Roland Schimmelpfennig a été traduit dans plus de vingt langues, c’est un auteur et un metteur en scène de théâtre et d’opéra confirmé qui continue à évoluer, il vient d’ailleurs de lancer son premier roman ». Le Royaume des animaux est la partie centrale d’une trilogie qui illustre aussi le parcours d’un artiste, de la dramaturgie classique à la littérature. Précédé d’un texte de facture tchékhovienne, suivi d’un assemblage de textes hybrides qui introduit un langage cinématographique dans le théâtre, Le Royaume des animaux s’apparente quant à lui au théâtre britannique In-yer-face – l’auteur dit d’ailleurs avoir eu l’idée de la pièce au très chic restaurant du Royal Court Theatre, à Londres.

Allégorie politique

Angela Konrad reprend: « Le Royaume des animaux m’a d’abord interpellée par sa ­thématique ». Car la métathéâtralité et le theatrum mundi, ce concept de grand théâtre du monde à partir duquel les tragédiens baroques réfléchirent au pouvoir créateur du metteur en scène, passionnent Angela Konrad: « Le théâtre dans le théâtre, les mises en abîme et les univers qui s’enchâssent me font avancer ». Cette production lui permet de poser un regard autocritique sur son métier, mais aussi de questionner les relations que l’art entretient avec les êtres humains et son devenir face à une insatiable industrie culturelle. D’un côté, il y a dans les loges ces comédiens qui radotent depuis six ans les mêmes scènes, de l’autre cette parabole animalière qui n’est que le reflet de leur condition. Et, tout au bout, se dessine un projet où les acteurs finissent par ne plus représenter ni des humains ni même des animaux, mais seulement des choses.

Sous l’aspect d’une comédie de coulisses, Le Royaume des animaux est une allégorie politique qui commande un véritable travail archéologique pour révéler les tenants et aboutissants d’un système dans lequel nous évoluons tous. Angela Konrad a commencé sa carrière en Allemagne, dans de grosses institutions théâtrales où les comédiens, engagés pour six ou dix ans, dépendent entièrement du bon vouloir du directeur artistique pour obtenir un rôle. Elle y a vu des comédiens rester sans travail pendant plusieurs saisons et Roland Schimmelpfennig s’est à l’évidence nourri de ce type d’anecdotes pour écrire Le Royaume des animaux. La metteure en scène souligne: « Même si le contexte québécois n’est pas le même qu’en Europe, on peut faire des parallèles poignants ».

Un esprit de troupe

Angela Konrad aime à répéter qu’elle a l’esprit de la troupe à défaut d’en avoir les moyens. Sa recherche remet en question des rapports hiérarchiques qui régissent habituellement le travail de création. La troupe est selon elle le creuset où cohabitent relève et artistes confirmés et où se partagent toutes les motivations données ou justifications relatives au ­spectacle – les concepteurs font état de leurs idées devant leurs pairs et le jeu des comédiens se nourrit de toutes ces informations. La metteure en scène développe: « Il faut plusieurs années pour bien connaître un comédien et pour établir les bases d’une relation artistique; cette fidélité donne une confiance qui permet de repousser les limites de nos zones de confort et de décloisonnement des disciplines artistiques ».

Ce qui explique pourquoi la comédienne Dominique Quesnel et la metteure en scène se retrouvent à traduire les échanges privés des comédiens, retournant au texte allemand ­original, repassant par la traduction française existante jamais montée, Dominique Quesnel se chargeant de l’adaptation au québécois. Depuis son travail autour de la traduction de Michel Garneau du Macbeth de Shakespeare (présenté à guichet fermé à l’Usine C l’an ­dernier et repris à la demande générale la ­première semaine de décembre 2016), Angela Konrad, qui est devenue très sensible à la langue québécoise, trouvait important ­d’inscrire celle-ci dans le texte. Elle se réjouit: « Dominique Quesnel, qui possède un étonnant sens du rythme et de la langue, a imprimé une réelle dynamique dans cette traduction ».

Il faut, en terminant, s’arrêter sur la conception des costumes. Philippe Cousineau, Alain Fournier, Marie-Laurence Moreau, Gaétan Nadeau, Lise Roy personnifieront les ­comédiens – animaux, à savoir un zèbre, un marabout, un lion, une antilope et une genette (petit mammifère carnivore du désert). Éric Bernier incarnera Chris, le metteur en scène nouvellement arrivé. « Nous avons pris comme point de départ les indications de ­l’auteur qui recommandent des inventions inspirées, ethnologiquement assez recherchées pour aborder des idées que l’on retrouve chez les peuples primitifs d’Amérique du Nord ou d’Afrique. Mais attention, il n’y a pas de grotesque ou de peluches à la Walt Disney. Linda Brunelle travaille à inventer des ­techniques et des formes avec des matières spécifiques à partir du corps des acteurs. » Visiblement heureuse, Angela Konrad conclut: « Je suis éblouie par la liberté qui se dégage de ce travail et c’est ce que je cherche au théâtre, des invitations à l’invention, à la liberté ».

» Le Royaume des animaux, de Roland Schimmelpfennig, au Quat’Sous du 6 septembre au 1er octobre, www.quatsous.com.

» Macbeth, de Shakespeare, à ­l’Usine C du 29 novembre au 7 décembre 2016, usine-c.com.

» Auditions ou Me, Myself and I, d’Angela Konrad, au Quat’Sous du 9 au 21 janvier 2017, www.quatsous.com.

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