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Tout commença au cours d’un dîner en 1985. Ted Perry, fondateur du label britannique indépendant Hyperion Records, demande au célèbre pianiste collaborateur Graham Johnson ce qu’il aimerait le plus enregistrer. La réponse de Johnson est simplement « tous les lieder de Schubert ». Perry accepta apparemment sur-le-champ. Schubert a mis en musique plus de 700 textes, principalement des lieder solos, mais aussi des mélodies pour ensemble vocal, presque toutes accompagnées au piano. Ironiquement, il faut dix-huit ans à Schubert pour composer ses lieder (1810-1828), le même temps qu’il faudra à Hyperion (1987-2005) pour tous les enregistrer et les diffuser en trente-sept disques compacts différents comportant plus de soixante chanteurs solistes. Johnson n’est pas seulement le directeur artistique du projet, il est le seul pianiste de la série. Il était, et demeure toujours, un visionnaire. Il conçoit tous les programmes et fait preuve d’un don pour choisir judicieusement ses interprètes non seulement en fonction des lieder, mais aussi des thèmes qui dominent la série et plusieurs des disques individuels. Il commence avec un coup de génie en demandant à Janet Baker d’ouvrir le bal. La série devient un véritable « who’s who » d’interprètes de lieder de la fin du XXe siècle; Elly Ameling, Arleen Auger, Lucia Popp, Brigitte Fassbaender, Margaret Price, Marjana Lipovsek, Edith Mathis, Thomas Hampson, Thomas Allen, Peter Schreier, Christoph Prégardien, Matthias Goerne et Ian Bostridge laissent tous de merveilleux témoignages de leur art et de l’art de Schubert.
La série se transforme en une sorte de portrait des chanteurs de lieder doués sur plus d’une génération. Or, au tournant du siècle, les derniers volumes incluaient de nouveaux chanteurs tels Gerald Finley, Simon Keenlyside et Christopher Maltman. La documentation qui accompagne les disques individuels est digne de mention. En plus du texte allemand de chaque lied et d’excellentes traductions anglaises, on recense les notes de Graham Johnson, lesquelles ont acquis un statut légendaire. Ces notes, y compris les commentaires sur tous les poètes, restent une mine absolue d’information et conduisent Yale University Press à commander l’ouvrage (en trois volumes), appelé Franz Schubert: the complete songs de Johnson. Schubert est assurément le plus grand compositeur de lied, et les interprètes, Johnson et Hyperion se sont dépassés pour créer une œuvre de référence.
Au début de 1931, la société Hugo Wolf lance une nouvelle idée, celle des « éditions de la société ». On propose aux abonnés une édition limitée de disques consacrés aux lieder de Wolf, sans doute le plus grand compositeur de lieder après Schubert. Malgré son lancement pendant la grande dépression, le projet prospère, avec des volumes individuels financés par abonnement public. Les enregistrements de la Société Hugo Wolf restent non seulement une exploration fascinante de l’un des plus grands compositeurs de lieder de tous les temps, mais un catalogue des plus grands interprètes de l’art du lied avant la Seconde Guerre mondiale. Entre 1931 et 1938, le producteur Walter Legge enregistre 145 lieder de Wolf en 148 versions (seuls trois lieder sont dupliqués) avec 14 chanteurs exceptionnels. La série débute avec la mythique Elena Gerhardt. Ses disques pour la société sont enregistrés à Londres en novembre 1931. Le reste tient de la légende. Ce premier volume de la société Hugo Wolf est l’une des raretés les plus recherchées de l’ère des 78 tours. Il s’en suit des volumes d’une importance incontestée; on entend les incomparables barytons Herbert Janssen et Gerhard Husch, le premier à la voix incroyablement intense et introspective, le second merveilleusement chaleureux et présent. On pense aussi à la version peut-être inégalée d’Alexander Kipnis des Michelangelo Lieder et le Feuerreiter de Helge Roswaenge ainsi qu’à l’art raffiné de Karl Erb. Elisabeth Rethberg dans Muhvoll komm’ ich est aussi éloquente que la glorieuse Tiana Lemnitz est radieuse dans Wiegenlied im Sommer. Plusieurs enregistrements perdus sont retrouvés plus tard et permettent de publier une édition complète des enregistrements de la société Hugo Wolf sur CD en début du siècle. L’édition est simplement indispensable.
Pour la génération d’interprètes d’avant la Seconde Guerre mondiale, le pianiste allemand Michael Raucheisen est l’accompagnateur de référence. Il travaille avec une génération de chanteurs tels les sopranos Frida Leider, Erna Berger, Elisabeth Schwarzkopf, les ténors Karl Erb, Peter Anders, Helge Rosvaenge et les barytons Karl Schmitt-Walter et Heinrich Schlusnus. Sans être un pianiste exceptionnel, il reste plus qu’habile et surtout inspirant. En revanche, son importance dépasse largement la dimension pianistique. En 1933, après avoir épousé la soprano Maria Ivogün, Raucheisen cherche à créer un catalogue complet de lieder sur disques. À partir de 1940, il occupe un important poste à la radio Berlin Rundfunk. C’est un poste lourd de conséquences, car après la guerre, on l’empêche de travailler pendant quelques années en raison de sa possible collaboration avec le régime nazi. Il travaille tout de même à conserver ce qu’il considère comme la gloire de la culture musicale allemande avant qu’elle ne soit anéantie pendant la guerre. En 2005, l’édition Raucheisen de 66 CD est publiée. Elle comprend plus de mille lieder offrant une vue d’ensemble complète du genre. Ses interprètes sont des légendes : Hans Hotter, Erna Berger, Anton Dermota, Peter Anders, Margarete Klose, Frida Leider, Julius Patzak et le jeune Dietrich Fischer-Dieskau. Raucheisen accompagne Hotter dans Winterreise en 1943, Anders dans sa version une décennie plus tard, puis Dietrich Fischer-Dieskau dans les lieder de Beethoven en 1952. C’est un immense monument qui témoigne de la richesse des compositeurs de lieder, mais aussi d’un âge d’or d’interprètes allemands.
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