Jacques Lacombe à la tête de l’OCM : Un beau retour des choses

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Le nouveau directeur artistique et chef principal de l’Orchestre classique de Montréal, maestro Jacques Lacombe, a officiellement pris ses fonctions en juillet 2023, mais son histoire avec l’OCM dure depuis bien plus longtemps. Il revient sur les dessous de cette relation de cœur, sur son expérience récente à la tête de l’institution, succédant au regretté Boris Brott, et sur ses ambitions à plus long terme. Entretien.

« Avant même d’être nommé directeur artistique, raconte-t-il, le directeur général de l’OCM, Taras Kulish – un bon ami à moi que je connais depuis 30 ou 40 ans – m’avait demandé, après le décès tragique de Boris, de lui donner un coup de main pour concevoir la saison actuelle. Avant même qu’on aborde ensemble la succession artistique, j’ai été approché comme conseiller artistique pour élaborer cette saison. Cela s’est fait à l’été 2022. Une programmation est quelque chose qui se prépare au moins une année d’avance et donc, sans savoir ce qui arriverait, j’avais déjà travaillé là-dessus. À l’automne dernier, Taras m’a relancé et c’est ainsi que, de fil en aiguille, je suis devenu directeur artistique de l’OCM. »

L’ADN de l’orchestre

Photo by Julie Skarratt

Pour voir M. Lacombe diriger désormais « son » orchestre pour la première fois, les auditeurs devront attendre au 17 octobre. Ce deuxième événement de la saison, qui fait suite au concert d’ouverture du 21 septembre, rend hommage à des compositeurs ukrainiens et, plus globalement, aux minorités trop longtemps restées dans l’ombre – un répertoire que le chef d’orchestre lui-même connaissait très peu jusqu’à récemment. « Rendre hommage à certaines communautés est quelque chose que l’OCM a fait dans le passé. Avec ce que l’on voit dans l’actualité, ça tombait sous le sens de faire de même pour l’Ukraine. De plus, étant d’origine ukrainienne et anciennement chanteur d’opéra, Taras connaissait bien son répertoire. Il m’a été d’une grande aide, notamment pour ce qui est de la partie vocale. Concernant la musique instrumentale, ce sont mes recherches et certains compositeurs dont j’avais un petit peu entendu parler qui m’ont conduit vers ces choix. J’ai notamment dépisté le quatrième concerto de Nicolas Kapoustine, une œuvre qui conviendra tout à fait à mon ami Serhiy Salov, lui aussi d’origine ukrainienne. C’est ainsi qu’on a conçu ce programme, en collégialité. »

Pour rappel, au cours des dernières saisons, l’OCM n’a pas hésité à produire des œuvres issues de diverses communautés, qu’elles soient homosexuelles, trans ou en lien avec la question raciale avec, par exemple, la création de l’opéra haïtien La Flambeau de David Bontemps.

« Ça a toujours été dans l’ADN de l’orchestre. Depuis ma nomination, je me suis intéressé à son histoire récente et même ancienne. Comme vous le savez, l’OCM s’appelait autrefois l’Orchestre de chambre McGill, fondé par le père de Boris, Alexander Brott, qui était aussi compositeur. Ce dernier a écrit notamment des arrangements sur des chansons autochtones du nord du Canada, bien avant qu’on porte attention à ces questions. Ç’a toujours été dans la philosophie de l’institution de chercher à tisser des liens et à intégrer tout le monde. »

Pour ce faire, Jacques Lacombe a eu accès à des archives inédites de la famille Brott, non ouvertes au public. « L’administration de l’orchestre a toujours été logée dans la maison familiale, mais celle-ci sera bientôt mise en vente. À la fin du mois, l’administration emménagera dans de nouveaux locaux pour la première fois de son existence. L’orchestre célèbre cette année sa 84e saison, faisant de lui un des plus vieux ensembles au Canada. Par ce déménagement, par la force des choses, on a été contraint de faire le ménage, de découvrir tous les trésors qui ont pu être accumulés sur le plan musical pendant toutes ces années. C’est en partie grâce à cette coïncidence, mais aussi par mon intérêt et la connaissance que j’avais déjà de l’orchestre, que je suis arrivé à rassembler toute cette information. On en découvre encore tous les jours, ce qui est vraiment excitant. »

Photo par Steve Rosen

En épluchant ces documents, Jacques Lacombe revisite également sa propre histoire avec l’OCM qui a, de toute évidence, contribué à son éveil musical. À l’époque, le jeune garçon était du côté du public. « Aussi loin que je me souvienne, parmi les premiers concerts sinon le premier concert d’orchestre auquel j’ai assisté, c’est un concert de l’Orchestre de chambre McGill dirigé par Alexander Brott à la salle J.-Antonio-Thompson de Trois-Rivières, dont je suis originaire. Des années plus tard, j’ai travaillé dans cette même salle, car j’ai été chef et directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières pendant treize saisons. Pour moi, ce fut un événement assez marquant. Me retrouver à la tête de cet orchestre, 50 ans plus tard, est un beau retour des choses. »

Au fil des ans, les programmes ont pris une couleur plus vocale, mais au début, Jacques Lacombe se rappelle un répertoire essentiellement instrumental. « Pour ce concert à Trois-Rivières, il y avait du Bach, du Vivaldi. La chose dont je me souviens aussi est le sens de l’humour assez incroyable d’Alexander, comme de son fils Boris. Le concert s’est terminé par un mouvement assez rapide, extrait probablement d’un concerto grosso. Il l’avait repris en guise de rappel, mais encore plus rapidement. Le public était en ovation, à la fin, et ça s’est conclu par cette remarque d’Alexander : “Je suis désolé, on ne peut pas le jouer plus vite.” »

La préférence de l’OCM pour les voix n’est pas de nature à rebuter Jacques Lacombe, au contraire. Rappelons qu’il a été chef principal de l’Opéra de Bonn, en Allemagne, de 2016 à 2018. Parmi ses autres engagements dans le répertoire lyrique, mentionnons Tosca et La Bohème au Royal Opera House de Londres, la création mondiale de Marius et Fanny à l’Opéra de Marseille, avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu dans les rôles-titres, et un nombre important de productions au Deutsche Oper de Berlin. Dernièrement, on l’a vu davantage diriger en France, notamment à l’Opéra de Nice.

Photo par Julie Skarratt

Cette passion pour l’art lyrique lui vient des mêmes années de jeunesse passées à Trois-Rivières. « J’ai commencé assez tard à faire de la musique sérieusement, à l’âge de onze ans, lorsque ma famille a emménagé dans une maison avec un piano au sous-sol. Je me suis mis à pianoter et j’ai suivi des cours par la suite. C’est là que j’ai rencontré un prêtre qui faisait la tournée des écoles et le recrutement pour ce qui s’appelait à l’époque la maîtrise Notre-Dame-du-Cap. Je me suis mis à chanter dans une chorale. Depuis ce jour, la voix humaine ne m’a jamais laissé. De fil en aiguille, je suis devenu, à l’âge de 18 ans, directeur de cette chorale et accompagnateur à l’orgue – ou au piano – que j’avais étudié au conservatoire. J’ai toujours aimé ce contact avec la voix. Pour moi, ça reste le plus beau des instruments. Ç’a continué de m’accompagner, tant et si bien que ma carrière s’est développée à la fois comme chef symphonique, certes, mais aussi comme chef lyrique. Je n’ai pas voulu me confiner qu’à l’opéra, mais garder les deux volets de mon activité professionnelle. Je trouve qu’ils se nourrissent mutuellement. »

Le milieu de la musique chorale est certainement la meilleure école pour apprendre à diriger. C’est l’histoire de Yannick Nézet-Séguin, qui a commencé comme chef de chœur. Le cas de Jacques Lacombe est quelque peu différent. « J’avais de la facilité en classe et me destinais aux sciences. Quand j’étais enfant, je voulais travailler pour la NASA ou quelque chose du genre. C’est en fait mon deuxième professeur d’orgue, Raymond Daveluy, qui m’a ouvert les yeux sur la direction. Il a vu que j’avais probablement les capacités mentales et la personnalité qu’il fallait pour être chef d’orchestre. Je n’avais jamais envisagé cette possibilité auparavant. Dans mon milieu, on n’imaginait pas qu’on pouvait gagner sa vie de cette façon. Je tenais à m’orienter en sciences, mais M. Daveluy m’a dit cette phrase que je n’ai jamais oubliée : “Les sciences, vous pouvez toujours commencer à les faire à 25 ou 30 ans, mais la musique, ça prend des aptitudes physiques et mentales qu’il faut développer en bas âge”. J’ai donc décidé à l’adolescence de donner une chance à la musique et ça dure depuis 50 ans… Je ne l’ai pas trop regretté jusqu’ici !

La seule véritable frustration de Jacques Lacombe, c’est de n’avoir que 24 heures dans une journée. « Je suis intéressé par toutes sortes de répertoires, mais il y en a tellement que je ne peux pas tout couvrir. Je me suis remis à écrire et j’y prends beaucoup de plaisir. J’ai fait des arrangements pour l’OCM et suis en train d’en faire d’autres pour la saison à venir : deux suites basées sur les musiques de film de Nino Rota et Ennio Morricone. Pour moi, ce sont parmi les plus grandes œuvres composées au XXe siècle. »


PROGRAMMATION 2023-2024

À travers les Amériques avec Marc Djokic
21 septembre 2023
Œuvres de Hatzis, Corigliano, Price, Piazzolla et Glass
Artistes : Marc Djokic, violon solo, Julien LeBlanc, piano, quatuor à cordes de l’OCM : Marc Djokic, Marianne Di Tomaso, Annie Parent et Marieve Bock

Slava Ukraïni
17 octobre 2023
Œuvres de Lyatoshynsky, Storoschuk, Kapoustine, Lysenko, Bortnianski, Havryletz, Hulak-Artemovsk et Lysenko
Artistes : Anna Pompeieva, soprano, Martina Myskohlid, mezzo-soprano, Yuriy Konevych, ténor, Ihor Mostovoi, basse, Serhiy Salov, piano; Les Rugissants, Xavier Brossard-Ménard, chef de chœur; Jacques Lacombe, chef

Maria de Buenos Aires
23 novembre 2023
Œuvres de Piazzolla et Ferrer
Artistes : Julie Nesrallah, mezzo-soprano, Clarence Frazer, baryton, Denis Plante, bandonéon; Jacques Lacombe, chef

Le Messie de Haendel
13-14 décembre 2023
Artistes : Sydney Baedke, soprano, Lauren Segal, mezzo-soprano, Antoine Bélanger, ténor, Greg Dahl, baryton-basse; Filles de l’île, Chantres musiciens; Jacques Lacombe, chef

Phœnix
27 février 2024
Œuvres de Schoenberg, Pépin, Babin et Janáček
Artistes : Tara-Louise Montour, violon; Jacques Lacombe, chef

Musica Da Cinema : Morricone et Rota
14 mars 2024
Œuvres de Rota et Morricone
Artistes : Giuliano Rizzotto, trombone; Jacques Lacombe, chef et arrangements

Entre le ciel et l’enfer
11 avril 2024
Œuvres de Ricketts, Boccherini, Brott, Bach et Mozart
Artistes : Tim Mead, contreténor, Vincent Boilard, hautbois; Jean-Claude Picard, chef invité

Requiem de Mozart
5 mai 2024
Œuvres de Boulogne et Mozart
Artistes : Emma Fekete, soprano, Ian Sabourin, contreténor, Matthew Dalen, ténor, Matthew Li, basse; Les Petits-Chanteurs du Mont-Royal, Andrew Gray, chef de chœur; Jacques Lacombe, chef

Une vie à l’opéra : hommage à Joseph Rouleau
18 juin 2024
Œuvres de Mozart, Verdi, Bizet, Delibes, Offenbach et Leclerc
Artistes : Aline Kutan, soprano, Mireille Lebel, mezzo-soprano, Éric Laporte, ténor, Philippe Sly, baryton-basse; Jacques Lacombe, chef

www.orchestre.org

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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