Journée internationale du jazz / Quand le 30 fait le mois

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En novembre 2011, l’UNESCO avait décidé d’instaurer une journée internationale du jazz dès le 30 avril de l’année suivante en guise de reconnaissance de sa riche histoire et de sa présence vigoureuse aux quatre coins du monde

Une cause, deux initiatives

Instigateur du projet, le célébrissime pianiste Herbie Hancock préside depuis les débuts le comité directeur, agissant à la fois comme porte-parole et ambassadeur spécial. Tous les ans, un grand concert gala (le Global Star Concert) couronne les festivités, prestation tenue dans une ville différente, l’année dernière étant la Havanne, Tanger au Maroc venant tout juste d’être dévoilée comme le théâtre de la prochaine grande fête.
Pourtant, le jazz était bel et bien fêté dans son pays d’origine avant même cette journée internationale du 30 avril. Dix ans auparavant, en 2002, avril au complet avait été élu comme mois de l’appréciation du jazz, autrement connu sous son acronyme JAM. Il aura cependant fallu cinq ans de tractations pour y parvenir, le concepteur de cette initiative étant John Edward Hasse, de nos jours conservateur émérite du jazz à l’Institut Smithsonian de Washington. Son initiative repose en fait sur un précédent, soit la désignation d’un autre mois consacré à l’histoire noire, lequel ne durait toutefois qu’une semaine entre 1926 et 1976 avant de s’étendre sur les quatre semaines de février. La JAM, pour sa part, s’est insérée dans le paysage culturel américain comme promotrice de concerts et d’événements à vocation éducative.
Bien que la journée internationale du jazz couronne le mois, elle est toutefois une entité distincte de la JAM, sa portée mondiale dépassant l’échelle strictement nationale de l’autre. Malgré cette distinction, l’objectif est identique, soit d’inciter des présentateurs à promouvoir cette musique sur une échelle locale et de leur offrir des plateformes de diffusion d’information sur leurs activités.

Pour le calendrier des activités promues par JAM : www.smithsonianjazz.org

Pour les activités prévues pour la journée internationale du jazz : www.jazzday.com/events/

Montréal / Au faîte de la fête

Après quelques années sans son événement spécial pour le jour J (un mardi), Montréal se remet au pas en fin de mois en convoquant sa communauté à un grand rassemblement sur scène. L’invitation est lancée à tout un chacun à venir faire un bœuf. L’étiquette Effendi prend les commandes de la soirée, marquant un point d’orgue de son festival Jazz en Rafale tenu dans les semaines précédentes. Félix Stüssi, pianiste de l’écurie, assurera le déroulement, présentant du reste sa propre formation Super Nova et la musique de son nouveau disque, tout comme François Bourassa et son quartette. (Lion d’Or, 20 h)

Cette soirée clôture donc un programme passablement chargé de spectacles en ville, présentés pour la première en coproduction avec Odd Sound Records, cet autre indépendant du jazz de chez nous géré par le trompettiste Jacques Kuba Séguin.

Autre partenaire dans l’aventure, l’Orchestre national de jazz de Montréal offrira le coup d’envoi des activités du mois avec une première, une commande d’œuvre accordée à Philipe Côté. L’orchestre accueillera également un soliste invité, le saxo ténor Donny McCaslin. Le choix de ce musicien de haut calibre n’a rien d’arbitraire : il cadre en fait avec le concept de la pièce, dont le titre Shades of Bowie est une référence directe à l’icône de la musique pop David Bowie, avec lequel l’invité a collaboré dans son ultime disque sorti au moment de sa mort en 2016. Ne vous attendez pas toutefois à des reprises des musiques du défunt, mais à des allusions plus furtives qu’explicites. (Cinquième Salle, mercredi 10, 19 h 30)

Effendi, pour sa part, propose ses deux ensembles les plus durables, soit son octette Jazz Lab, en scène le mercredi 17 pour marquer ses 20 ans, et, dix jours plus tard, l’Auguste Quartet du chef de la maison de disques et bassiste du groupe Alain Bédard, également de la partie dans l’autre ensemble. Alors que la première formation s’attaquera à une nouvelle composition de François Bourassa et une autre de sa consœur pianiste Gentiane Michaud-Gagnon, la seconde offrira un tout nouveau répertoire pour son prochain disque, réalisé dans le cadre de son 25e anniversaire. (Jazz Lab, salle du Gesù, 20 h. Auguste Quartet : Maison de la culture Mont-Royal, 19 h 30)

Outre McCaslin, d’autres invités étrangers seront de passage en ville, soit Fulvio Albano, un saxo ténor de Turin qui s’insérera dans le Jazz Lab, et le piano trio Jah venu tout droit de Pologne en première nord-américaine (vendredi 12, 20 h, Ô Patro Vys). Responsable de cette visite, Séguin se produira le même soir dans un tout autre ensemble, la fanfare F.S. le P., abréviation de Fanfare sous le pommier. De plus, il lancera sur son étiquette l’album d’un jeune espoir de la guitare étudiant à New York, Nick Semenykhin. (Dièse onze, mercredi 24, 21 h)

Toujours au Patro, Rachel Therrien, trompettiste de chez nous sillonnant le monde, sort de ses sentiers battus avec un projet plus expérimental, CAPI, un amalgame de musiques électroniques et de versets de la plume de son grand-père. En complément d’une soirée déclinée au féminin pluriel, l’excellent quartette contemporain Bellbird place le tandem de saxos Claire Devlin et Allison Burik à l’avant-scène, soutenues par la batteuse Milli Hong et le bassiste Eli Davidovici. (vendredi 26, 20 h)

Dans un tout autre registre enfin, Bourassa offrira sa Messe de jazz, projet qu’il avait monté en 1987 pour lui (au piano et à l’orgue) avec ses deux acolytes, bassiste et batteur. (Salle du Gesù, dimanche 14, en matinée à 11 h)

Information et billetterie www.oddsoundmusique.com

À lire en ligne : critique de concert (Leroux, Bourassa, Leblanc, Hollenbeck), salle Bourgie, 22 février

Toronto :  Présence d’un disparu

Musicien emblématique de la scène torontoise depuis les années 1960, le trompettiste Guido Basso a pourtant fait ses premières armes à Montréal, sa ville natale. Personnage chaleureux, il a suscité autant d’admiration et de respect de ses collègues que du public, son instrument de prédilection, le bugle, convenant parfaitement à son tempérament. L’annonce de sa mort au printemps de l’an dernier à quelques mois de ses 86 ans a endeuillé la scène, laquelle a décidé de lui rendre hommage dans le cadre de la journée internationale du jazz, édition 2024.

L’événement, dont la formule reste encore à établir à la tombée, se déroulera au Lula Lounge (1585, Dundas Ouest). Initiative lancée par la radio locale Jazz FM-91, la soirée fait l’objet d’une campagne de promotion soutenue sur ses ondes. Aux dernières nouvelles, une formation rassemblant des complices de longue date du disparu se produira, les élus étant le batteur Terry Clarke, le guitariste Reg Schwager, le bassiste Neil Swainson, le pianiste John Sherwood ainsi que deux trompettistes-émules, Brian O’Kane et Chase Sanborn.
Ce dernier, lors d’un échange de courriels, n’a que des éloges pour Basso, le considérant comme son mentor.

« Je l’ai rencontré la première fois en 1981, suivant ma décision de quitter San Francisco pour m’établir ici à Toronto, et je lui dois même ça. J’avais repiqué son solo sur la pièce Portrait of Jenny d’un album de l’ensemble Boss Brass, le rejouant constamment des semaines durant. C’est un chef-d’œuvre, je crois, un solo de bugle des plus achevés, et je ne suis pas le seul à le dire. »

Formé à la trompette, grand admirateur de Clifford Brown et de Miles Davis, Basso a préféré cet autre cuivre au timbre feutré, projetant pleinement son humanité à travers lui. « Guido avait ce sixième sens d’entendre la bonne note au bon moment et de la placer, renchérit Sanborn, et on le reconnaît après une ou deux notes seulement, juste par sa manière de les infléchir. Dans sa manière de chanter avec son instrument, il incarnait un idéal auquel nous aspirons tous. »

A Tribute to Maestro Guido Basso— 30 avril, 20 h, Lula Lounge

Information et billetterie :  www.lula.ca ou JAZZ.FM91: https:/jazz.fm

Les pantouflards peuvent aussi être de la fête le 30 avril en écoutant de chez eux une diffusion internet en direct des Studios Annette, soit la prestation du trio guitare-basse-batterie Lost in Transit. Pour information sur la connexion, contactez le batteur au courriel suivant [email protected].

Sarah Jerrom  / Chanteuse enchantée

À l’arrivée d’une nouvelle année, les mélomanes ont des attentes par rapport à la manne discographique à venir, espérant toujours dénicher quelques belles perles. Pourtant, avec le nombre de productions quelconques qui inondent le marché, ils sont sur leurs gardes, quoiqu’ils ne lâchent pas prise, souhaitant que la prochaine trouvaille leur parle.
Un bon candidat au titre de « découverte de l’année » pourrait bien être la Magpie Suite  de la chanteuse Sarah Jerrom. Projet d’envergure, son œuvre de 86 minutes s’étale sur deux compacts de durée égale, le premier comprenant cinq plages, le second trois. Pour réaliser sa musique, arrangée de sa plume, elle a engagé 17 instrumentistes, quatre voix, dont la sienne, et un chef d’orchestre. Au sein de la distribution figurent des pointures de premier plan de la scène jazzistique torontoise, Mike Murley et Kirk McDonald parmi les saxos, Kevin Turcotte chez les trompettes, même trois musiciens du milieu classique jouant flûtes, hautbois et cor français respectivement.

Quant à l’œuvre, la chanteuse expliquait dans un entretien en ligne récent qu’elle l’a créée en réponse au traumatisme occasionné par une fausse couche. En 2018, trois ans après cet incident, elle se plongea dans l’écriture durant une résidence de deux semaines au Centre des Arts de Banff. Il lui aura fallu donc six ans pour mener son projet à terme, repoussant six ou sept fois l’enregistrement jusqu’au printemps dernier – pandémie obligeant, entre autres choses. Même sa sortie, prévue pour l’automne dernier, a dû être retardée en raison d’un accident subi par son mari Rob McBride, bassiste de l’orchestre.

Dans la portée de cette œuvre, que l´on qualifierait de programmatique, l’auditeur se voit comme plongé dans un film imaginaire, nageant dans un conte de fées tramé sur un décor de pics enneigés. Le jour de son départ, la chanteuse se souvient d’avoir été saisie par les cris de corbeaux et de pies au seuil de sa fenêtre, remarquant leurs rituels d’envols défiant les déferlements de la tempête, expériences qu’elle voulait intégrer dans sa partition.
À l’écoute des premières plages, certains amateurs reconnaîtront une influence importante sur l’écriture de Jerrom : celle de Kenny Wheeler, l’un des premiers jazzmen canadiens à obtenir une reconnaissance internationale, non aux États-Unis, mais au Royaume-Uni, sa patrie d’élection.

« C’est indéniable, affirme la chanteuse, la seconde plage (For Joy) est ma dédicace à Kenny. Je suis aussi liée à lui d’une autre manière, car nous sommes tous deux nés à St Catherines, où je réside de nouveau après bien des années à Toronto. » Si sa musique et celle de son illustre prédécesseur se recoupent dans les premières plages, Jerrom s’en détache néanmoins, affirmant de plus en plus sa personnalité dans le deuxième disque.
Tout aussi bien ficelé que la musique est le livret, lequel contient les paroles de chacun de ses morceaux, ses notes descriptives et un essai liminaire très éloquent de Christine Jensen, compositrice de jazz de premier plan au pays qui a beaucoup encouragé sa jeune collègue dans son aventure.

Que ce soit dans la maîtrise de ses multiples compétences musicales et du travail impeccable des participants et participantes dans la réalisation de son projet, Sarah Jerrom a certainement franchi un pas important dans sa carrière, lequel pourrait lui donner un statut d’artiste à surveiller pour l’avenir.

Échantillons de l’album disponibles ici. 

Playlist https://www.youtube.com/watch?v=auqdQzSexdE

 

 

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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