Après son coup de force dans La Voix humaine, à la fois comme interprète et cheffe d’orchestre, la cantatrice Barbara Hannigan revenait à la Maison symphonique pour une seconde semaine de concerts, désormais comme soliste accompagnée par Rafael Payare et l’Orchestre symphonique de Montréal. Bien que la musique de Zosha Di Castri, In the Half-Light, ait peu en commun avec la partition de Poulenc, elle mettait en scène une femme seule dans un monde à la frontière entre le réel et l’imaginaire et où l’amour avec l’être aimé paraît impossible. Ce n’était certainement pas un hasard!
Connaissant la réputation de la soprano néo-écossaise, on pouvait s’attendre à une prise de risque maximale. De fait, l’écriture vocale de Di Castri puisait dans les extrêmes grave et aigu, enchaînant les montées et les descentes vertigineuses. Barbara Hannigan, qui a elle-même créé l’œuvre avec le Toronto Symphony Orchestra en 2022, a survolé les difficultés techniques et s’est approprié la partition comme elle sait si bien le faire.
Les premières mesures nous plongeaient d’emblée dans une atmosphère proche de la nature, au caractère hostile. Par le choix des trombones en sourdine et les effets de glissando qui sonnaient volontairement « faux », on aurait cru que le vent froid s’invitait dans la salle. On empruntait ensuite un chemin escarpé dans une grotte d’où provenaient une succession de sons en écho. Une part belle continuait d’être réservée aux cuivres, dans ce qui ressemblait le plus souvent à une imitation de phénomènes naturels.
Du côté de la soprano, les lignes vocales demeuraient totalement imprévisibles. Les quelques passages en français contribuaient encore davantage aux pensées chaotiques et aux crises de panique du personnage. L’interprète s’est immergée complètement dans cet univers intérieur, prêtant sa voix à toutes sortes d’exploration de timbres et de textures : des notes staccato, semblables à un bégaiement, des glissandos suivant les fluctuations de l’orchestre, des coups de glotte sur des onomatopées et des bruits secs. Il y avait non seulement dans les paroles, mais dans la musique quelque chose d’absurde et détaché du monde, un foisonnement d’idées sans cesse interrompues qui rappelaient étrangement le symbolisme de Pelléas et Mélisande.
Au retour de la pause, changement complet de style! Fini les accents debussystes, la Symphonie no 4 de Bruckner nous ouvrait en grand les portes du wagnérisme. Seul fil conducteur et non des moindres : l’omniprésence des cuivres. La section des violoncelles s’est particulièrement illustrée, par l’ampleur de ses sonorités et par sa cohésion. En comparaison, les violons n’ont pas semblé jouer le rôle qui leur est habituellement dévolu dans les partitions pour orchestre, mais plutôt servir, par de courts traits énergiques, la grande fresque épique que représente cette œuvre de la fin du XIXe siècle.
Le troisième mouvement a été le plus héroïque, notamment par les nombreuses chevauchées emmenées par les cuivres. Toutefois, les répétitions de mêmes thèmes ont fini par essouffler notre intérêt. L’œuvre est ce qu’elle est, avec ses hauts et ses bas, ses qualités et ses passages moins inspirés, mais on aurait tout de même apprécié une plus grande variété de mouvements à chaque nouvelle occurrence. Le finale, qui reprenait plusieurs éléments thématiques issus des deux premiers mouvements, nous a laissé la même impression de redondance. L’alternance assez systématique entre des sections tantôt grandioses, tantôt intimes, rendait aussi, à la longue, la structure du morceau prévisible.