Max Reger a beau avoir été un compositeur prolifique, avec pas moins de 147 numéros d’opus répertoriés, il ne fait pourtant pas partie du canon musical. Son œuvre s’avère très fournie en musique de chambre et musique vocale, mais beaucoup moins dans le genre symphonique, ce qui suffit à expliquer le relatif intérêt que lui portent aujourd’hui les orchestres et institutions musicales de premier plan.
De plus, il est étonnant qu’un compositeur né près de Bayreuth en 1873 et mort à Leipzig en 1916 ait pu écrire de la musique encore très alignée avec les idéaux de la période romantique, établis 100 ans auparavant. Son emprunt de formes issues de la Renaissance et son adoration manifeste de Bach interroge sur la pertinence de sa musique à un âge où on a déjà tout entendu. C’est en tous cas le sentiment qui a prédominé lors de la soirée-hommage à Max Reger présentée par Pascal Germain-Berardi et le Chœur de Temps Fort, pendant plus de deux heures, le 16 novembre dernier à l’Église Sacré-Chœur de Jésus.
Pour la première pièce au programme, Der Mensch lebt und bestehet, les choristes étaient disposés en deux rangées, des deux côtés de la nef, englobant ainsi le public de leurs pleines voix. Le chef de chœur, placé dans l’allée centrale, les a guidés à travers des chemins harmoniques sinueux, rappelant le style de maîtres du passé comme Tomás Luis de Victoria et les chorals luthériens sublimés par Bach.
Temps Fort faisait appel à des artistes confirmés qui font aussi les beaux jours d’autres chœurs montréalais. En seconde partie, on a pu apprécier notamment la belle homogénéité des voix de sopranos et d’altos grâce à trois pièces pour chœur de femmes. Im Himmelreich ein Haus steht témoignait, une fois encore, d’un goût prononcé pour des harmonies éthérées dignes de la musique ancienne. Schweigen et Abendlied, pour chœur mixte, offraient des sonorités plus romantiques par de grands sauts d’intervalle et d’innombrables changements de couleurs d’accords.
Au programme également, trois pièces pour chœur d’hommes de Paul Hindemith, lui-même influencé par le style antique porté par Max Reger, et Waldesnacht de Johannes Brahms. Cette dernière est en tout point un modèle de composition vocale dans le style romantique, un modèle de structure et de solennité qui invitait au recueillement. Elle a été suivie de Mein Odem ist schwach de Max Reger, œuvre imposante de 15 minutes, incluant deux larges parties fuguées, et assez représentative du compositeur dans sa volonté de faire converger des émotions pourtant opposées (ici, la pulsion de mort et l’exaltation). Une manière pour Temps Fort de finir en force avec certainement l’un des moments de la soirée les plus ardus à chanter. L’occasion de se demander une dernière fois: à quoi bon composer une musique aussi fouillée qui, à la veille de la création du Sacre du Printemps de Stravinsky, fait inévitablement ressurgir l’ombre de Bach?