On connaissait Lucia di Lammermoor de Donizetti, élevé au rang de chef-d’œuvre du bel canto par les plus grandes sopranos de ce monde. Grâce à l’Opéra de Québec, on connaît désormais sa version française, élaborée par le compositeur lui-même pour la première parisienne de 1839, mais depuis tombée progressivement dans l’oubli.
Seul un bref regain d’intérêt avait pu être observé au début des années 2000, avec notamment une production inédite de l’Opéra de Lyon mettant en vedette Natalie Dessay et Patrizia Ciofi dans le rôle-titre. La première québécoise de cette Lucie de Lammermoor, 20 ans plus tard, représente donc à la fois un renouveau, une rareté dans le paysage lyrique et une certaine audace de la part du directeur général et artistique de l’Opéra de Québec, Jean-François Lapointe. Ce dernier a misé sur la qualité des voix et une distribution exclusivement francophone. Compte tenu de l’importance du beau chant et du souci de la langue française dans cet opéra, c’était là les deux points sur lesquels on ne pouvait absolument pas transiger.
De fait, le choix de Jodie Devos, en Lucie, et de Julien Dran, en Edgard, s’est avéré un coup de maître. Tant sur le plan vocal que scénique, les interprètes de ces rôles réputés pour leur extrême difficulté ont fait une démonstration de force. La soprano belge a rempli sans effort la salle de sa voix riche tandis que le ténor français a impressionné par la fluidité de ses coloratures et sa diction à l’ancienne. Saluons aussi la prestation du ténor Yoann Le Lan en Gilbert. Sa forte résonance et sa diction irréprochable lui ont permis de donner le ton d’entrée de jeu sans trembler et de faire ressortir toute la perfidie de son personnage.
Le ténor Emmanuel Hasler, sous les traits de Sir Arthur, avait une voix tout aussi résonnante et raffinée. Pour ses débuts à l’Opéra de Québec, on peut dire qu’il a frappé un grand coup. Dans le rôle de l’homme d’église, Raymond, la basse Tomislav Lavoie a démontré beaucoup de maîtrise et de solidité. Enfin, le frère vengeur de Lucie, Henri, était interprété par Hugo Laporte. Malgré son timbre de velours, le baryton québécois a livré une prestation en demi-teinte, non seulement par la projection de sa voix, relativement faible par rapport à ses partenaires de scène, mais son jeu dramatique pas aussi convaincant.
Parmi les moments forts de cette production, le duo entre Lucie et Edgard à l’acte I, dans une recréation des appartements de Lucie, le célèbre sextuor extrait du finale de l’acte II, qui a vu converger toutes ces voix d’exception, et bien sûr les ultimes instants de Lucie et d’Edgard. La scène de folie, mettant en pleine lumière Jodie Devos, a été parfaitement réalisée sur le plan vocal. On ne s’attendait pas à un niveau de démence comparable à ce que Natalie Dessay était parvenue à exprimer dans la fameuse production du Metropolitan Opera, en 2007, mais la soprano belge aurait pu davantage en donner dans ce registre-là. On s’étonne aussi que sa robe soit restée d’un blanc immaculé, alors que Lucie venait pourtant de mettre à mort son mari forcé, Arthur.
Accompagnés par l’Orchestre symphonique de Québec et le Chœur de l’Opéra de Québec, sous la direction soignée de Jean-Marie Zeitouni, les chanteurs ont bien occupé l’espace. Beaucoup de leurs gestes et mouvements erratiques étaient des classiques de la mise en scène associés à la colère, au désespoir (la prima donna qui s’écroule, le ténor qui s’écarte spontanément du groupe pour prendre la lumière ou, au contraire, s’isoler), mais ils correspondent néanmoins aux standards attendus d’un opéra aussi représenté à travers le monde. Cela dit, la mise en scène a parfois manqué de rythme, comme lors du duo entre Edgard et Henri, à l’acte III, pendant lequel Gilbert, au lieu de sortir de scène, est resté inactif en arrière-plan.
Dans l’ensemble, avec des chanteurs de cette trempe, le public de l’Opéra de Québec a rarement été aussi choyé en matière d’opéra. On encourage tous celles et ceux qui ne l’ont pas encore fait à aller assister à ce spectacle, jusqu’au 28 octobre.
Première le 21 octobre 2023, au Grand Théâtre de Québec. Prochaines représentations les 24 et 26 octobre, à 19h30, ainsi que le 28 octobre, à 14h. Pour voir les détails ou se procurer des billets: https://operadequebec.com/lucie-de-lammermoor/