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Un deuxième opéra de la tétralogie et deuxième librettiste : après Backstage at Carnegie Hall, Tim Brady poursuit son cycle de créations dans le répertoire lyrique en faisant appel cette fois à l’autrice de théâtre franco-ontarienne Mishka Lavigne. Pour elle, l’écriture d’un livret d’opéra constitue une première. Rencontre avec une femme issue du monde du théâtre, au diapason de la musique contemporaine.
Lauréate de plusieurs récompenses, dont le prix littéraire du Gouverneur général et le prix littéraire Jacques-Poirier en 2021 pour sa pièce Copeaux, Mme Lavigne se souvient de la première rencontre avec le compositeur. C’était en 2018, à Montréal, par une journée de grosse tempête hivernale, qui n’allait en rien présager de la suite du projet. Paul Lefebvre, du Centre des auteurs dramatiques (CEAD), dont elle est également membre, a servi d’intermédiaire.
« Tim cherchait un ou une librettiste qui pourrait écrire dans les deux langues sans avoir besoin de passer par une traduction. Paul lui a donné mon nom. En effet, j’ai écrit du théâtre en français, en anglais, je traduis aussi dans les deux directions. Je crois que j’étais la bonne personne pour un projet comme celui-là qui est bilingue. »
Premiers contacts
L’essentiel de l’écriture du livret s’est fait entre l’année 2020 et le début de 2021. Tim Brady en a reçu une première version à l’automne 2020 et a alors commencé à composer la musique. Mishka Lavigne confie qu’il y a eu beaucoup de va-et-vient entre eux pour ajuster tantôt le texte, tantôt la musique. Parmi ces changements, des phrases importantes à répéter ou des coupures nécessaires. Une autre étape dans le travail de création a été franchie lorsqu’Anne-Marie Donovan s’est jointe à l’équipe pour assurer la mise en scène. Le tout a culminé dans un premier laboratoire en musique, d’une durée 10 à 12 minutes, en décembre 2021. « Je ne savais absolument pas à quoi m’attendre. Tous les participants étaient masqués, ce qui en faisait un drôle de laboratoire. Je ne lis pas la musique, mais je me suis dit que j’allais me laisser surprendre. C’est de l’opéra contemporain, avec des sonorités auxquelles on est moins habitué. L’instrumentation comprend de la guitare électrique en accompagnement au chant lyrique. J’ai été agréablement surprise et j’ai très hâte de voir ce que ça va donner. »
Pendant la même période, Tim Brady était en train d’écrire un concerto pour cent guitares. « J’ai trouvé ça tellement fascinant, avoue Mishka Lavigne. Et puis, en février 2023, je suis aussi allée voir la création de son concerto pour violon à la Maison symphonique par l’Orchestre symphonique de Montréal. Ça m’a permis d’entrer dans ce nouveau monde. Je ne viens pas du milieu de la musique, alors c’était pour moi une belle découverte. J’ai beaucoup aimé le processus d’écrire un livret d’opéra. Je le referais. »
Mishka Lavigne fait le parallèle avec son expérience comme autrice dramatique. « Au théâtre aussi, il y a beaucoup de laboratoires avec les comédiens. Autour de la table, on jase du texte, on développe, on pose des questions, le texte continue d’évoluer. Quand la mise en scène arrive dans le processus, on retravaille encore beaucoup le texte. Ça peut aller jusqu’à quelques mois seulement avant la première. À l’opéra, c’est un peu la même chose. Il y a eu des changements, certes mineurs, mais néanmoins des changements quand les chanteurs ont commencé à répéter pour de bon au mois de décembre 2023. »
Sur les cinq interprètes ayant participé au laboratoire en 2021, seulement deux seront à l’affiche du spectacle aux côtés de trois nouveaux solistes, les 27 et 28 avril prochain à l’Espace Orange de l’Édifice Wilder. Il s’agit de la soprano Jacqueline Woodley, de la mezzo-soprano Marie-Annick Béliveau, du ténor David Menzies ainsi que des barytons Pierre Rancourt et Clayton Kennedy.
Information
Certains personnages parlent français, d’autres parlent anglais, mais ils se comprennent. Voici la prémisse de départ de cet opéra, Information, comme le raconte la librettiste : « L’action se déroule dans une salle de nouvelles qui n’a jamais existé. Deux journaux français et anglais partagent l’étage d’un édifice de Montréal. Les journalistes francophones et anglophones se retrouvent ainsi dans un même lieu. Ils se croisent, se parlent et travaillent ensemble. »
Le sujet d’actualité qui les occupe tous : la crise d’octobre 1970, marquée par la violence, les attaques à la bombe et les enlèvements de personnalités publiques. Mishka Lavigne s’est documentée sur cette période tumultueuse pour le Québec. Elle a épluché des archives de journaux, de part et d’autre, et a observé une certaine divergence dans la manière de traiter l’information. Côté francophone, on semblait davantage mettre l’accent sur le Front de libération du Québec, son organisation et son agenda politique, tandis que du côté anglophone, la couverture médiatique semblait être dominée par des reportages sur les bombes dans les boîtes aux lettres, notamment à Westmount. « La famille de mon père était en Estrie; celle de ma mère, en Outaouais, la plupart dans la région d’Ottawa-Gatineau. On dirait que c’était moins présent, beaucoup moins qu’à Montréal. Je connaissais les grandes lignes, mais j’étais tombée dans mes recherches sur un récit jour par jour de ce qu’il s’était passé en 1970 et c’était très intéressant pour moi. Il y avait beaucoup de choses que je ne savais pas, ou beaucoup de choses que j’avais vues simplement défiler », admet-elle.
Ces événements demeurent toutefois la trame de fond de l’opéra sur laquelle viennent s’ajouter un homme et une femme qui vivent leurs propres crises existentielles. « Ce qui m’intéresse beaucoup quand j’écris, c’est l’élément humain. Je l’ai dit à Tim dès le départ et il m’a laissé beaucoup de liberté pour aborder des thématiques qui vont dans ce sens. Il y a le personnage de Mary, une journaliste anglophone qui arrive pour la première fois dans une salle de nouvelles. Elle est jeune et essaie de faire ses preuves. Elle est très fière de se retrouver soudainement avec ces responsabilités, mais est entourée de gens qui n’approuvent pas, parce qu’elle est une jeune femme et qu’on est en 1970. »
Sylvain, le journaliste francophone, est à l’autre bout du spectre, raconte la librettiste. « Il approche de la retraite, il commence à penser qu’il a fait son temps, qu’il faut laisser la place aux autres. Il se rend compte un peu aussi qu’il est passé à côté de quelque chose en étant aussi investi dans son travail pendant longtemps. Il parle, par exemple, de ses filles qu’il n’a pas vraiment vu grandir, du fait qu’il était tout le temps occupé, en train de chasser l’information. Mary et Sylvain ont ça en commun. Ce sont des personnes très investies dans leur travail, qui considèrent que c’est vraiment essentiel à la société et c’est vrai. »
Le troisième personnage de l’intrigue, la voyageuse dans le temps, est récurrent dans tous les opéras de la tétralogie de Tim Brady. « Dans Backstage at Carnegie Hall, un personnage mystique emmenait Charlie Christian à différents endroits dans le présent, mais aussi dans le passé. C’est un peu la même chose ici. La voyageuse rencontre Mary et l’informe que quelque chose va se passer. La journaliste se demande alors si elle peut arrêter l’événement, prévenir la mort du ministre Pierre Laporte, prévenir les événements à venir ou si c’est impossible. »
Les années 1970, c’est aussi la guerre froide, le contrôle de l’opinion et la censure que subissent les artistes en Union soviétique. Mishka Lavigne a souhaité rappeler cette réalité en faisant apparaître la voyageuse dans le temps sous les traits d’une danseuse de ballet ayant fui l’URSS. « La défection des artistes soviétiques faisait partie de l’histoire de l’Occident à cette époque. C’est arrivé près de chez nous avec Mikhaïl Baryshnikov, figure importante du mouvement. Il n’est pas le seul à avoir choisi l’exil au Canada. »
Enfin, les raids de la police à la clinique du Dr Henry Morgenthaler sont à mettre au tableau des années 1970. « On est aux débuts du droit à l’avortement. Ça fait partie de ce qu’était Montréal à l’époque pour une femme comme Mary, pour un homme comme Sylvain. » L’autrice précise : « La question qui se pose, c’est celle de son choix à elle, notamment après avoir rencontré la voyageuse dans le temps : “Est-ce que je fais une erreur si je le garde ? Et si je me fais avorter ?” Au final, il est impossible de savoir, on ne peut qu’avancer et voir ce qu’il adviendra. »
Possibilités nouvelles
Les thématiques que Mme Lavigne aborde habituellement dans ses pièces de théâtre ont désormais une autre portée grâce au médium, qui représente pour elle une nouveauté. « C’est la nature de l’opéra, même de chambre, que tout devient plus grand que nature, très épique. C’est intéressant de pouvoir aller jouer dans cette force-là. Mon théâtre aborde ces sujets, mais d’une autre façon. Il n’y a pas l’appui que la musique apporte à l’action. Je suis fascinée de pouvoir ainsi y aller à fond, avec un sujet aussi grandiose. »
Son rapport à la musique
Plus jeune, Mishka Lavigne s’est jointe à des chorales d’écoles, elle a reçu des cours de chant, mais la musique ne fait pas partie de son bagage, dit-elle. « La première fois que j’ai vu un opéra, je devais avoir 20 ou 21 ans. J’étais à l’université, j’étais allée au Centre national des Arts pour voir un opéra italien, Le Barbier de Séville, je crois. Comme consommatrice de musique, j’aime aller écouter un orchestre quand je peux. Il y a des compositeurs que j’aime plus que d’autres, mais c’est venu sur le tard. »
L’écoute musicale a longtemps fait partie de ses habitudes d’écriture. « Il est arrivé, une fois, que je travaille un texte sans trouver la musique qui convenait à mon humeur, alors j’ai abandonné l’idée. Depuis ce temps, on dirait qu’il est plus facile pour moi d’écrire sans musique. J’essaie toutefois de ramener ça dans ma pratique, en sachant que les paroles peuvent être une source de distraction. J’ai par exemple écrit Copeaux en écoutant Sigur Rós, groupe de rock islandais. En ce moment, j’écoute beaucoup de musique instrumentale, notamment de Ludovico Einaudi. »
Retour au théâtre
Mishka Lavigne travaille actuellement sur un triptyque de textes pour le théâtre, un cycle « gothique boréal », qui se passe dans le nord de l’Ontario. Cette œuvre en trois parties sera jouée à travers le Canada sur une période d’environ 3 ans de création. « C’est mon projet d’envergure. Par ailleurs, je travaille sur un texte avec l’autrice Pascale St-Onge, intitulé Girlboss, qui soulève les enjeux du capitalisme et du patriarcat. Enfin, il y a l’adaptation du roman Faunes de Christiane Vadnais avec l’auteur de bande dessinée Christian Quesnel et le metteur en scène Éric Jean. On est en train de bâtir un projet interdisciplinaire déjanté où la vidéo et le numérique occupent beaucoup de place. »
Information, opéra de Tim Brady sur un livret de Mishka Lavigne. Mise en scène : Anne-Marie Donovan. Interprètes : Jacqueline Woodley, soprano, Marie-Annick Béliveau, mezzo-soprano, David Menzies, ténor, Pierre Rancourt et Clayton Kennedy, barytons, Pascal Germain Berardi, chef. 27 et 28 avril, Espace Orange de l’Édifice Wilder, Montréal. Billets disponibles sur www.levivier.ca
Playlist
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