Le concert du 28 février dernier à la Maison symphonique était l’un des plus attendus du festival MNM. Au gré d’un programme extrêmement riche, cumulant 5 œuvres et plus de 2h de musique, il a donné lieu à de plus ou moins belles surprises.
Le public était introduit à l’univers musical de Ligeti par l’entremise de l’organiste Jean-Willy Kunz qui, du haut de son perchoir, a interprété des extraits de Musica ricercata, que l’on a pu entendre dans Eyes Wide Shut (1999) de Kubrick. Pour l’occasion, un homme vêtu d’une cape et d’un masque vénitien a flané le long du dernier étage de la Maison symphonique, évoquant la scène de débauche du film.
Le fait qu’il s’agisse seulement d’extraits a signifié qu’il y avait des moments de blanc assez importants entre chaque section. L’angoisse suscitée par la musique s’est donc alliée à un certain malaise dont on ne saurait dire s’il était volontaire ou non. Chose certaine, le début du concert s’est avéré pour le moins disruptif. M. Kunz a interprété la partition au mieux des capacités de l’orgue, mais il manqué la précision des attaques et la finesse des nuances qu’un piano moderne est capable de produire habituellement pour cette œuvre-ci.
Ensuite, c’était au tour de l’Orchestre symphonique de McGill, joint par les cordistes de la SMCQ, de s’illustrer dans Lontano de Ligeti, une pièce aux dissonances saturées qui a plongé la salle dans une atmosphère pesante. Les allées et venues de deux petites jumelles dans la section du chœur, habillées chacune d’une robe bleue et blanche, a servi de référence à The Shining (1980) de Kubrick.
Le chef Alexis Hauser avait une déambulation fragile des coulisses à la scène, mais une fois sur le podium et bien ancré, il a dirigé les musiciens d’une main ferme. On peut seulement regretter que son travail ait essentiellement consisté à battre la mesure au lieu de donner des indications plus pertinentes sur la manière d’interpréter la musique.
La première partie de concert s’est achevée sur le Concerto pour piano no 2 en sol mineur de Prokofiev. Le jeune soliste, Alexey Shafirov, a conquis le public par son sens romantique élevé et son phrasé généreux, mais on l’a senti assez rapidement dépassé par la vitesse d’exécution dans les passages virtuoses, notamment au moment des arpèges descendants.
Au retour de l’entracte, l’orchestre a créé Continental Dive de Liam Gibson, une commande de la SMCQ qui se mariait très bien à Ainsi parlait Zarathustra de Richard Strauss par sa riche utilisation des cuivres et des percussions. Il y avait dans l’alternance de passages forte et piano quelque chose de bipolaire et d’imprévisible qui a su maintenir l’auditeur en haleine. On a également apprécié le soin du compositeur à l’élaboration des motifs musicaux qui se répétaient brièvement d’une section à l’autre de l’orchestre et donnaient à entendre des éléments de discours structurants.
M. Gibson est monté sur scène recevoir les applaudissements qui lui étaient dus. Dans un moment d’égarement, Alexis Hauser est parti en coulisses sansconvier d’abord le compositeur à se joindre aux musiciens et a, de plus, oublié la partition sur son lutrin. Le ballet inutile du technicien qui s’en est suivi pour accommoder le maestro a suscité d’autres interrogations sur l’état d’esprit du chefà ce moment-là et malheureusement nui à l’expérience du concert.
L’ouverture d’Ainsi parlait Zarathustra, dernière œuvre au programme, a reçu un traitement visuel digne du film 2001: L’Odysée de l’espace (1968). Le spot de lumière blanche braqué brièvement sur le parterre de la Maison symphonique a surpris plus d’un spectateur. Il s’agissait en soi d’une référence aux réflexions des écrans sur le visage du pilote, assis devant son tableau de bord, et qui participent de l’esthétique de Kubrick.
La conception visuelle de Sylvain Marotte promettait des choses intéressantes, avec notamment la recréation de points de vue emblématiques du film, mais plus la musique de Richard Strauss suivait son cours, mouvement après mouvement, moins il y avait d’animations projetées sur le mur n’pour offrir, au final, qu’un ensemble de blocs statiques évoquant le paysage rocailleux du début du film.
Trop en faire visuellement et détourner l’attention de l’objet musical ou ne pas en faire assez et ne plus être dans le thème du festival? Telle était le dilemme impossible à résoudre. Dans les faits, ce sont les éléments plus concrets, les accessoires, la présence des figurants et le monolithe qui semblaient le mieux capter l’imaginaire. Cela dit, les images de mots écrits à la main et de textes tapés à la machine pour illustrer l’un des thèmes centraux de The Shining se sont bien arrimées à la musique de Ligeti.