Toronto à la carte – De cordes et d’autres

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Comme tout genre musical, le jazz mise sur certains instruments pour en négliger d’autres complètement, les cordes par exemple. Outre la contrebasse, les autres membres de cette famille sont sous-représentés — les violons jouissant toutefois d’un meilleur profil que les altos et violoncelles, tout simplement mis au ban.

Si le jazz traditionnel s’est dispensé des cordes dans son arsenal, elles ont réussi tout de même à s’insérer dans les musiques d’improvisation plus expérimentales, du free jazz à l’électro.

L’histoire de la note bleue n’est pas dénuée de solistes au violon qui sont passés à l’histoire : pensons ici aux Américains Eddie South et Joe Venuti, leurs contemporains européens Stéphane Grappelli et Svend Asmussen, et plus près de nous dans le temps, les flamboyants Jean-Luc Ponty, Michel Urbaniak et Dominique Pifarély, surgissant tous à l’époque du jazz fusion des années 1970. Si les solistes ne font pas légion, les ensembles à cordes, pour leur part, ont souvent été attelés à des groupes de jazz pour des fins purement commerciales, les amateurs de la note bleue criant haro devant de telles concessions. Pourtant, les jugements péremptoires peuvent être déplacés à certaines occasions si l’on se tient uniquement à l’expérience auditive sans cependant connaître l’histoire derrière tel ou tel projet.

Tel est bien le cas du nouvel enregistrement de l’altiste (saxophone, entendons-nous) Allison Au. Quatrième album au nom de cette jeune musicienne de la Ville Reine, Migrations est certainement son œuvre la plus personnelle, laquelle puise dans son histoire familiale assez particulière. Son père, de nationalité malaysienne, mais de souche chinoise, a immigré au Canada, y rencontrant et épousant la mère de la musicienne qui réclame des descendants polonais de l’Holocauste réfugiés en Israël. Élaborant son œuvre à partir des souvenirs de ses deux parents et des albums photo de leurs familles, Au a traduit ses impressions dans cette œuvre programmatique en 13 tableaux d’une quarantaine de minutes. La teneur de la musique, comme on peut s’y attendre, est assez introspective et lyrique, d’où le rôle essentiel des cordes pour donner un ton recueilli à l’enregistrement. Outre son quartette jazz et un quatuor à cordes, la chanteuse canadienne de l’heure canadienne Laila Biali.

Lors d’un entretien téléphonique récent, Au parle d’un heureux concours de circonstances permettant la mise en œuvre du projet. « En 2019, le Koerner Hall de Toronto et le Royal Conservatory m’ont passé une commande d’œuvre. Puis, le directeur de la programmation de la salle, Mervon Mehta, m’a invité pour un concert à saveur multiculturelle, sans vraiment que je le sache d’avance, tenu dans le cadre du festival de musique contemporaine 21C.

Chose dite, chose faite, le concert se déroule en janvier 2020, à peine six semaines avant le premier confinement. Depuis cette première, Au a greffé cinq autres morceaux aux huit conçus pour le spectacle, ajoutant des parties de second violon et d’alto pour compléter la formation avec un vibraphoniste (Michael Davidson) et la chanteuse, chantant ou récitant des textes de poètes de langue anglaise sur cet album d’une quarantaine de minutes..

Toutefois, la composition pour cordes demande un réel savoir-faire, chose pour laquelle les gens de jazz ne sont pas les mieux équipés, Au étant toutefois une exception à cette règle, comme elle l’explique : « En 2011, je me suis rendue en Hollande pour travailler auprès de l’arrangeur Vince Mendoza, à l’emploi du Metropol Orchestra, formation d’une cinquantaine de musiciens. Suivant mon temps passé avec l’orchestre, j’ai poursuivi mon travail avec Mendoza pendant cinq ans à titre de copiste, ce qui m’a permis d’acquérir les connaissances nécessaires pour mener à bout mon projet. »

Pour ceux familiers avec ce genre de collaboration entre le jazz et le classique, la règle est telle que les musiciens du premier camp sont les seuls à prendre les solos, ceux de l’autre n’intervenant pas de la sorte par leur incapacité d’improviser. Pourtant, à une occasion, un des violons surgit dans l’ensemble, marquant une échappée à la règle. Si l’on se réjouit de l’escapade d’Aline Homzy, on aurait bien souhaité d’autres de sa part. Son jeu délié n’affiche aucune hésitation à composer avec le moment, mais cela se comprend lorsque l’on connaît un peu sa biographie.

Née à Montréal, cette musicienne est tombée très jeune sous le charme de la note bleue, son père Andrew ayant été professeur titulaire au département des études jazz de l’Université Concordia des années 1970 jusqu’à sa retraite en 2010. À cinq ans, ses parents lui offrent la possibilité de jouer d’un instrument et elle choisit le violon auquel sa sœur s’adonnait. Une formation de base par la méthode Suzuki s’ensuit, prélude à des études classiques jusqu’au collège. Lors de son récital final, un déclic se produit chez elle en jouant un impromptu improvisé sur le standard Lady Be Good avec son père au piano. « C’est à ce moment-là que j’avais senti le désir de créer mes sons, » confie-t-elle. En 2008, elle s’inscrit au Humber College à Toronto, école dotée d’un solide programme de jazz, d’où elle obtient son diplôme pour ensuite dirigée la classe de cet instrument.

Active sur la scène comme accompagnatrice, Aline Homzy vient de publier un tout premier album à son nom en août dernier, dans la foulée d’une tournée canadienne des festivals. Intitulé Éclipse, ce recueil de 11 plages frisant les 50 minutes la présente à la tête de son quintette nommé Aline’s Étoile magique, lequel comprend batterie, basse, guitare et vibraphone et deux invités, l’accordéoniste João Frade et la chanteuse Felicity Williams.

À l’envers du disque assez sobre de la saxophoniste, l’offrande de Homzy est enjouée, même jolie, la musique ayant pu facilement servir de trame sonore à un conte de fées. Pour sa part, elle estime que l’album met en jeu son dada personnel pour le cosmos, dans ses dimensions scientifiques et fantaisistes, le groupe libellé en fonction de cet intérêt.

L’album Migrations d’Allison Au sera également disponible sur Bandcamp, le 27 octobre.
Pour écouter Aline Homzy et son disque : alinehomzy.bandcamp.com

À lire également dans la section jazz ce mois-ci : Montréalités

Playlist

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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