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Toute ville de jazz qui se respecte compte au moins une diva de la note bleue. Personne ne niera que l’épithète convient à Ranee Lee comme gant sur main. Pour cette artiste de la voix, l’année qui s’achève coïncide avec deux anniversaires dans sa vie, le premier survenant le 26 octobre dernier à l’occasion de ses 80 ans, le second remontant à son premier engagement montréalais à l’hôtel Bonaventure 50 ans plus tôt.
Au crépuscule de ses jours, cette grande dame du chant pourrait se la couler douce chez elle et jouir d’une retraite bien méritée, mais tout au contraire, semble-t-il. Toujours animée par le feu sacré, Ranee Lee remontera sur les planches du Théâtre Centaur les 16 et 17 décembre prochains pour présenter de nouveau sa revue musicale à succès Dark Divas de1999.
Interrogée sur la réalisation de cette reprise, la chanteuse remonte aux sources du projet. « J’avais conçu le spectacle comme une pièce de théâtre traitant de la vie de sept chanteuses marquantes dans les annales de la musique populaire américaine de l’époque de ma jeunesse. Je ne voulais pas seulement faire revivre ces femmes influentes sur ma carrière, mais présenter des chansons qu’elles ont faites leurs, trois pour chacune. Pour ne citer qu’un exemple : Stormy Weather, morceau emblématique de Lena Horne. Tout a commencé cinq ans auparavant par un déclic, à une époque un peu creuse où je cherchais à renouer avec mes activités antérieures, plus précisément en théâtre musical. Une inspiration subite m’est comme tombée du ciel un jour, au petit matin. »
Chanteuse de première classe, cette New-Yorkaise pure laine a jadis eu plus d’une corde à son arc vocal, ayant été danseuse de scène ainsi que saxophoniste et percussionniste dans ses jeunes années, préludes à son entrée dans le monde du théâtre. Sa première grande percée dans ce domaine eut lieu dans les années 1980 dans Lady Day at the Emerson Grill, pièce dans laquelle elle incarnait la légendaire Billie Holiday.
Quant au spectacle des « divas », Lee se rappelle que le titre semblait controversé pour certains à l’époque de la première, compte tenu de l’allusion raciale, mais ce terme, à son avis, débordait la question de la couleur pour servir de moyen de regrouper toute une catégorie de chanteuses. « En développant mon projet, j’ai dressé une liste très longue de candidates que je voulais inclure dans le scénario, mais j’en ai retenu sept au bout du compte, préférant leur accorder une part égale de trois de leurs chansons dans mon tour de chant. Outre Horne, mes choix se sont arrêtés sur les personnages suivants : Josephine Baker, Billie Holiday, Pearl Bailey, Dinah Washington, Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald. »
Si la chanteuse assurera une certaine continuité entre les morceaux par une narration, tout l’accent de cette nouvelle production sera placé sur la musique. Pour l’aider dans sa cause, Lee sera accompagnée d’un septette instrumental de haut calibre. « La partition, écrite par l’arrangeur torontois Rick Wilkins, est tellement agréable à jouer, affirme Lee, et se lit comme un charme. Au fil des ans, on a eu recours à bien des musiciens, selon les disponibilités de chacun, mais le trompettiste Ron Di Lauro, directeur musical de la formation, a immanquablement répondu à mon appel. »
Outre ce dernier, le personnel est de tout premier ordre : Mohammad Abdul Al Khabyyr (trombone), André Leroux (saxo), John Sadoway (piano), Dave Watts (contrebasse), Guillaume Pilote (batterie) et le guitariste Carlos Jimenez (prenant désormais le relais de Richard Ring, mari de la chanteuse décédé en 2018).
Quelque vingt ans plus tard, la chanteuse n’a rien perdu de sa verve pour rendre de nouveau hommage à ses légendaires prédécesseures. Pour elle, cet engagement de deux soirs, si bref soit-il, ne constitue en rien un couronnement de sa carrière, encore moins un rendez-vous d’adieu, mais un autre chapitre d’une carrière qu’elle compte poursuivre pour aussi longtemps qu’elle le pourra.
Désormais dans son second siècle, le jazz est peuplé d’une foule de grands noms qui ont balisé son histoire, certains presque mythiques, nombre d’autres tout simplement déterminants dans son évolution comme art. Le créneau vocal, pour sa part, ne manque pas de héros et d’héroïnes non plus, si bien qu’une espèce de Sainte Trinité plane au-dessus de toutes les chanteuses de notre temps, constituée de Lady Day, Ella (Fitzgerald) et la divine Sassy (Sarah Vaughan). Quant à savoir si elle a une préférence marquée pour l’une d’entre elles, Ranee Lee esquive la question d’abord avant de concéder ses affinités électives pour Vaughan.
« Sarah est la seule que j’ai eu l’occasion de voir en personne, une seule fois dans un club de New York durant ma jeunesse. Ce n’était pas juste son timbre vocal qui me touchait – j’ai même appris bien plus tard que sa tessiture s’étalait sur trois octaves, d’un mezzo très sombre jusqu’à un soprano clair et naturel –, mais aussi sa façon de raconter une histoire, avec toute une richesse d’inflexions vocales et de nuances expressives. Il aurait été tentant et facile de reproduire son style, mais je voulais être moi-même avant toute chose. Je crois avoir réussi à cet égard, pas juste sur mes propres termes, mais en assimilant des traits de bien d’autres modèles, par exemple Carmen McRae, Abby Lincoln, même Nina Simone, et j’en passe.
Dark Divas – Centaur Theatre, Dec. 16-17, 8 p.m.
Information et billetterie: www.centaurtheatre.com
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