Pour qu’un art comme l’opéra survive, il ne peut reposer entièrement sur la restitution des chefs-d’œuvre du passé. Il lui faut aussi la création d’œuvres nouvelles, capables de susciter l’imaginaire du public mélomane, d’inspirer les compositeurs contemporains et de raconter une histoire ancrée dans le XXIe siècle.
On ne peut donc que saluer l’existence de La Flambeau de David Bontemps sur un texte de Faubert Bolivar, premier opus du compositeur dans un genre lyrique proprement haïtien, d’abord par ses références à la culture vaudoue et, ensuite, par le son des maracas intégré à l’orchestre de tradition occidentale. Le fait d’avoir fait appel à une distribution composée d’interprètes issus de la communauté noire est aussi à mettre au crédit du projet.
Loin du langage savant et hermétique de créateurs qui se réclament d’une certaine modernité, peu intéressés par la réception de leurs propres œuvres, David Bontemps a opté pour « une musique expressément voulue accessible pour résonner directement dans l’âme de son auditoire. »
Mission accomplie, si l’on en juge par les acclamations du public au terme de ce spectacle qui avait fait salle comble, mardi 7 février au Centre Pierre-Péladeau.
L’œuvre était divisée en sept tableaux, chacun mettant en évidence un ensemble de traits musicaux distinctifs pour que l’auditeur se fasse à l’oreille. Le néophyte ne pouvait qu’être sensible à la démarche. En revanche, pour celui ou celle qui en a vu d’autres, la ficelle paraissait un peu grosse. Des pans entiers de la partition étaient tout bonnement répétés en boucle, tant et si bien que le drame sur scène ne semblait avoir aucune influence sur ce « jeu de cycles thématiques » dont parle M. Bontemps dans ses notes de programme.
Une musique d’opéra qui ne soit pas dramatique, c’est un comble! Celle-ci se contentait d’offrir un accompagnement de l’action en surface, avec des concordances en apparence fortuites. La scène de viol de Monsieur sur Mademoiselle, pourtant événement majeur de l’intrigue, n’a eu qu’un effet négligeable sur la musique. En comparaison, les éclairages d’Anne-Catherine Simard-Desraspe, devenus soudainement sombres et lugubres, ont mieux su exprimer la violence de cette scène. C’est dire.
L’ouverture promettait des phrases longues et pleines de lyrisme. Ce que l’on a eu par la suite, dès la première scène, ce sont des rythmes saccadés de la parole et des mots secs de Monsieur qui viraient à l’obsession : Res-Publica! Ses questions à répétition du genre « Qui? Quoi? Où? » ont renforcé son image d’homme largué, déconnecté de la réalité que vivent les Haïtiens, et l’ont rendu encore plus antipathique qu’il ne l’était déjà. Un rôle d’ingrat et un rôle ingrat à jouer pour le ténor Paul Williamson qui n’était pas avantagé par le style haché de l’écriture musicale propre à son personnage.
La soprano Suzanne Taffot a usé de sa voix puissante et de son jeu énergique pour incarner pleinement Mademoiselle, personnage en communion avec l’esprit du « parrain » Ogou La Flambeau qui, par l’intermédiaire de l’Homme, viendra punir Monsieur de son acte impardonnable. Le baryton-basse Brandon Coleman a fait une brève apparition sous les traits de cet Homme imposant. Par sa voix caverneuse, il a contribué formidablement au sentiment d’étrangeté entourant la scène du jugement. Le parallèle avec la statue du Commandeur dans Don Giovanni de Mozart saute aux yeux, à la différence que l’Homme n’ouvre pas la voie à l’expiation des pêchés comme chez les Chrétiens.
Dans le rôle de Madame, la mezzo-soprano Catherine Daniel a fait entendre une voix solide et un timbre riche, offrant au passage un bon binôme féminin avec Suzanne Taffot. Saluons, enfin, l’amplitude expressive de l’Orchestre classique de Montréal sous la direction d’Alain Trudel.
La Flambeau. Opéra de David Bontemps sur un livret de Faubert Bolivar. 7 février, salle Pierre-Mercure du Centre Pierre-Péladeau. www.orchestre.ca