Le Fairy Queen de William Christie: À travers les générations

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Depuis trois ans, William Christie a pris l’habitude de revenir au Canada dans le cadre de tournées estivales avec son orchestre, Les Arts Florissants, et son académie pour jeunes artistes, Le Jardin des voix. Ensemble, ils ont conquis le public d’ici par des spectacles consacrés à la musique de Haendel. Après L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato, en 2022, ils présentaient l’année suivante une nouvelle production de l’opéra comique Paternope au Festival international de Lanaudière.

C’est désormais The Fairy Queen de Purcell, autre compositeur anglais emblématique de la période baroque, qui est attendu au Canada; d’abord au Toronto Summer Music (11 juillet) et de nouveau à Joliette (13 juillet), pour une troisième présence d’affilée inédite au pays. Le chef d’orchestre et claveciniste américain, déjà auréolé du succès de cette production originale sur le continent européen, était de passage à New York pour enseigner à ses élèves de la Julliard School et y donner un concert. Entretien avec un musicien passionné par la transmission.

Liens avec le Canada

Sur son histoire avec le Canada, William Christie raconte : « Il y a 40 ou 50 ans, j’ai fait des concerts à Toronto, à Montréal également. Même avant ça, il y a eu une tournée extraordinaire en 1964, je crois, avec le Harvard Glee Club [plus ancien chœur d’hommes universitaire aux États-Unis]où j’ai traversé le Canada en commençant par la Colombie-Britannique et en terminant par la Nouvelle-Écosse. Il faut dire que je suis natif de Buffalo, à quelques kilomètres de Toronto. »

L’ouverture au théâtre et à la danse

Fondés en 1979, Les Arts Florissants ont acquis la réputation d’orchestre baroque de référence, en concert et sur disque. Ils ont à leur actif de nombreuses productions d’opéra importantes qui, au fil des ans, ont inclus soit une participation chorégraphique, des soirées purement chorégraphiques ou alors un travail conjoint avec des chorégraphes contemporains comme Maguy Marin, Jiří Kylián et Trisha Brown. C’est encore le cas avec The Fairy Queen. L’architecture de cette production remonte à 1989, à Aix-en-Provence, rappelle William Christie. D’importants changements ont été opérés, de sorte qu’elle ne tisse plus de ponts avec le théâtre comme autrefois, mais avec la danse. Le tout est placé sous la supervision du chorégraphe Mourad Merzouki, qui signe ici sa première mise en scène d’opéra.

L’adaptation, par Purcell, du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare avait de quoi plaire au chef d’orchestre. Fasciné par le théâtre, William Christie avait d’abord misé sur un alliage entre les deux formes d’art avec la participation de comédiens issus de la Royal Shakespeare Company. Trente-cinq ans plus tard, il choisit de revisiter l’œuvre et, par le fait même, son approche initiale. Accompagnés par les instrumentistes des Arts Florissants, huit solistes, lauréats de l’académie, se retrouvent projetés dans ce conte de fées intemporel aux côtés de danseurs contemporains issus des rangs de la compagnie Käfig. Au menu, musique baroque, hip-hop et street dance. C’est en ces termes que le New York Times, entre autres, salue la venue au monde de cette Fairy Queen 2.0.

Pour William Christie, il est davantage question d’ouverture à la création et à la nouveauté que de démocratie culturelle. « Je suis tout à fait pour ce mot de démocratie, dont on parle beaucoup en ce moment. Il y a effectivement des formes chorégraphiques qui évoquent des éléments populaires et c’est très bien. Mais c’est d’abord un enjeu de qualité. Je suis favorable à toute forme d’expression, mais à condition que ça représente quelque chose d’artistiquement plus élevé que ce qui a déjà été fait. Je n’ai jamais changé d’avis là-dessus. »

William Christie assume : « Faire et refaire des chefs-d’œuvre est une constante dans la vie artistique occidentale. Combien de fois La Traviata ou Carmen sont représentés à travers le monde ? Ce sont des œuvres qui ont acquis une immortalité et qui peuvent donc être redéfinies, réadaptées ou simplement réinterprétées. Nous le faisons ici avec The Fairy Queen ou encore avec les grandes œuvres de Haendel comme Ariodante. » Malgré le nombre de reprises qu’il a faites au cours de sa carrière, par exemple de Didon et Énée, la passion demeure intacte. « On retrouve sans cesse des choses nouvelles qui nous avaient échappé. On ne travaille pas avec les mêmes chanteurs, instrumentistes, danseurs ou metteurs en scène. La découverte survient en s’associant à de nouvelles personnes et c’est alors qu’une certaine musique se révèle. Même s’il a joué des dizaines de fois une même œuvre, un interprète voudra la voir évoluer, c’est évident. »

D’hier à aujourd’hui

Parlant d’évolution, William Christie a été le témoin privilégié de toute une génération de chanteuses et de chanteurs passés par Le Jardin des voix, une institution fondée en 2002 et qui leur a servi d’inestimable tremplin dans la vie professionnelle. Il déclare sans détour : « Le niveau d’un chanteur ne change pas. Certains sont médiocres, d’autres sont prometteurs. Le grand changement concerne plutôt le répertoire que chantent ces jeunes artistes. Il y a 40 ou 50 ans, des concerts de musique ancienne n’existaient presque pas. Et si cette musique était chantée, elle l’était de manière standardisée. Avec une seule technique et une idée du style, on pouvait aborder tout le répertoire vocal, y compris l’opéra. Aux Arts Florissants, nous avons choisi une autre voie, une qui mettait en valeur la musique ancienne grâce au respect qu’on doit à une interprétation dite historiquement informée. Cela veut dire qu’un chanteur qui était voué à interpréter Mozart ou des compositeurs du XIXe siècle a maintenant la possibilité d’élargir son répertoire avec Haendel, Vivaldi, Rameau. C’est ce qui est la grande différence entre l’époque d’avant et maintenant. »

Liens avec la France

Le soutien vient non seulement des Arts Florissants, mais aussi de l’État français. Il en résulte une attractivité incomparable, d’après William Christie. « En France particulièrement, il y a davantage d’activités musicales, de concerts, d’aides des collectivités territoriales. Nous avons donc un certain nombre de chanteurs et d’instrumentistes de ce pays, mais aussi énormément de jeunes artistes venus de l’étranger et qui s’installent en France. Le climat est plus propice, plus généreux, plus profitable aussi que dans leur pays d’origine. Choisir de faire une carrière en musique, surtout en musique spécialisée comme la musique ancienne, pose d’énormes problèmes dans certaines régions du monde. » William Christie est d’autant plus sensible à leur réalité qu’il a lui-même vécu l’exil. Fuyant l’enrôlement dans l’armée américaine, alors empêtrée dans la guerre du Vietnam, il s’est réfugié en France. L’engagement indéfectible de cet Américain à Paris pour la redécouverte du répertoire baroque, français en particulier, et son enracinement dans le territoire témoignent de ce nouveau chapitre, synonyme de liberté retrouvée.

Passion pour le jardin

Arrivé en 1970, il a consacré une bonne partie de sa vie d’adulte non seulement à un projet musical de grande envergure, mais à un projet de bâtisseur au sens propre du terme. Ce projet parallèle s’est concrétisé par l’acquisition, en 1985, d’une vaste propriété datant du XVIIe siècle à Thiré, en Vendée, et par la construction d’un jardin qui correspondait aussi aux aspirations de William Christie. Sa passion pour le jardinage et ses connaissances en botanique ont germé au contact de ses parents et de ses grands-parents. « C’est un jardin qui s’est créé de toutes pièces dans le but d’être intégré à mes activités musicales. Est-ce que ça constitue un atout ? Oui. Il y a très peu d’endroits au monde où on peut vivre du jardin et de la musique (le festival à Glyndebourne en est un autre). Est-ce que ça nous facilite les choses ? Absolument pas. J’ai investi une bonne partie de mes avoirs personnels dans ce jardin. L’entretien et le maintien sont considérables, ça vient avec un coût assez important, mais ça fait désormais partie de notre image de marque. »

Depuis 2012, Les Arts Florissants accueillent un festival en ces lieux, « Dans les jardins de William Christie. » Pour le département de la Vendée, il s’agit incontestablement d’un atout touristique. Pour le principal intéressé, cette activité, bien que prenante, s’inscrit dans l’esprit et l’essor culturel qu’il a souhaité mener dès son arrivée en France. « C’est un travail qui m’oblige à être artisan et en cela, il est parfaitement compatible avec le métier de musicien. Ce sont des passions dévorantes, obsédantes, qui déterminent effectivement le cours d’une vie. On ne pourra jamais dire qu’on en a assez fait. Dans ma jeunesse et une bonne partie de ma vie d’adulte, je n’avais pas besoin de longues périodes de sommeil. Je dormais adéquatement, mais certainement moins que d’autres. J’arrive à un certain âge, mes activités liées au jardinage et au jardin sont donc un peu moins frénétiques que par le passé, mais j’ai heureusement une équipe qui assure les deux aspects de notre identité. Je fais partie de ceux qui se lèvent tôt le matin. »  

En bref

Les Arts Florissants produisent plus de 100 concerts chaque année en France et dans le monde : productions d’opéra, grands concerts avec chœur et orchestre, musique de chambre, concerts mis en espace. Ils sont engagés dans la formation des jeunes artistes avec notamment l’Académie du Jardin des Voix pour les jeunes chanteurs, le programme Arts Flo Juniors pour jeunes instrumentistes et le partenariat avec la Juilliard School of Music de New York. Ils ont constitué au fil des ans un patrimoine discographique riche de plus de plus d’une centaine de titres, parmi lesquels figure leur propre collection en collaboration avec Harmonia Mundi. En résidence à la Philharmonie de Paris depuis 2015, les Arts Florissants nourrissent également des liens forts avec la Vendée, territoire de cœur de William Christie. Ils travaillent au développement d’un lieu culturel permanent à Thiré. Cet ancrage s’est encore renforcé en 2017, avec l’installation du Jardin des Voix à Thiré, la création d’un Festival de printemps sous la direction de Paul Agnew, le lancement d’un nouvel événement musical annuel à l’abbaye de Fontevraud et l’attribution par le ministère de la Culture du label « Centre culturel de rencontre » au projet des Arts Florissants. William Christie, codirecteur musical fondateur Paul Agnew, codirecteur musical

 

Purcell : The Fairy Queen. Toronto Summer Music (11 juillet) et Festival de Lanaudière (13 juillet). Les Arts Florissants et Le Jardin des Voix, William Christie, direction; Paulina Francisco, soprano, Georgia Burashko, mezzo-soprano, Rebecca Leggett, mezzo-soprano, Juliette Mey, mezzo-soprano, Ilja Aksionov, ténor, Rodrigo Carreto, ténor, Hugo Herman-Wilson, baryton, Benjamin Schilperoort, baryton-basse; danseurs de la Compagnie Käfig; Mourad Merzouki, chorégraphie et mise en scène, Claire Schirck, costumes, Fabrice Sarcy, éclairages. Pour tous les détails sur les billets et la programmation, visitez le www.arts-florissants.org www.torontosummermusic.com www.lanaudiere.org

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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