Critique | Camille Claudel : une expérience audio-visuelle hors du commun

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Dimanche dernier, en voyant la disposition de panneaux géants installés dans la salle Jean-Louis Millette du Théâtre de la Ville de Longueuil, il nous revenait en mémoire le spectacle multimédia De la mer aux nuages que Stéphanie Pothier avait offert à Montréal en avril 2023, sur des mélodies préexistantes et des compositions originales de Julien-Robert. Dans le cadre du Festival Classica, la mezzo-soprano présentait cette fois un autre concert de musique à l’image en compagnie du Quatuor Molinari.

Camille Claudel : dans l’ombre du géant

Au programme, les Trois chansons de Bilitis mélodies de Debussy, contemporain de Camille Claudel, un quatuor à cordes de Tailleferre, compositrice confrontée comme elle à un univers essentiellement masculin, et un cycle de Jake Heggie en hommage à cette sculptrice devenue icône du féminisme. Le spectacle, augmenté par une conception vidéo de Julien-Robert et Stéphanie Pothier, tourne déjà depuis avril 2021.

Les images projetées sur écran nous immergeaient progressivement dans sa vie et dans son œuvre. Tout a commencé par des scènes de campagne et des vues aériennes, dont certains détails faisaient parfois écho aux paroles prononcées (par exemple, une photo des méandres d’une rivière avec un effet de fondu au blanc pour suggérer un paysage hivernal).

Malgré les restes d’une bronchite persistante, Stéphanie Pothier a interprété Debussy avec rondeur et générosité. La Chevelure, deuxième mélodie du cycle, comporte des passages particulièrement aigus, bien menés par la chanteuse sans jamais perdre de vue l’articulation du texte. Certains glissandos dans la troisième et dernière mélodie, Le tombeau des naïades, semblaient toutefois ne pas correspondre au style.

L’amplification : avantage ou inconvénient?

De son côté, le Quatuor Molinari s’attaquait à un répertoire relativement « ancien », si l’on en juge par ses propres habitudes en concert et sur disque. Les instrumentistes ont mis un certain temps à s’adapter à l’acoustique de la salle, certainement pas pensée pour de la musique de chambre. La présence de micros faisait en sorte qu’on entendait tout, y compris les légères rectifications de justesse ou le timbre fragile de certaines notes tenues jusqu’à l’extrémité de l’archet.

L’amplification avait aussi ses avantages. Dans le quatuor à cordes de Tailleferre, les lignes du violoncelle et de l’alto dans le grave pouvaient être aussi bien appréciés que celles des voix supérieures (en l’absence de micros, le timbre brillant d’un violon fait parfois écran sur les traits musicaux plus subtils développés par les autres instruments).

Pièce de résistance

Le dialogue entre les musiciens du Molinari s’est poursuivi de plus belle dans le quatuor avec voix Into the Wild de Jake Heggie. L’œuvre conjuguait plusieurs styles. Le troisième mouvement, Shakuntala, a séduit par ses sonorités orientales et son intensité dramatique, le mouvement suivant, La petite chateleine, par son lyrisme et ses marches harmoniques, le mouvement d’après, The Gossips, par son minimalisme enivrant. Dans celui-ci, l’amplification a permis de mettre en valeur un très duo de circonstance entre la mezzo-soprano et le violoncelle.

À tout moment, le Molinari a été le parfait allié de Stéphanie Pothier, dans sa rigueur, ses forces autant individuelles que collectives et sa capacité à recréer un univers sonore dans lequel les différentes voix peuvent se mouvoir librement.

Accompagnés par une quantité d’images détaillées, notamment des visages émouvants sculptées par Camille Claudel, les musiciens ont assurément fait vivre au public du Festival Classica une expérience de concert hors du commun.

Prochaine représentation, le 5 juin 2024 au Spect’Art de Rimouski. Pour tous les détails, visitez le www.stephaniepothier.com/clairobscur/concert-camille-claudel
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A propos de l'auteur

Justin Bernard est détenteur d’un doctorat en musique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la vulgarisation musicale, notamment par le biais des nouveaux outils numériques, ainsi que sur la relation entre opéra et cinéma. En tant que membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM), il a réalisé une série de capsules vidéo éducatives pour l’Orchestre symphonique de Montréal. Justin Bernard est également l’auteur de notes de programme pour le compte de la salle Bourgie du Musée des Beaux-Arts de Montréal et du Festival de Lanaudière. Récemment, il a écrit les notices discographiques pour l'album "Paris Memories" du pianiste Alain Lefèvre (Warner Classics, 2023) et collaboré à la révision d'une édition critique sur l’œuvre du compositeur Camille Saint-Saëns (Bärenreiter, 2022). Ses autres contrats de recherche et de rédaction ont été signés avec des institutions de premier plan telles que l'Université de Montréal, l'Opéra de Montréal, le Domaine Forget et Orford Musique. Par ailleurs, il anime une émission d’opéra et une chronique musicale à Radio VM (91,3 FM).

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