Le premier concert de saison de l’OCM restera dans les annales. Pas simplement parce qu’il marquait le retour sur scène et devant public de l’orchestre sous la direction de Boris Brott. Pas simplement parce qu’il constituait un événement-bénéfice au profit de l’organisme GRIS-Montréal dont la mission est d’éveiller les consciences sur la diversité sexuelle et de genre en milieu scolaire. Ce concert a fait vivre au public montréalais un des plus beaux moments de musique de ces dernières années. Rarement a-t-il vécu autant d’émotions en une seule soirée.
Après un mot de bienvenue de la présidente du conseil d’administration, Deborah Corber, et du directeur général de l’OCM, Taras Kulish, dont les niveaux de bilinguisme devraient faire tomber de honte le PDG d’Air Canada, la directrice du GRIS, Marie Houzeau, s’est exprimée à son tour sur son parcours et son action. Dès cet instant, celle à qui l’on rendait un hommage appuyé ce soir-là a livré un récit sincère de sa vie et des épreuves de sa vie en tant que femme de la communauté LGBT+, non sans une pointe d’humour et avec une émotion qui n’allait pas nous quitter. Lorsque Boris Brott a pris la parole, après avoir dirigé le déchirant adagio de Barber, c’est avec la même émotion qu’il s’est exprimé au sujet de sa regretté mère, Lotte Brott, qui a fondé l’ancien Orchestre de chambre McGil, mais aussi sur son enfance passée dans l’appartement de ses parents musiciens sur la rue Maplewood.
Dans l’ensemble, les musiciens qu’il a dirigés ont fait une bonne prestation, notamment la section des violoncelles et des altos. Écouter une formation réduite jouer des œuvres orchestrales permet d’apprécier les qualités individuelles de chacun ou presque et ce fut le cas du violoncelle solo Chloé Dominguez. Mais cette formation révèle aussi par moments certaines fragilités. Bien que le violon solo Marc Djokic ait bien mené toute sa section et excellé dans les passages de soliste, d’autres voix sont ressortis et ont heurté quelque peu l’homogénéité du groupe.
Après avoir interprété le Quatuor à cordes no 11 de Beethoven, tout imprégné de la fougue du compositeur à l’esprit révolutionnaire, l’Orchestre classique de Montréal accueillait la pianiste Sara Davis Buechner dans le Concerto no 3 du même auteur. Cet autre femme d’exception nous a complètement obnubilé par son interprétation unique et son caractère flamboyant. Avant même que la partie de soliste ne commence, elle épousait déjà la musique de son corps, dessinant des mouvements de cheffe d’orchestre et posant les mains à quelques millimètres du clavier. Dès lors, on se disait bien qu’on avait à faire à quelqu’un de complètement hors-norme qui aime aussi jouer sur les attentes du public
Il serait tout simplement impossible de retranscrire adéquatement en mots l’impression que nous a faite Sara Davis Buechner au piano. Elle ne faisait pas simplement de la musique. Elle créait de l’art à l’état pur. Dès les premières notes, elle avait accédé à un monde parallèle où tout lui réussissait, où le temps semblait se dilater sous ses doigts, où elle pouvait exiger n’importe quelle nuance, n’importe quelle couleur du piano et celui-ci la livrait sur un plateau d’argent. Qu’un musicien atteigne cet état de grâce est une chose peu commune. Mais que le public puisse en être témoin, alors là c’est inestimable.
Sara Davis Buechner parvenait à faire entendre la moindre petite note, parfaitement bien articulée, au milieu d’un océan de musique et de virtuosité. Ce qui relève presque de la sorcellerie, c’est sa capacité à faire manier les touches du piano selon son bon vouloir. Tantôt douces, tantôt implacables. Tantôt réconfortantes, tantôt tonitruantes. Pouvoir ainsi passer d’une sonorité de velours à celle d’un ardent métal sur un seul instrument, qui plus est à cordes frappées, reste un mystère qu’on a peine à s’expliquer. Mais Sara Davis Buechner l’a fait et on l’en remercie pour cela.
Les bravos ont fusé des quatre coins de la salle. Il y a eu un premier, puis un second rappel sous les applaudissements scandés. Le public ne voulait plus la laisser partir. Elle a finalement quitté la scène après avoir joué Do-Do-Do de Gershwin dans une ambiance joviale et décontractée. Une pièce assez révélatrice de la personnalité de la pianiste, en dehors des marqueurs conventionnels de la musique classique.