Le concert de l’Orchestre métropolitain, le 27 février à la Maison symphonique, a failli ne pas avoir lieu, mais au regard de l’actualité, il était ô combien important. L’administration avait dû faire face à non pas un, mais deux changements d’artistes en l’espace de quelques semaines. Dernier en date, le pianiste Serhiy Salov remplaçait André Laplante au pied levé dans le Concerto no 1 de Liszt, pièce centrale de la nouvelle mouture du programme (à l’origine, Miloš Karadaglić et sa guitare devaient jouer les premiers rôles).
Si la pandémie et les problèmes de santé sont la cause de ces changements, la tonalité de l’événement était d’abord et avant tout marquée par l’autre fait international majeur qu’est la guerre déclaré en Ukraine et l’invasion russe qui a mis la capitale nationale, Kiev, à feu et à sang. Par la plus grande des coïncidences, le chef d’orchestre Nicolas Ellis, également remplaçant, a pu compter sur le renfort d’un pianiste d’origine ukrainienne, né dans la région du Donbass selon les dires du directeur général de l’OM Jean Dupré lors de son allocution. Dès son entrée sur scène, l’enfant du pays Serhiy Salov a été accueilli en triomphe. Son énergie était celle d’un homme prêt au combat, prêt à en découdre. Le piano allait être son instrument de représailles, son arme contre la barbarie.
Quand la musique devient un acte politique
Le pianiste au physique imposant a joué avec l’instinct d’une bête de scène. La puissance de son jeu et son ardeur au clavier ont tout emporté sur leur passage. L’interprétation était fluide, impétueuse, mais il lui manquait la délicatesse et le souci du détail. Et pourtant, ces défauts en ont fait une qualité. Serhiy Salov a eu le mérite d’offrir au public une prestation hors du commun, en parfaite résonance avec le drame humain qui est en train de se produire en Ukraine. L’occasion pour l’artiste de poser un acte politique, patriotique, qui n’a laissé personne indifférent.
Alors que l’orchestre achevait les dernières mesures du concerto, Serhiy Salov a sorti un drapeau ukrainien des entrailles du piano et l’a brandi avec fierté devant la foule. Dans un discours enflammé qui n’a pas manqué de faire réagir, Serhiy Salov a parlé d’ “assassins” et comparé la taille des tuyaux de l’orgue Pierre-Béique à celle des missiles dirigés contre son pays. De retour sur scène pour un rappel, il a interprété le Nocturne op. 48 de Chopin en y intégrant un fragment de l’hymne ukrainien. Tout un symbole.
En puisant leur inspiration dans le répertoire folklorique, les deux autres œuvres au programme ajoutaient au thème de l’identité et de la fierté nationale. Coïncidence, encore une fois… Les Danses de Galánta de Kodály exprimaient une énergie festive, parfaitement rendue par Nicolas Ellis, et ont mis en valeur toute une variété d’instruments, y compris le cor et la clarinette. Les Danses symphoniques de Rachmaninov ont fait briller le hautbois en particulier et ont offert un registre diamétralement opposé à celles du compositeur hongrois : des pulsions fauves et des rythmes syncopées qui induisent une certaine folie. Un programme équilibré, très bien conçu, et un concert de solidarité qui allait bien au-delà de l’expérience musicale.