Auto-Tune et Musique Classique : Harmonie ou Hérésie ?

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Controversés, les outils de correction de fréquence et de modulation des notes comme Auto-Tune et Melodyne font face à de sévères critiques, tout comme la plupart des outils apparus au cours de l’histoire de l’enregistrement.

Ils sont perçus par certains comme une façon d’améliorer les enregistrements et comme de véritables outils de triche par d’autres. C’est encore plus vrai avec les outils de correction de note, tout particulièrement dans le monde de la musique classique.

Depuis l’invention de l’enregistrement il y a plus d’un siècle, l’être humain cherche toujours à perfectionner le processus de reproduction de la musique. Différents formats ont été abandonnés; du cylindre de cire en passant par le ruban magnétique. Aujourd’hui l’analogique a laissé place au numérique. Les microphones, les préamplificateurs, les haut-parleurs, l’acoustique des salles et des studios continuent de se perfectionner.

Outre les progrès techniques, on peut maintenant même modifier la justesse des notes enregistrées en ajustant leur fréquence. Après l’enregistrement, ces outils permettent de changer la note que le violon a jouée ou que la voix a chantée, en la rendant plus aiguë ou plus grave.

En un clic de souris, on peut ajuster de plusieurs demi-tons : un mi devient un si ou un fa. On peut aussi modifier une note en intervalles plus petits que des demi-tons. Par exemple, si une note n’est pas tout à fait juste, juste en dessous de la note désirée, en un clic de souris elle devient parfaitement juste.

Quatre notes chantées avec modulation. Elles sont un peu en dessous du do sauf la deuxième qui est un peu au-dessus.

Les quatre notes sont maintenant très justes, sur le do, toujours avec autant de modulation.

Les notes ont été changées en do, ré, la et si toujours avec autant de modulation.

Modifier la fréquence d’une note est un exploit en soi, mais la modulation des notes peut aussi être modifiée. Il est possible qu’une note tenue ait quelques modulations, que sa justesse varie; elle peut baisser un peu entre l’attaque et la relâche. Une simple correction effectuée sur un logiciel de correction de fréquence maintiendra la justesse de la note sur toute sa durée. Un glissando malheureux entre deux notes peut donc disparaître très facilement. Le vibrato peut être exagéré ou peut être atténué jusqu’à disparaître complètement. On peut littéralement enchaîner une série de do et ensuite les arranger jusqu’à obtenir Le vol du bourdon.

La modulation (vibrato et glissando) a été complètement éliminée.

On obtient un enregistrement parfait en se débarrassant des traces de l’humain, imparfait, quitte à perdre l’émotion de toute une ligne qui tient à ses petites imperfections. Il est possible de se débarrasser des imprévus qui surviennent lorsque l’inspiration se manifeste et ainsi éliminer ce qui distingue les chanteurs les uns des autres.

En musique classique, il existe une culture de recherche de perfection, une perfection qui dans les faits est impossible à atteindre. Les outils de correction de notes découlent de cette quête de la perfection.

Malgré les réticences initiales, il est difficile de résister à ces outils qui sont à la disposition de tous. Ils permettent d’économiser du temps et d’obtenir de meilleurs résultats. Corriger une note n’est pas plus tricher qu’enregistrer la musique par sections et ensuite monter ces différents segments pour donner l’illusion que les musiciens ont joué la pièce en un coup du début jusqu’à la fin.

On triche déjà lorsque les musiciens enregistrent plusieurs fois les mêmes mesures et qu’on choisit ensuite la meilleure prise. On déplace quelques notes qui ont été jouées soit trop tôt, soit trop tard, puis on se débarrasse des bruits parasites (chaises, lutrins, pages…) dans l’enregistrement. Il se peut aussi que le soliste ait été enregistré séparément de l’orchestre et que de la réverbération artificielle ait été utilisée.

La musique classique a d’abord été écrite pour être jouée devant un public puis, lorsque l’enregistrement a été inventé, elle a été enregistrée. L’enregistrement est venu après et la référence reste l’exécution « en direct ». C’est l’interprétation de l’artiste ou de l’orchestre qui retient l’attention lorsqu’on écoute une œuvre composée il y 200 ans et déjà endisquée de multiples fois. L’enregistrement est considéré comme une représentation de l’artiste en spectacle.

En musique classique, on distingue encore entre un enregistrement studio et l’enregistrement d’un concert. On accepte plus facilement les modifications lorsqu’il s’agit d’un enregistrement en studio que lorsqu’il s’agit d’un spectacle. Un auditeur qui écoute un enregistrement « live » s’attend certainement à entendre une interprétation authentique et non le résultat de la manipulation d’outils.

Les enregistrements pourraient porter une mention indiquant au public s’ils contiennent de la correction de notes et du montage, comme des produits indiquent s’ils contiennent du gluten ou des traces de noix. Par contre, peu d’artistes ont vraiment intérêt à faire cela. Les auditeurs ont tellement envie de croire ce qu’ils entendent – et les artistes jouent leur rôle en nous permettant de continuer de rêver.

Comme dit Oscar Wilde : « Mentir, raconter de belles choses fausses, est le but propre de l’Art. »

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