Lectures d’été

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Le mystère Monk

Sous la direction de Frank Médioni / Éditions Seghers, 2022  / ISBN 978-2-232-14541

Nous arrivent de France deux ouvrages on ne peut plus différents qui traitent de deux titans du jazz : Thelonious Monk et John Coltrane. Que Frank Médioni, apologiste de la note bleue de l’Hexagone, réussisse à pondre deux livres de plus de 300 pages relève de l’exploit. Bien que son nom soit sur les couvertures de deux, il n’a rédigé que l’avant-propos de l’un, un beau livre en reliure cartonnée de plus de trois kilos sur le grand moine du jazz, Thelonious Monk. Directeur de projet, Médioni a colligé un éventail de 135 textes de tous genres et 177 illustrations, lesquelles comptent une part importante de photos d’archives et une panoplie de dessins modelés sur le style des romans graphiques. Parmi les écrits, on dénombre des témoignages de plusieurs compagnons de route du pianiste (Davis et Coltrane, pour nommer les plus célèbres), des impressions de concerts d’amateurs, des textes purement poétiques ainsi que des hommages de célébrités aussi diverses que la regrettée chanteuse Amy Winehouse, le compositeur contemporain Pascal Dusapin ou encore le cinéaste Bertrand Tavernier. S’il y a un jazzman porté aux nues, c’est bien Monk, mais un livre comme celui-ci ne fait que consolider le mystère qui l’entoure, et ce, pour mieux assurer la pérennité du mythe. Marc Chénard

Paroles sans musique

Philip Glass / Cité de la musique – Philharmonie de Paris, 2017 / ISBN 979-10-94642-09-2

Le titre de cette autobiographie est un clin d’œil bien pensé à l’histoire musicale. Trois compositeurs restés célèbres (Felix Mendelssohn, Camille Saint-Saëns et Sergueï Rachmaninov) ont écrit des chansons ou romances sans paroles. Ici, Philip Glass inverse la formule et nous offre le récit de sa vie personnelle et familiale jusqu’à devenir l’un des compositeurs les plus en vue du XXe siècle. Les amateurs de son style minimaliste seront sans aucun doute ravis de voir l’envers du décor, depuis les premiers émois musicaux du jeune prodige, la personnalité artistique de son oncle et les paroles prophétiques de sa mère à la découverte des cultures orientales et extrême-orientales qui l’ont tant inspiré dans sa démarche créatrice. Les rencontres artistiquement marquantes de l’auteur, notamment celles avec les figures tutélaires que sont Ravi Shankar et Nadia Boulanger, sont parmi les chapitres les plus enthousiasmants du livre. Certains détails sur sa vie privée donnent certes une idée de sa personnalité, mais semblent assez anecdotiques au regard de sa grande histoire comme compositeur. Justin Bernard

John Coltrane L’amour suprême

Franck Médioni / Le Castor Astral, 2022 / ISBN 978-10-278-0339-2

S’il y a un cliché tenace dans les biographies de musiciens, et de jazzmen surtout, c’est de leur donner pour titre le nom de l’une de leurs pièces ou encore de leur album le plus emblématique. Ainsi en est-il de cet ouvrage sur John Coltrane,  dont le titre, bien sûr, est une traduction directe du disque éponyme et le plus célèbre de ce saxophoniste hors norme qui a changé la face de cette musique à tout jamais. La facture de ce bouquin en format poche se situe aux antipodes même de l’ouvrage sur Monk, car il ne contient aucune illustration. Sans notes de bas de page ni à la fin, ce livre se lit d’une traite, comme un roman. Pourtant, on constate que la grande partie du texte ne relève pas d’un travail d’écriture de l’auteur, mais d’un ramassis de citations, traduites de l’anglais, sinon repiquées de sources presque uniquement françaises. En appendice, on y retrouve une bibliographie et une discographie, mais on ignore d’où sont tirés la plupart des propos relevés par l’auteur ou si celui-ci a même effectué des entrevues. On notera d’ailleurs quelques propos cités deux fois et d’autres pillés dans l’ouvrage sur Monk. Dans un style romanesque, le livre passe, mais comme véritable étude, il faudra chercher ailleurs, la biographie de Lewis Porter (parue en édition française chez Outre-Mesure, voir référence dans sa bibliographie) étant de loin la plus étoffée. MC

Debussy et le mystère de l’instant

Vladimir Jankélévitch / Librairie Plon, 2020 (1976) / ISBN 10–2266307355

Dans cet ouvrage, l’auteur allie brillamment littérature et connaissances musicales pour servir magnifiquement le propos, à savoir le style musical novateur de Claude Debussy. Vladimir Jankélévitch n’est pas seulement musicologue, mais aussi philosophe. Les premières pages de Debussy et le mystère de l’instant sont très révélatrices de l’approche philosophique de l’auteur à l’égard de l’objet musical. À lire les textes de Jankélévitch antérieurs à celui-ci, on se rend compte à quel point le symbolisme, si cher au compositeur, inspire également le philosophe dans ses réflexions. Pour lui, la musique est synonyme de mystère, de sensation indéfinissable, insaisissable. On le doit notamment à son code caché, certes connu des musiciens, mais qui échappe au public. La musique est ce « presque rien pourtant essentiel », dit-il, un « je ne sais quoi » qui traîne dans l’atmosphère. En d’autres termes, Jankélévitch développe une pensée très proche de celle de Debussy dans ses propres écrits sur la musique. Il en résulte un ouvrage atypique, fruit d’un dialogue permanent entre deux théoriciens qui semblent se répondre à distance. Au fil des chapitres et des analyses, avec extraits de partitions à l’appui, une vision plus sombre de la musique se dégage néanmoins. En cet instant, celle-ci apparaît comme dangereuse, envoûtante, capable de faire perdre la raison, de réveiller les passions les plus excessives. C’est donc toute une dialectique que nous propose Jankélévitch : la musique tantôt comme manifestation du divin et du mystique sur terre, tantôt comme instrument diabolique de séduction tel le chant des sirènes dans L’Odyssée d’Homère. Un livre qui se veut une véritable épopée intellectuelle et que l’on invite à entreprendre sans hésitation. JB

Également. disponibles : d’autres critiques de livres en anglais ici.

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