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Peu d’étiquettes ont marqué les annales du jazz comme Blue Note Records. Déjà son nom révèle sa couleur musicale. Pour souligner son anniversaire, le documentaire intitulé It must schwing! a passé récemment à la télévision allemande NDR. Frisant les deux heures, cette production raconte l’épopée de ses cofondateurs Alfred Lion et Francis Wolff.
Épris de jazz, les deux hommes au seuil de la vingtaine se rencontrent en 1925 lors d’un spectacle de l’orchestre de Sam Wooding à Berlin, leur ville natale. Huit ans plus tard, le destin de ces fils de familles juives sera bouleversé par la prise de pouvoir du national-socialisme. Lion plie bagage pour l’Amérique. Son ami ne suivra que plus tard, assurant de justesse son passage sur le dernier bateau non contrôlé par les autorités.
Comme tant d’immigrés, ils poursuivront le fameux rêve américain, le leur étant conjugué aux rythmes du jazz. Avec peu de moyens, ils se mettent à enregistrer des musiciens noirs ignorés par l’industrie. Dès 1947, ils se tourneront vers ce nouveau jazz, dit moderne, stimulés par les premières séances offertes à un certain Thelonious Monk. Vingt ans plus tard, le catalogue Blue Note sera reconnu mondialement comme référence en matière de jazz américain.
Le trait le plus original du documentaire consiste à donner une dimension visuelle aux faits et anecdotes par des dessins animés. Filmé en entrevue avant sa mort en 1987, Lion témoigne. Plusieurs poulains de son écurie se livrent aussi : Herbie Hancock, Wayne Shorter et Ron Carter parmi les plus célèbres, voire Benny Golson, Lou Donaldson, Charles Tolliver et Sheila Jordan. Des extraits d’une trentaine de morceaux d’albums phares comme A Night at Birdland, The Sidewinder ou Maiden Voyage s’insinuent en arrière-plan. Signalons aussi les propos du critique Dan Morgenstern, de Michael Cuscana (l’historien de l’étiquette) et de l’ingénieur de son Rudy van Gelder, livrant ses observations à la caméra peu de temps avant son décès en 2016.
Malgré toute sa diversité, le documentaire garde les deux principaux protagonistes bien en vue. Lion, lui, était à la mesure de son nom : la forte personnalité qui transigeait avec les musiciens en leur répétant It must schwing de son fort accent allemand. Pourtant, après plus de 25 ans, il surprend tout le monde en 1965 en vendant ses intérêts à Liberty Records, laissant son ami Wolff aux commandes jusqu’à sa mort subite six ans plus tard. En partenaire silencieux, ce dernier communiquait très peu avec les artistes, préférant les photographier en studio pour le compte des inimitables pochettes du graphiste maison Reid Miles. Aussi complices qu’ils étaient dans leur travail, ces deux amis n’étaient pourtant pas proches sur le plan personnel. Lion a découvert seulement le jour de l’enterrement que son ami vivait avec une Noire et sa progéniture. Le documentaire ne fait aucunement mention des années d’après. Moribonde pendant un temps, l’entreprise a été remise sur les rails en 1985 par l’entremise de Bruce Lundvall, grand manitou chez EMI Records. Heureux de son beau voyage, Alfred Lion a dû certainement terminer ses jours en homme comblé.
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