Critiques CD Reviews

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Skye Consort & Emma Björling
Leaf Music, LM225
4/5

Sentez l’air frais du nord s’insinuer dans vos oreilles avec cette rencontre remarquable entre la chanteuse suédoise Emma Björling et l’ensemble Skye Consort formé de Seán Dagher (bouzouki, banjo, voix), Alex Kehler (nyckelharpa, violon, voix) et Amanda Keesmaat (violoncelle, voix). Né grâce à la complicité des artistes et au retard fortuit de l’avion d’Emma lors d’un retour de concert au Québec, l’album Skye Consort & Emma Björling compile des airs traditionnels scandinaves, anglo-saxons et acadiens ponctués de compositions instrumentales. L’album est bien équilibré dans le choix des pièces; le groove fleuri et ensoleillé dans The Banks of the Sweet Primroses révèle les talents d’arrangeurs des musiciens, la ballade En Ängel composée par Emma Björling est un pur délice qui trouve idéalement sa place dans le corpus. La chanteuse révèle une voix douce, souple, aérienne typique du folklore qui prend un caractère ornementé discret et toujours de bon goût dans le répertoire suédois qui lui va comme un gant. Les musiciens, habitués à mélanger les traditions, marient habilement la touche celtique aux accents populaires modernes, avec par moments des lignes et respirations baroques. Skye Consort et Emma Björling nous offrent un album poétique, délicat qui établit un pont naturel entre les folklores nordiques transatlantiques et fait revivre avec fraîcheur les traditions musicales ancestrales. Une franche réussite. Benjamin Goron

 

Beethoven: Piano Concertos
Jan Lisiecki, piano and conductor.
Academy of St. Martin in the Fields
Deutsche Grammophon 0289 483 7637 7 (3 CDs)
Total Time: 173:56
4/5

Parfois, les meilleurs disques se font à l’improviste. Pour son départ de l’étiquette Sony Classical, il était prévu que Murray Perahia enregistrerait les cinq concertos pour le 250e de Beethoven à Berlin, où il avait des concerts planifiés avec l’Academy of St Martin in the Fields. Mais Perahia a souffert d’une blessure récurrente à la main et a dû être remplacé par le Canadien Jan Lisiecki. L’équipe de Deutsche Grammophon s’étant déjà engagée pour l’enregistrement, elle est donc allée de l’avant. Et vous savez quoi ? Le résultat est meilleur qu’anticipé. Bien meilleur.

Lisiecki, 24 ans, erre un peu depuis son émergence à la fin de la décennie grâce à une technique et une sensibilité rarement vues chez un joueur aussi jeune et un attendrissant refus de jouter dans les arènes de gladiateurs des nouveaux pianistes à Varsovie et à Moscou. Peut-être attendait-il seulement son heure. Si c’est le cas, elle a sonné.

Ses interprétations des deux premiers concertos ont le mérite d’afficher une absence totale d’intentions. Lisiecki n’essaie pas de montrer que ces œuvres proviennent d’un Beethoven à peu près du même âge que lui, qui s’arrachait du style de Haydn et de Mozart pour marquer Vienne de son poing. Au contraire, sa lecture laisse libre cours au lyrisme et tient l’oreille rivée à la ligne mélodique.

Le jeu atteint les grandeurs dans le Concerto en do mineur qui, avec une approche audacieusement sobre, fait se déployer la musique couche par couche, emportant l’auditeur dans sa quête. Lisiecki, en tant que pianiste et chef, est un guide de confiance dans le labyrinthe luxuriant de l’esprit à peine pénétrable de Beethoven.

Le Concerto en sol majeur n’est pas moins impressionnant. Son ouverture feutrée est parfaitement calibrée et rien dans la partition n’est excessif. Je ne suis pas sûr de pouvoir compter ce Concerto no 5 parmi mes favoris de tous les temps, ne serait-ce que parce que le jeu de l’Académie ne se mesure pas à l’aisance calculée des orchestres de niveau supérieur de Vienne et de Berlin. Cela dit, je soupçonne que je pourrais finir par être conquis. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une magnifique réalisation par un jeune artiste canadien dont le manque d’empressement est énormément rafraîchissant en ces temps d’égos disproportionnés. Je ferais plusieurs détours pour entendre Lisiecki de nouveau, et je le dis en sachant que j’attends au moins trois autres séries de concertos pour piano tout juste envoyées par la poste. Norman Lebrecht

 

Chopin: Ballades and Impromptus
Charles Richard-Hamelin, piano.
Analekta AN 2 9145
Total Time: 59:45
5/5

Charles Richard-Hamelin démontre clairement ici qu’il méritait amplement sa médaille d’argent au Concours Chopin de Varsovie en 2015. La pureté du son, le raffinement du toucher, l’assurance avec laquelle il presse le jeu ou le modère, tout indique une maîtrise de haut niveau, sans parler d’une pleine appréciation de l’étendue de la pensée musicale de Chopin. L’ouverture en douceur de la Ballade en fa majeur ne laisse rien poindre – comme il est juste – des tempêtes à venir. Après quatre minutes de la Ballade en la bémol majeur, nous sommes enchantés par l’évocation toute naturelle de voix intérieures.

Les Impromptus démontrent qu’une approche détendue de la musique n’a nul besoin d’être banale. L’esprit agitato de la Fantaisie-Impromptu est joliment reflété dans un volume adouci et la mélodie des « arcs-en-ciel » échappe à sa réputation de sentimentalité. Les rafales de la main droite dans l’Impromptu no 2 en fa dièse majeur sont aussi engageantes qu’impeccablement brossées. À vrai dire, le simple aplomb du jeu de Richard-Hamelin pourrait faire sourciller ceux qui préfèrent une approche plus explosive à la Horowitz de ce compositeur. Pour ceux qui penchent pour une lecture à la Rubinstein, ce disque s’impose comme une évidence. La superbe captation des ingénieurs d’Analekta se perçoit dès le do résonant de la première ballade. Arthur Kaptainis

 

Beethoven: Clarinet Trio Op. 38.
Brahms: Clarinet Trio Op. 114.
Alexander Bedenko, clarinet; Kyril Zlotnikov, cello;
Itamar Golan, piano
Orchid Classics ORC100102
Total Time: 62:00
4/5

Le premier concert de Beethoven où il a mis de l’avant ses propres œuvres a eu lieu à Vienne en avril 1800. Il y avait joué, outre des œuvres de Mozart et de Haydn, sa propre Symphonie no 1, un concerto pour piano et un Septuor, opus 20, qui fut le clou de la soirée. Suivant l’idée que rien n’a autant de succès qu’un succès, Beethoven vendit à son éditeur une version supplémentaire du septuor, réduit à un trio pour clarinette (ou violon), violoncelle et piano, et enregistrée en tant qu’opus 38. Contrairement aux attentes, cette version n’a jamais connu la même popularité que le septuor. Et je ne me souviens pas d’avoir entendu un enregistrement vraiment saisissant.

L’interprétation d’Alexander Bedenko, Kyril Zlotnikov et Itamar Golan emprunte une approche sereine, cherchant des silences intimes entre les lignes instrumentales. Cela s’apparente à une conversation de famille où chacun prend soin de ne pas interrompre l’autre. Il s’agit de la version la plus solide que j’aie entendue jusqu’à maintenant de ce joyeux septuor.

Brahms, qui a acquis un amour tardif pour la clarinette, a réservé cet instrument pour ses créations les plus réfléchies, notamment dans l’ultime paire de sonates pour clarinette, opus 120. Dans le même élan créatif, il a écrit un quintette et un trio pour clarinette, le tout au profit du virtuose Richard Mühlfeld. Le trio, qui s’ouvre sur une ligne de violoncelle langoureuse, est du Brahms à son meilleur, contrôlant ses participants comme un animateur de talk-show veillant à ce que le propos ne tombe jamais à plat. En approchant de la mort, Brahms regardait fermement devant lui à la recherche de nouvelles lignes mélodiques. Il n’y a rien de vieilli chez lui. Il est vivant comme vous et moi. Norman Lebrecht

 

Shostakovich: Preludes and Piano Sonatas
Hyperion CDA68267
Total time: 79:13
5/5

Si j’écoute encore une fois Andrey Gugnin jouer Chostakovitch, je serai probablement contraint de me faire interner pour ma propre sécurité, du moins jusqu’après le Brexit. Mais ça se produira quand même. Comme le Brexit, d’ailleurs. Je n’y peux rien.

La musique de ce disque fascinant nous provient des tréfonds de l’âme du compositeur, qui l’a écrite au moment où il était accablé par des problèmes plus personnels que politiques. Sa Sonate pour piano no 1, composée en 1927 alors qu’il avait 21 ans, côtoie sa Symphonie no 2 et elle a beaucoup de traits communs avec la sonate de 1926 de Bartók, mais aussi avec celle d’Alban Berg.

La Sonate no 2, écrite au milieu de la Seconde Guerre mondiale, est une sorte d’épitaphe pour le professeur de piano de Chostakovitch, qui venait de s’éteindre. Dans l’intervalle, Gugnin interprète les Vingt-quatre préludes de 1932-1933, une série si introspective qu’elle fait penser à un homme qui se parle à lui-même devant le miroir. Bach est le modèle évident – comme il le sera vingt ans plus tard pour les Préludes et fugues, op. 87 – et pourtant, ce compositeur qui n’a pas voyagé et qui est resté cantonné dans l’enclave soviétique montre un intérêt pour un large éventail de cultures. Le cinquième des préludes se rapproche d’un Vaughan Williams pastoral et le septième ressemble à du Kurt Weill excité au café noir.

Gugnin, un jeune Russe qui a remporté un concours de piano à Sydney, en Australie, joue par moments avec une folle rapidité, uniquement pour montrer qu’il en est capable. Mais au milieu de cette agitation, il y a des moments de tendresse et contemplation profonde que j’éprouve le besoin de réentendre encore et encore.

L’étiquette Hyperion a connu son premier succès il y a de nombreuses années avec une interprétation captivante des Préludes et fugues, op. 87 par Tatiana Nikolayeva. Pour tous ceux qui connaissent ce disque épique, laissez-moi seulement vous dire que l’enregistrement dont il est question ici en est très proche. Il nous emmène presque ailleurs. Norman Lebrecht

 

Montero: Piano Concerto No. 1 “Latin Concerto.” Ravel: Piano Concerto in G Major.
Gabriela Montero, piano.
The Orchestra of the Americas/Carlos Miguel Prieto
Orchid Classics ORC100104
Total Time: 51:47

La plupart des musiciens mènent leur vie en essayant d’éviter les ennuis, particulièrement les tracas d’ordre politique. Gabriela Montero est une exception. Née au Vénézuéla et vivant en exil depuis l’enfance, elle s’est fait un nom comme une soliste flamboyante dans les concertos pour piano du 20e siècle. Comme rappels, elle a inventé ses propres riffs sur des thèmes demandés par le public. Au fil du temps, ceux-ci sont devenus de plus longues compositions.

Refusant d’ignorer la désintégration de son pays natal provoquée par le gouvernement, elle a infusé dans plusieurs de ses pensées musicales un message politique de rayonnement et d’espoir. L’œuvre principale de l’album est un Concerto pour piano de Montero qui fusionne des tropes latino-américains avec une vision de forme longue. Les thèmes sont accrocheurs et le développement ne fléchit jamais. Montero est résolument au premier plan comme soliste et l’orchestre, comptant une lourde section de percussion, joue les accompagnements en obbligato, la plupart sur des rythmes de danse et de jazz. Le concerto dure trente minutes et le finale Allegro Venezolano n’est décidément pas pessimiste. Montero affirme la vie. Le Vénézuéla renaîtra. Amusez-vous.

L’autre œuvre au programme est une exécution éblouissante du Concerto en sol majeur de Ravel, plus jazz que la plupart des interprétations et fort d’un authentique swing des années 1920. Dans l’Adagio, où Montero reprend son souffle, on saisit la pleine mesure de l’artiste originale qu’elle est. Norman Lebrecht

 

Memories of Places Past
Trio Dell’Aria
Really Records
3/5

Memories of Places Past est le premier album du Trio Dell’Aria; un trio inhabituel, constitué de la soprano Kripa Nageshwar, du clarinettiste Michael Westwood et de la pianiste Ruta Viavade. Sur cet album, ils ont choisi l’une des rares œuvres du répertoire composées pour leur effectif. Il s’agit des Six Lieder de Louis Spohr, composés en 1837. À cela s’ajoutent deux œuvres contemporaines de compositeurs canadiens : Memory of a Place, auquel le titre de l’album fait allusion, de Franck Horvat et Ashes of Soldiers de Colin Eatock.

À la clarinette, Michael Westwood démontre une bonne musicalité. Ses phrasés sont exécutés avec fluidité et ses aigus sont agréables à l’oreille. Toutefois, la captation sonore de l’enregistrement est telle qu’on l’entend beaucoup, presque trop par rapport à ses deux partenaires. Ruta Vaivade, au piano, est difficilement audible; un accompagnement qui manque à la soprano et au trio dans son ensemble. Outre le fait qu’elle ne soit pas assez soutenue musicalement et qu’elle paraisse ainsi manquer de conviction, Mme Nageshwar montre ses limites dans le médium-grave et le grave, sa voix n’étant pas assez timbrée. On retiendra, toutefois, son interprétation pleine d’émotions dans Ashes of Soldiers, dernière piste de l’album. Une œuvre magnifiquement composée par Colin Eatock, dont on rappelle ici le nom. Justin Bernard

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