Au rayon du disque : Il était deux fois (second volet)

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Dans le premier volet de cette ronde de critiques de disques, il était question de la nécessité de l’écoute d’enregistrements historiques pour apprécier les musiques du passé en toute authenticité. Mais qu’en est-il de reprendre ces musiques d’autrefois au temps présent ? Sont-elles nécessairement moins authentiques si on les confie à d’autres qui n’ont peut-être jamais connu l’époque de leur création ? Peuvent-elles toutefois l’être encore, si des participants aux séances originales les revisitent bien des années sinon des décennies plus tard ? Les disques suivants permettent de répondre à chacune de ces interrogations.

Le premier de ces documents s’inscrit dans une catégorie d’albums que l’on qualifie en jargon de Reunion album, ou « disque retrouvailles ». Le jazz ne manque pas de telles galettes, mais le cas du Peter Lemer Quintet (Son of Local Colour, ESP Disk) est exceptionnel, peut-être même inégalé dans les annales de la musique : imaginez cinq acolytes qui se retrouvent le temps d’un soir dans une boîte de jazz après… 52 ans ! Si, si. Le miracle s’est déroulé à Londres en février 2018 – et in extremis, car le batteur John Hiseman s’éteignait trois mois plus tard. Manquant à l’appel en raison de son état de santé, le saxo ténor George Khan est remplacé par l’un de ses contemporains, Alain Skidmore, un solide disciple coltranien de la première heure qui s’insère parfaitement au groupe. Ce dernier partage l’avant-scène avec le grand maître du saxo baryton John Surman, en merveilleuse forme ici. Accompagnant aussi ces deux solides souffleurs sont le bassiste Tony Reeves et le chef de la troupe, le pianiste Peter Lemer. Le titre de ce recueil généreux frisant les 70 minutes affiche sa filiation directe avec son prédécesseur (Local Colour) qui, coïncidence encore plus extraordinaire, est publié par la même maison de disques que l’original. Le fait que tous ces messieurs ont plus d’un demi-siècle de métier dans le corps plaide pour la cause du disque et les résultats sont si admirables qu’on dirait qu’ils ne se sont jamais perdus de vue. Ils s’investissent pleinement dans le répertoire joué en 1966, escamotant un titre pour le remplacer par une escapade un peu longuette sur Impressions de Coltrane, seul petit bémol. Si vous aimez du jazz qui chauffe au point d’ébullition, sans toutefois faire déborder la casserole dans les explosions du free jazz, voici un bel exemple de musiciens qui n’ont rien perdu de leur fougue d’antan.

Écoutez un extrait de cet enregistrement ici

Si la reprise précédente est une valeur ajoutée au document original, la même conclusion ne s’impose pas pour le second titre, A Tribute to the Clarke-Boland Big Band (Challenge Records International). Alors que Lemer et consorts bossaient dans la capitale britannique en pleine effervescence de la fin des années 1960, une grande formation multinationale prenait ses élans en sol européen, sa base se situant à Cologne : le Clarke-Boland Big Band. Ses codirecteurs, le légendaire batteur américain Kenny Clarke (Parisien d’adoption) et le pianiste arrangeur belge Francy Boland, bénéficiaient d’une élite de jazzmen du Vieux Monde et d’exilés américains comme Johnny Griffin et Art Farmer pour devenir la formation de référence du jazz orchestral du continent. Ses succès ont été brefs, sa dissolution en 1972 découlant en partie de la mort, un an auparavant, de son chef de la section de saxes, l’altiste Derek Humble. Le répertoire volumineux de cet ensemble tomba assez rapidement dans l’oubli, jusqu’à ce que le Bundesjazzorchester (l’orchestre de jazz des jeunes d’Allemagne, ou Bujazzo) le met dans son collimateur pour en présenter ses meilleurs numéros en concert. Cette surface de près de 80 minutes reprend sept arrangements de standards de la plume de son chef pianiste ainsi que six de ses compositions, la plus célèbre étant Sax No End, un solo virtuose tout écrit et joué à l’unisson par la section au complet. Jadis tromboniste substitut dans l’ensemble original, Jiggs Whigham dirige ses jeunes charges et se permet de bavarder entre les numéros (auf Deutsch!), des interventions qu’on aurait dû retrancher et ainsi raccourcir le tout d’une bonne dizaine de minutes. Si le plaisir est toujours au rendez-vous en écoutant la production de l’ensemble d’autrefois, la musique n’a pas très bien vieilli, d’autant plus qu’elle est reprise par une jeune formation qui respecte les partitions originales à la lettre, comme s’il s’agissait d’œuvres de la tradition classique figées dans le temps, la musique ayant un air quelque peu suranné à nos oreilles. On ne découragera point les amoureux du genre de s’en régaler, mais sachez que les notes du livret sont toutes en allemand, donc conçues pour un marché local plutôt qu’international. Dommage. Toutefois, les photos cinquantenaires agrémentant ces feuillets ajoutent une touche nostalgique de plus au produit final.

Écoutez cet enregistrement ici.

À lire aussi dans ce numéro : Off Festival de jazz – Retour en force 

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A propos de l'auteur

Marc Chénard is a Montreal-based multilingual music journalist specialized in jazz and improvised music. In a career now spanning some 30 years, he has published a wide array of articles and essays, mainly in Canada, some in the United States and several in Europe (France, Belgium, Germany and Austria). He has travelled extensively to cover major festivals in cities as varied as Vancouver and Chicago, Paris and Berlin, Vienna and Copenhagen. He has been the jazz editor and a special features writer for La Scena Musicale since 2002; currently, he also contributes to Point of Departure, an American online journal devoted to creative musics. / / Marc Chénard est un journaliste multilingue de métier de Montréal spécialisé en jazz et en musiques improvisées. En plus de 30 ans de carrière, ses reportages, critiques et essais ont été publiés principalement au Canada, parfois aux États-Unis mais également dans plusieurs pays européens (France, Belgique, Allemagne, Autriche). De plus, il a été invité à couvrir plusieurs festivals étrangers de renom, tant en Amérique (Vancouver, Chicago) que Outre-Atlantique (Paris, Berlin, Vienne et Copenhangue). Depuis 2012, il agit comme rédacteur atitré de la section jazz de La Scena Musicale; en 2013, il entame une collabortion auprès de la publication américaine Point of Departure, celle-ci dédiée aux musiques créatives de notre temps.

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