Après le souvenir marquant que nous avait laissé la production haute en couleurs de La Cenerentola de Rossini en 2017, on avait hâte de voir la manière dont Joan Font et sa troupe de théâtre Els Comediants allaient donner vie au Barbier de Séville.
Le metteur en scène catalan a mis sa patte personnelle à ce chef d’œuvre de comédie avec une identité et une originalité qui dépassent de loin ce à quoi l’Opéra de Montréal nous avait habitué ces derniers temps. Lors de la répétition ouverte aux médias, il s’était exprimé pour La Scena musicale sur ses petites innovations par rapport aux mises en scène déjà connues : « Quand on est très amoureux, on oublie qu’il y a toujours autant de choses qui se passent autour de nous, comme tous les personnages qui gravitent, la nuit, autour de la maison de Rosina. J’ai voulu développer une réflexion sur ce sujet dans la première partie de l’opéra. »
À travers sa mise en scène, Joan Font racontait bien plus que l’opéra. Il se permettait des récits parallèles qui semblaient sortir du cadre, en apparence, mais au fond disaient des choses en lien direct avec la pièce de Beaumarchais, notamment sur la cupidité et le rapport à l’argent. Mentionnons, par exemple, la présence d’un homme ivre parmi le groupe de musiciens accompagnant le comte Almaviva et qui, à la fin de la prestation, venait malicieusement récolter une somme à laquelle il n’avait pas droit. Ce personnage n’était pas le seul rôle muet imaginé par Joan Font. Pendant que Don Basilio chantait l’air de la calomnie, on voyait un homme dépouillé de ses vêtements au fur et à mesure comme une métaphore des graves dommages que peut causer la calomnie sur un être civilisé.
À la toute fin de l’opéra, les célébrations de l’union entre Rosina et le comte Almaviva sont teintées par la chute de billets de banque du plafond, en même temps que les confettis. Une dernière fois, Joan Font livre un message subliminal et multiplie les couches de signification qui vont au-delà de la simple comédie. Beaumarchais aurait certainement apprécié.
Dans toute la deuxième partie de l’opéra, qui est essentiellement un huis clos, le metteur en scène campe le personnage d’une vieille femme tout de noir vêtue et dont la présence persistante finit par hanter la demeure du docteur Bartolo. Elle est un hommage personnel du metteur en scène au poète catalan Federico García Lorca, qui a souvent montré dans ses œuvres l’archétype de ces mères âgées et endeuillées, caractéristiques du Sud de l’Espagne. C’est ainsi que Joan Font a souhaité faire ouvrir les portes de l’opéra sur le monde extérieur. « Les personnages, les situations et les actions que j’ai mis en scène sont comme un miroir de la vie. En termes pratiques aussi, la présence de figurants nous permettait de changer de scènes naturellement grâce au fait qu’ils changeaient eux-mêmes la disposition des chaises, du piano, et de la scénographie. C’est très artisanal en ce sens. »
Comme pour un film de répertoire, il faudrait certainement plusieurs visionnements de cette mise en scène pour en saisir toutes les subtilités. À prime abord, toutefois, on a ressenti un certain état de saturation face à la quantité de mouvements et de niveaux de discours sous nos yeux, notamment dans la première partie. Au retour de la pause, les personnages étaient aussi nombreux, mais l’intrigue centrale n’a pas semblé aussi perturbée par les histoires sous-jacentes, à l’image du couple d’amoureux anonymes qu’on perd progressivement de vue au fil des péripéties domestiques.
La distribution a été dominée de main de maître par Omar Montanari dans le rôle de Bartolo. Le baryton italien a donné l’impression que les paroles et la musique de Rossini coulaient dans ses veines. Rien de plus naturel pour quelqu’un comme lui diplômé du Conservatoire de musique de Pesaro, lieu de naissance du compositeur et célèbre aujourd’hui pour son festival d’opéra. Pour ce Barbier, il devait porter une teinture de cheveux verte délavée qui en disait long sur la noirceur de l’âme de son personnage.
Hugo Laporte, lui, portait une perruque de style XVIIIe siècle. Le baryton québécois a livré une prestation du rôle de Figaro avec l’aisance qu’on lui connaît et une ardeur dans le jeu scénique à laquelle il ne nous a pas toujours habitué. On ne peut que s’en réjouir.
Alasdair Kent, cheveux presque rasés, devait rester humble en tant que comte. Le ténor australien a été impressionnant dans sa capacité à chanter n’importe quelle ornementation sur commande. Il prenait d’ailleurs un grand plaisir à rajouter des difficultés passagères de sa ligne, sans aucun accroc.
De son côté, Gianluca Margheri, en Don Basilio, a marqué les esprits par sa présence et son charisme. Néanmoins, il n’avait pas tout à fait un timbre de basse de sorte que le registre aigu, au lieu de sonner d’une voix dramatique, a été comme une promenade de santé.
Le seul vrai écueil nous est venu de la mezzo-soprano Pascale Spinney. Sa voix n’était tout simplement pas assez colorature pour chanter Rosina. Son air Una voce poco fa a été interprété à un rythme drastiquement lent et les notes ornementales qu’elle allait chercher dans le grave plutôt que dans l’aigu n’ont pas produit l’effet escompté.
Enfin, soulignons la bonne prestation de l’Orchestre métropolitain, notamment la section des violons dans l’expression mélodique, sous la direction experte de Pedro Halffter.
Après La Cenerentola et Le Barbier, on attend désormais que l’Opéra de Montréal mette L’Italienne à Alger à l’affiche, troisième opéra de Rossini mis en scène par Joan Font. « En ayant également produit La Flûte enchantée de Mozart en catalan, en castillan et en français, je suis très content d’avoir pu rapprocher l’opéra d’un public qui ne le connaît pas du temps, ou qui pense que l’opéra est seulement pour les riches. »
D’autres représentations du Barbier de Séville de l’Opéra de Montréal auront lieu le 3 octobre à 19h30 et le 6 octobre à 14h00. Billets disponibles sur le site de l’Opéra de Montréal www.operademontreal.com