Yourcenar: une poésie en mots et en images

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Le 28 juillet, au Palais Montcalm, le Festival d’opéra de Québec présentait l’opéra Yourcenar – une île de passions en première mondiale, fruit de la collaboration entre les écrivaines Hélène Dorion et Marie-Claire Blais, pour le livret, et le compositeur Éric Champagne, pour la musique.

Faire un opéra sur une auteure et créatrice aussi marquante que Marguerite Yourcenar (1903-1987), première femme à être admise à l’Académie française, signifie inévitablement que l’on accorde une importance particulière aux mots. De fait, le livret, magnifiquement écrit, a plus d’une fois pris le pas sur la musique. Certains passages avaient été enregistrés au préalable pour exprimer la voix intérieure de Marguerite, méditant sur sa vie et son œuvre, et ont été diffusés sans accompagnement musical. Cet effet de dénuement où seul le texte demeure, comme au théâtre, a donné lieu à des scènes d’une rare sincérité sur les sentiments du personnage. À d’autres moments, Éric Champagne ne donnait à sa partition qu’une impulsion rythmique pour que le chant se confonde avec la parole et fasse encore mieux ressortir le propos.

L’œuvre du compositeur est un modèle de prosodie. On aurait tort de la rattacher à un style en particulier car elle répond d’abord et avant tout aux exigences et aux nombreux changements dramatiques du livret. Au début de l’acte II, quand la querelle a éclaté autour de la nomination de Marguerite à l’Académie française, la musique a elle aussi fait éclater des voix discordantes. Avec une étonnante économie de moyens musicaux, Éric Champagne parvenait, en outre, à suggérer le caractère bon ou néfaste d’un personnage arrivant sur la scène.

Photo: Louise Leblanc

Du côté de la mise en scène, justement, l’esthétisme était saisissant. Les différents tableaux paraissaient parfaitement bien équilibrés, chaque chanteur occupant la place qu’il devait occuper. Les mouvements et les gestes étaient lents, mais toujours exécutés avec grâce (hormis les poses de l’amant dévergondé de Marguerite, Jerry, en robe de chambre et maillot de bain !). Parmi les images fortes de cette mise en scène que l’on doit à Angela Konrad, on retient l’évocation de la mort de Grace, première amante et compagne de Marguerite, puis celle de Jerry, à l’acte II. Dans les deux cas, les personnages quittaient la scène d’un pas lourd et, sous une lumière blanche provenant des coulisses, passaient dans l’entrebâillement de deux blocs de décors pour ne plus jamais revenir.

La poésie de cette production tenait également à la présence de la vidéo. On y voyait tantôt de l’animation, tantôt des images d’archives, tantôt des plans sur le visage de Grace et de Jerry, réalisés en noir et blanc en amont du soir de la première. Le fait de voir d’aussi près les chanteurs incarnant ces deux personnages, en l’occurrence Kimy McLaren et Hugo Laporte, donnait à la production une émouvante humanité.

Choeur d’hommes. Photo: Louise Leblanc

La soprano et le baryton ont livré une excellente prestation tant sur le plan vocal que scénique. La mezzo-soprano Stéphanie Pothier, quant à elle, a donné le sentiment de se fondre corps et âme dans le personnage de Marguerite, à la fois dans ses élans et dans ses souffrances. À noter aussi la bonne prestation de Jean-Michel Richer dans le rôle de Daniel, « l’ange de la mort » qui conduira Jerry à sa perte. Saluons enfin le chœur d’hommes et de femmes, très présents tout au long de l’opéra et aux multiples emplois: représentants de la foule aux côtés des principaux protagonistes, commentateurs, narrateurs de la vie de Marguerite avant sa rencontre avec Grace, etc. Ces multiples emplois n’étaient pas sans rappeler le rôle du chœur dans le théâtre de la Grèce antique.

Les Violons du Roy, que l’on avait ici la chance d’entendre dans un répertoire contemporain,  étaient placés derrière la scène, sous la direction de Thomas Le Duc-Moreau, et ont parfaitement rendu le caractère changeant de la musique, au plus près des mots.

Yourcenar – Une île de passions. Livret : Hélène Dorion, Marie-Claire Blais; musique : Éric Champagne. Salle Raoul-Jobin du Palais Montcalm, les 28 et 30 juillet. Reprise à la salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau, à Montréal, les 4 et 6 août. À noter enfin qu’il y aura un concert-conférence autour de ce même opéra à la Salle Bourgie. Cliquer sur le lien ici pour les détails.

 

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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