Critique | Projet « 4:4» : Quand la projection sur écran change tout de la musique  

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Mercredi 26 janvier, le festival MNM accueillait un spectacle très attendu à la Salle Pierre-Mercure. Fruit de la collaboration entre l’institut national de l’image et du son (L’inis) et la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), cet événement réunissait des réalisateurs et des compositeurs qui pourtant n’avaient rien en commun avec, comme objectif, de les faire travailler en binôme.

Les 4 courts métrages nés de ce travail conjoint ont été scrutés à la loupe fonction de trois critères importants : l’équilibre entre les deux formes d’art, l’esthétique de chacune et le propos (qu’on appelle communément le message du film). 

Le fait d’entendre la musique une première fois avant la projection, en version concert, et une seconde fois à l’écran, pendant la projection, semblait n’offrir rien d’autre qu’une répétition, une redite inutile sur le même thème. Or, à notre grande surprise, la mise en images de la musique a procuré au public une toute une autre expérience, modifiant profondément les conditions de réception des œuvres des compositeurs interprétées initialement sur scène par le Quatuor Mémoire. Les 4 résultats ont été diversement appréciés. En bref : 

Le plus équilibré : Une brèche écarlate 

Réalisé par Laurence Ly, sur une musique de Simon Rivet, Une brèche écarlate est parvenu à marier à peu près toutes les composantes de l’image et le son. Le langage visuel a éclairé le langage musical et vice versa, avec une attention particulière portée à l’infiniment petit : le fil à tricoter, d’une part, et le son effleuré, d’autre part. Le film raconte en effet le sort d’une tisseuse retenue prisonnière en usine et qui cherche désespérément à s’évader de son lieu d’esclavage. L’expansion de la musique et sa dimension épique, déjà constatées en version concert, prennent tout leur sens lorsque le personnage principal se hisse jusqu’à une fenêtre au moyen d’une longue étoffe, dans l’espoir d’être enfin libre. 

D’un point de vue esthétique, ce court-métrage est aussi le plus expérimental avec une variété de teintes rouges qui colore l’image et se mêle ainsi à la couleur du sang. L’oppression est, en outre, représentée par un choix de plan rétrécie, en forme de cercle, qui ressemble à la vue qu’on aurait à travers une lunette de microscope.         

Le plus beau : Nocturne 

Avec Nocturne d’Andrew Przybytkowski, on passe du rouge à une ambiance très bleue. L’esprit du réalisateur polonais Krzysztof Kieślowski, auteur de la célèbre trilogie Trois couleurs, planerait-elle au-dessus de cette soirée? Il s’agit certainement là d’un heureux hasard! 

La scène du court-métrage se déroule la nuit. Allongée sous la couette, une petite fille est terrifiée par la tempête et les éclairs qui s’abattent sur la forêt environnante. Elle va chercher du réconfort auprès de son père, assis sur une chaise dans le salon et entrain d’admirer le spectacle de la nature déchaînée. Il la rassure par des paroles bien songées sur la beauté du monde. Après si peu d’échanges entre les deux personnages, le message paraît un peu forcé, volontairement didactique, mais il résume bien l’approche du réalisateur : une quête de beauté à l’image, même dans des conditions qui ressemblent à une fin du monde. Pas sûr que les défenseurs de l’environnement partagent la vision romantique du père dans cette histoire !  

La musique de Lucas Fiorella, qui incorpore une texture électro à la musique pour quatuor, atteint une profondeur vibratoire qui se prête très bien à l’émotion vécue par la petite fille et au caractère plus grand que nature de la tempête.   

Le plus sensoriel : Siob 

Siob est une ode à la nature dans ce qu’elle a de plus apaisant et ressourçant. Par ses prises de vue serrées sur le travail du bois par un luthier, le film de Laura Maroquin-Éthier rappelle que le monde des humains – la civilisation – s’est construit sur les fondations de la nature et qu’un lien indéfectible nous rattache à la terre. Ici, l’instrument à cordes symbolise ce lien en ligne directe. On peut seulement regretter que l’humain ne soit pas plus présent. En l’absence de dialogues ou d’interactions concrètes à l’écran, le message du film demeure implicite et non explicité de manière plus approfondie. 

La compositrice Yuliya Zakharava a opté pour une musique minimaliste remplie de traits polyphoniques. Lorsque les images s’y ajoutent, on constate à quel point notre perception est susceptible d’évoluer. Les ricochets et décalages musicaux que l’on n’associait pourtant à rien de visuel deviennent soudainement à l’oreille des imitations de bruits de la nature. À noter également des variations sur la qualité du timbre sonore qui produisent intuitivement des effets venteux. Cet élément de la partition nous avait échappé lors de la première audition, mais il s’intègre parfaitement dans le paysage visuel après coup.      

Le plus narratif : 004ngel 

Le dernier court-métrage de la soirée est un cas de figure très intéressant. Là encore, la musique prend des dimensions tout à fait nouvelles au contact de l’image. Elle se distingue initialement par ses qualités méditatives, son utilisation d’une note de pédale et ses influences extrêmes-orientales, notamment dans l’exécution des glissandos. Mais cette fois, au lieu de procurer une réalité augmentée au récit filmique, la musique de Frédérique Le Duc-Moreau s’efface devant le choc du visuel, la nudité, les plans de caméra qui offrent eux-mêmes une distorsion de la réalité. De plus, le choix de faire entendre un quatuor à cordes n’apparaît pas le plus adapté ici pour exprimer un sujet aussi contemporain que la monétisation des services sexuelles sur Internet via des plateformes dédiées. Cela dit, le réalisateur Eli Jean Tahchi parvient à raconter l’histoire la plus complète possible dans un format aussi restreint. La solitude dans un monde pourtant hyperconnecté, l’obsession aux écrans, le besoin d’argent, la dure vie d’un immigré qui doit tout sacrifier pour faire vivre sa famille restée dans son pays d’origine… tous ces thèmes sont abordés en moins de dix minutes ! 

La diffusion du court-métrage Le Récital (1992) de Marie Décary, en préambule de la soirée, a donné le ton pour la suite. Elle a permis à Simon Bertrand, l’actuel directeur artistique de la SMCQ, de saluer la vie et l’œuvre de Walter Boudreau dans le domaine de la création musicale. 

Dernière journée du festival MNM, le 1er mars. Pour voir la programmation, visitez le https://smcq.qc.ca/

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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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