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Lors de la glorieuse époque du swing, les big bands de jazz étaient au sommet de leur popularité. Après la fin de guerre en 1945, cependant, les uns disparaissaient après les autres, délogés du palmarès par d’autres styles. Voués à l’extinction comme les dinosaures, selon certains prophètes de malheur, ils n’ont pourtant pas sombré complètement dans l’oubli, les enregistrements sonores documentant leur existence, les universités et conservatoires leur assurant une continuité. De nos jours, ils ont même repris du poil de la bête, tant sur scène que sur disque. En effet, depuis le Nouvel An, cette tendance semble se confirmer, comme le démontrent les trois parutions orchestrales suivantes.
Michael Formanek Kolossus Ensemble
Distance
ECM 2484
En février, l’étiquette ECM publiait une généreuse offrande musicale de 71 minutes du contrebassiste Michael Formanek. L’album débute avec la pièce titre, dont la sonorité aérienne s’accorde parfaitement avec l’esthétique des productions de cette maison. Pendant l’heure restante, son groupe, le Kolossus Ensemble, s’attaque à une œuvre ambitieuse, l’« Exo-Skeleton Suite », fresque sonore en huit parties regroupées en cinq plages.
Enseignant au conservatoire Peabody à Baltimore, Formanek jouit d’une solide réputation sur la scène new-yorkaise, ce qui lui permet de recruter 18 musiciens d’élite du jazz contemporain américain (Tim Berne, saxo baryton, Mary Halvorson, guitare, Ralph Alessi, trompette ainsi que le contrebassiste Mark Helias, qui ne joue pas, mais dirige l’orchestre).
Autrefois accompagnateur dans les formations de Toshiko Akiyoshi et de Bob Mintzer, sans oublier le Mingus Big Band, le bassiste se lance ici dans sa première expérience de direction d’un grand ensemble professionnel. Caressant un tel projet depuis plus de dix ans, il a, en 2013, couché le gros de la musique sur papier en deux semaines lors d’une résidence artistique. Comme il l’affirme au bout du fil : « Je ne suis pas de ceux qui font plusieurs choses à la fois, j’ai besoin d’espace et de temps pour m’y consacrer complètement. » Quant au titre, il envisage l’exosquelette comme une espèce de carapace protectrice de toute vulnérabilité ou d’armure contre les forces nuisibles. Ce titre suggère du reste une approche plus ouverte par rapport à l’écriture. Vue ainsi, l’entreprise ne relève pas de la seule vision du compositeur, mais de tous les participants. Michael Formanek s’inscrit donc dans la lignée des plus célèbres orchestres de jazz, Duke Ellington étant le modèle, mais se garde de puiser dans ses artifices stylistiques. www.ecmrecords.com
Malcolm Goldstein/Ratchet Orchestra
Soweto Stomp
Mode Records 291
Les grands orchestres de jazz ont toujours joué entre deux points limites, l’un épousant de près les intentions du compositeur (comme en musique classique), l’autre offrant une plus grande marge de manœuvre aux interprètes. Exemplaire à ce titre, Nicolas Caloia embrasse pleinement cette seconde voie comme chef du Ratchet Orchestra. En conversation, ce contrebassiste de métier avoue ne pas aimer voir des musiciens les yeux cloués sur des partitions; au contraire, il leur accorde une plus grande liberté, les laissant improviser collectivement ou leur assignant des consignes de jeu. De plus, il aime concevoir sa musique en fonction d’instrumentations atypiques, le big band lui étant même un peu étranger en raison de sa formation classique. Son ensemble, qui compte d’ailleurs quelques non-lecteurs, illustre bien son approche non orthodoxe, celui-ci se divisant en quatre quatuors hétérogènes, chacun comptant des saxos, cuivres, cordes et percussions en combinaisons variables.
Lancé à la fin mars, le troisième disque de l’orchestre se démarque de ses deux prédécesseurs. Caloia a délégué cette fois-ci toute la responsabilité musicale au violoniste Malcolm Goldstein. Personnalité de marque dans le monde de la musique contemporaine américaine et internationale, ce dernier est également une autorité sur la musique de John Cage et de Charles Ives, le second auquel il dédie une composition (In Search of Tone Roads 2). L’invité joue d’abord seul pour ensuite poser des cadres de jeu à l’ensemble dans les cinq plages restantes, la dernière, Soweto Stomp, faisant usage de traits mélodiques et rythmiques de la musique sud-africaine. Dans cette nouvelle réalisation, le Ratchet Orchestra s’éloigne considérablement de l’orchestre de jazz type pour s’affirmer comme un ensemble de musique créative de premier plan. www.moderecords.com
Philippe Côté (featuring Dave Binney)
Lungta
Mythology MR0013
À l’opposé de cette démarche collective, il y a l’autre point limite, celui du compositeur. Philippe Côté s’exprime ainsi dans son premier disque Lungta, dont le titre est un mot tibétain signifiant « cheval de vent ». Dans un programme de 14 plages, on entend non seulement une section rythmique jazz, mais une formation de 17 musiciens, deux chanteuses, lui-même au saxo ténor et, en invité spécial, l’altiste Dave Binney. Proposition musicale différente des albums précédents, celle de Côté est le résultat d’un montage de plusieurs séances en studio étalées sur une période de trois ans. Ce premier disque s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de ses études de maîtrise à l’Université McGill.
« J’ai toujours aimé composer, déclare le musicien, et j’aurais bien pu faire un disque en quintette, mais je cherchais une autre voie. J’ai étudié l’arrangement avec John Rea et une porte m’a été ouverte, c’est là que j’ai décidé d’écrire des arrangements pour orchestre, non pas de jazz, mais de chambre. » Dans un premier temps, le compositeur a travaillé avec la rythmique, ajoutant plus tard l’orchestre, les chanteuses et son invité. Qualifiant ce dernier de mentor, Côté lui doit aussi une autre chandelle, Binney acceptant de publier le disque sous sa propre étiquette. D’une facture très mélodique et reposant sur un langage harmonique assez familier, la musique est orchestrée de manière raffinée pour l’ensemble comprenant un hautbois, quatre clarinettes, deux flûtes, autant de cors et de trompettes, un trombone et un tuba. Sans nier complètement le lien avec le mouvement de jazz des années 1950 mariant la note bleue au classique (le Third Stream), Côté ne s’estime pas pour autant directement influencé par lui. Pour marquer la sortie de son disque, le saxophoniste vient tout juste de se produire en concert (2 avril) en invité de l’ONJ Montréal, adaptant quelques-uns de ses morceaux et d’autres de Binney. Si vous avez loupé le spectacle, on peut se rattraper avec ce disque de 75 minutes. www.philippecote.com
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