À chaque nouvelle production, l’Opéra de Québec impressionne par la qualité et le faste de ses décors. Celle du Comte Ory, présentée pour la première fois de son histoire le 26 octobre dernier, est un autre coup de maître signé Jean-Romain Vesperini, à la mise en scène, et Bruno de Lavenère, à la scénographie.
Une grande tapisserie de style médiéval illustrait quelques éléments d’une forêt dense, offrant ainsi le cadre idéal pour l’intégralité du premier acte. On y rencontrait un vieux sage ermite entouré de ses fidèles – en réalité, le comte Ory déguisé pour mieux profiter du corps de jeunes femmes (un Raël des temps anciens!). Sur cette toile, qui faisaient la largeur de la scène, une case pouvait s’ouvrir et se refermer pour faire entrer et sortir des personnages. Elle laissait par moments entrevoir un château dans la nature environnente, représenté par une seconde tapisserie tout aussi somptueuse en arrière-plan.
À la vue de ces décors, fruits d’une remarquable artisanerie, il nous revenait en mémoire ceux de la Flûte enchantée d’Ingmar Bergman. On y trouvait la même poésie, l’évocation d’un temps révolu qui continue de vivre dans notre imaginaire.
Le deuxième acte se déroulait à l’intérieur du château. Les maîtres d’œuvre de cette production ont réussi ce que beaucoup échouent à faire ailleurs : donner l’impression d’un vrai changement de décors. L’ambiance était beaucoup plus sombre, mais toujours avec une tapisserie comme fil conducteur (ici, un chevalier sur sa monture représenté au côté d’une dame de la noblesse). Les éclairages ont été exploitées à leur plein potentiel lorsqu’un groupe de pèlerines – là encore, le comte Ory et ses hommes de main déguisés – a profité de l’hospitalité de la comtesse pour faire la fête sous une lumière rose fushia, très disco. Voir des femmes pieuses se dandiner et en état d’ébriété avancée était la scène la plus irrévérencieuse et, par conséquent, la plus drôle de la soirée qui, par ailleurs, était truffée d’anachronismes amusants.
La distribution a été plutôt inégale. Les Québécois Jean-Kristof Bouton (Raimbaud) et Florence Bourget (Isolier) ont été excellents, à la fois par leurs tours de chant et leurs présences charismatiques sur scène. La grande taille et la silhouette affinée de la mezzo-soprano l’ont rendu particulièrement crédible dans un rôle qui ressemble à celui de jeune premier. Les Français Julien Véronèse (Gouverneur) et Julie Pasturaud (Dame Ragonde) ont conquis le public par leur sens musical et leur voix grave, profonde, ce qui en fait certainement des profils recherchés dans ce registre-là. Par sa voix très aiguë, Philippe Talbot (comte Ory) représentait une autre rareté vocale, plus recherchée encore pour un rôle aussi exigeant. Les premières interventions du ténor n’ont pas été convaincantes : coloratures manquant de précision, placement de la voix très haut, qui rendait moins homogènes les passages dans ses autres registres, justesse approximative sur certaines notes intermédiaires. Était-ce un inconfort lié au port de la barbe? Quoi qu’il en soit, M. Talbot s’est transfiguré en seconde partie avec une prestation pleine d’aisance et de vigueur sous le costume de pèlerine. De son côté, Judith Fa avait les notes qu’il fallait, un timbre charnu, mais un volume vocal étonnamment modeste, et ce malgré le fait que la tessiture de la partition était de nature à faire ressortir l’artiste dans l’aigu.
Dernier mot sur l’excellente interprétation de l’Orchestre symphonique de Québec, sous la direction de Laurent Campellone. Tout en étant précises et unies, les sonorités rossiniennes mettaient les voix dans les meilleures dispositions possibles avec une attention particulière portée à la respiration et à la vivacité de l’ornementation.
Comte Ory, opéra de Gioacchino Rossini sur un livret d’Eugène Scribe et Charles Gaspard Delestre-Poirson. Première le 26 octobre, au Grand Théâtre de Québec. Prochaines représentations les 29 et 31 octobre ainsi que le 2 novembre 2024.