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Avec plus de cent ans d’histoire derrière lui, le jazz est une musique riche en histoire(s). Quel amateur ne s’adonne pas à la revisiter de temps en temps, même les plus branchés aux actualités musicales ? L’écoute d’une musique du passé nous la révèle dans toute son authenticité, vérifiant du même coup si elle tient bien la route. Si certaines vieillissent mal, d’autres semblent à l’épreuve du temps et nous interpellent par l’urgence de leur propos. Voici deux remarquables exemples, l’un complètement inédit, l’autre remis en marché après une longue indisponibilité.
Le 1er novembre 1970, un quintette dirigé par le batteur Roy Brooks jouait dans une salle de concert à Baltimore, le spectacle étant capté pour une diffusion radiophonique. Plus d’un demi-siècle plus tard, cette séance voit le jour sur une étiquette canadienne de Vancouver, Reel to Real Records (Understanding, Roy Brooks Quintet RTRCD-007). Avant même de glisser le premier des deux compacts de cette offrande dans le lecteur, on est frappé par le programme musical : cinq morceaux en plus de deux heures. La pièce-titre, par exemple, dépasse les 40 minutes, le thème étant exposé à mi-chemin seulement, suivant un long prélude de solos, le premier du trompettiste Woody Shaw (d’une dizaine de minutes !) à couper le souffle. Le reste de la formation brille également, soit le pianiste récemment disparu Harold Mabern, le bassiste Cecil McBee et le fougueux ténor Carlos Garnett, le chef alimentant le feu sacré de ses tambours et cymbales, même une scie musicale à un endroit. Véritable légende dans sa ville natale de Détroit, Brooks a connu ses heures de gloire aux côtés de Horace Silver, accompagnant ce dernier dans son quintette entre 1959 et 1964, cette formation ayant enregistré Song for My Father, le grand tube de l’étiquette Blue Note. Le groupe entendu ici est autrement plus audacieux dans sa démarche, se situant à mi-chemin entre le hard bop dominant alors le mainstream et un certain free jazz en plein éclatement. Si la performance a des allures de marathon, vu la durée des pièces, l’intensité et la passion avec laquelle les musiciens jouent sont tout simplement tonifiantes, d’où la pertinence de ce disque en ces temps où le goût du risque est plutôt mesuré dans le jazz contemporain. Voici un enregistrement que les Français qualifieraient de « disque d’émoi. »
Écoutez des échantillons de ce disque ici
Ce sens de l’abandon s’applique aussi à la réédition d’une collection de morceaux enregistrés quelques années plus tôt par l’un de nos plus célèbres fils montréalais, Paul Bley. (Touching & Blood Revisited – ezz-thetics 1108). En 1965, année de ces séances tenues durant une tournée européenne, le pianiste avait complètement largué le langage du bop et ses formules convenues. À titre d’exemple, la dernière plage Blood nous laisse entendre un musicien libéré de toute contrainte, ses accompagnateurs, le bassiste Mark Levinson et le batteur Barry Altschul, lui tenant tête dans ce véritable effluve sonore de près de 19 minutes. Tout aussi ouvertes sont les sept plages précédentes, quoiqu’elles soient plus retenues et resserrées (entre cinq et huit minutes). Sans ride aucune, ce document démontre que la vision du trio piano de Bley de cette époque était autrement plus novatrice que celle de son illustre contemporain Bill Evans, celui-là que le monde du jazz portait aux nues comme étant l’innovateur du trio piano. Cette parution, en revanche, remet les pendules à l’heure. (Le mois prochain, de nouvelles parutions à caractère historique.)
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