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Depuis l’arrivée de Clemens Schuldt à la tête de l’Orchestre symphonique de Québec, en 2023, l’air n’est plus tout à fait le même. Une fierté s’est comme emparée des musiciens, de l’organisation, mais aussi du public de la capitale nationale. Ce changement est dû à la convergence de plusieurs facteurs, mais la personnalité du chef allemand et son engagement local n’y sont certainement pas étrangers. La Scena Musicale l’a rencontré à Montréal, au lendemain du concert de clôture du Festival Bach qu’il avait eu le plaisir de diriger.
Dans un pays comme l’Allemagne, un jeune chef d’orchestre ne peut que s’imprégner des grands maîtres du passé. Son père est de Hambourg, la ville où Brahms est né. Quand il était jeune adolescent, Clemens a déménagé à Dresde, la ville de Wagner. Plus tard, il a étudié un peu partout, comme il le dit lui-même, à Düsseldorf, à Vienne et à Weimar notamment, la ville de Goethe et de Jean-Sébastien Bach.
Nouer de nouvelles relations
« Ma mère est professeure de piano et mon père, pianiste amateur. Ils se sont rencontrés grâce à une séance de piano à quatre mains. C’était l’astuce qu’avait trouvée mon père. Il demandait à ses amis s’il y avait une jeune femme qui voudrait bien jouer avec lui. Il choisissait aussi spécifiquement des morceaux qui nécessitaient des croisements de mains ! Maintenant, c’est moi qui joue avec lui. Il a 86 ans et on a beaucoup de plaisir à faire de la musique ensemble. Pour lui, c’est le paradis quand il peut avoir ces moments-là avec un de ses deux fils – ou les deux! »
C’est le même plaisir qui anime Clemens pendant et après le concert lorsqu’il rejoint des musiciens d’orchestre ou le soliste de la soirée pour des séances de musique improvisées; prochainement, avec le percussionniste Colin Currie au Grand-Théâtre (27 février) et le violoniste Nemanja Radulović au Palais Montcalm (7 mai). « Je vais l’emmener, comme j’ai fait avec d’autres, à un bar juste à côté ou encore au foyer. Nous jouerons des pièces de divertissements comme une polka, des choses folkloriques, du jazz improvisé dans une ambiance conviviale. On prend un verre, on parle, les gens viennent me rencontrer, il y a une proximité. C’est génial ! Ça nous permet de mieux connecter. C’est aussi pour ça que les gens de Québec sont à l’aise et embarquent avec moi. »
Une carrière en direction
Le chef allemand dit avoir presque abandonné la pratique du violon, sa formation instrumentale initiale, pour se consacrer davantage au piano. Déjà à l’université, il avait opté pour un changement de parcours dans l’espoir de devenir chef d’orchestre, mais aussi accompagner des chanteurs à l’opéra. « J’ai investi beaucoup de temps en piano et en direction simultanément parce que je sentais que ça m’ouvrirait plus de portes. En Allemagne, il y a beaucoup de compagnies d’opéras, d’orchestres symphoniques, mais pour un jeune chef qui peut aussi jouer au piano, c’est plus facile d’entrer dans ce monde de la direction après les études. »
Pour Clemens, la décision de s’orienter vers la direction d’orchestre est venue, entre autres, d’un accident de parcours qui, rétrospectivement, a tout l’air d’un coup du destin. « J’ai commencé à diriger pour la première fois à Düsseldorf avec mes amis. J’étais violoniste à l’époque et je m’étais fait mal au bras en raison d’une posture rigide au point que je ne pouvais plus jouer pour au moins 10 mois. Je les ai appelés pour le leur dire, mais ajouté que j’aimais la direction et leur ai demandé s’ils voulaient faire des concerts avec moi. Mes amis m’ont dit oui. J’ai pu les guider dans mon interprétation en sachant qu’ils étaient des musiciens de premier ordre. Leur niveau d’exécution était incroyable et il était important pour moi d’abord de gagner leur respect. Cela m’a servi pour la suite. Après le respect, il y a la capacité d’inspirer les autres, développer son oreille, communiquer une fantaisie qui peut amener les musiciens un peu plus loin. Dans chaque ville où je suis passé ensuite, j’ai essayé de créer un groupe. »
Clemens a eu le bonheur d’avoir le chef de renommée internationale Paavo Järvi comme mentor. « J’ai eu quelques cours de maître avec lui en Estonie. J’ai aussi joué comme violoniste dans son orchestre de chambre à Brême et j’ai beaucoup appris de lui. Plus tard, il a assisté à des concerts où je jouais notamment la quatrième symphonie de Brahms. Il a écouté, m’a fait des commentaires et nous sommes encore en contact quelques fois pour des détails. C’est un super professeur. Il m’a conseillé, par exemple, de simplifier mes battues. Selon lui, plus la musique est complexe, plus la gestuelle doit être simple. C’est une pensée claire, logique et essentielle parce que si un chef apparaît comme ayant une direction complexe, ça devient aussi complexe pour les musiciens. »
Le prix de direction remporté à Londres en 2010 a évidemment propulsé son avenir auprès des orchestres symphoniques. Il a offert à Clemens la possibilité d’être chef assistant du London Symphony Orchestra pendant une année complète, avec toutes les retombées que ce mandat est susceptible d’apporter. « C’est à ce moment que j’ai trouvé une agence d’artistes et que le bouche-à-oreille s’est mis en marche. Les musiciens d’orchestre se parlent entre eux, vous savez. Au cours de cette année d’expérience, j’ai été entouré par l’excellence, non seulement au contact de sir Colin Davis, mais d’autres chefs, musiciens et solistes inspirants. Ç’a incontestablement développé mon oreille à un haut niveau. »
En quête d’identité
Sa gestuelle s’est aussi raffinée. « En Amérique du Nord et au Québec, les chefs dirigent habituellement un peu plus sur le temps qu’en Allemagne », observe-t-il. Les témoignages vidéo qui subsistent de Herbert von Karajan, par exemple, nous montrent en effet un chef très absorbé par son art, en train de battre la mesure au moins un temps avant que l’orchestre joue les notes de la partition. Cette approche, bien qu’étonnante d’un point de vue extérieur, a aussi de précieux avantages. Elle donne aux musiciens un pouvoir de décision important sur la manière d’aborder concrètement la musique en permettant à chaque section d’instruments de façonner un son qui lui est propre. C’est en tous cas quelque chose de nouveau que le chef allemand souhaite implanter à l’OSQ. « Un pizzicato va sonner différemment avec un certain décalage. Je dirige et choisis de laisser les cordes trouver le moment pour bien le faire résonner. Ça développe l’intelligence de groupe, mais aussi l’éducation et une certaine tradition d’interprétation. Après un an à Québec, il me semble que nous sommes plus européens qu’avant. Le son du cor a changé, tout comme la subtilité et la rondeur des cuivres. »
Pour accompagner ce mouvement, on a acheté des trompettes viennoises. Elles viennent désormais s’ajouter à la palette expressive de l’OSQ, notamment dans le répertoire de Mahler, R. Strauss et Brahms. « La différence est notable. Le son est plus sombre, plus rond aussi. Pour d’autres répertoires, j’aime au contraire un son très clair. J’aime avoir un orchestre polyvalent, développer un ADN qui lui est propre. Nous sommes effectivement en train de créer un ADN à Québec, une nouvelle qualité sonore, mais aussi de faire preuve de créativité grâce à une programmation susceptible d’attirer un public toujours plus large. »
La stratégie porte ses fruits. « Le public continue de nous suivre. Nous avons augmenté les ventes de 30 à 40 %. On a déjà vendu au novembre 2024 un nombre de billets équivalant à tout ce que nous avions vendu à la fin de la première saison. » Cette tendance s’explique en partie par la venue de solistes de calibre international, une programmation attractive et de petites surprises distillées au public, analyse le chef.
L’ambiance à Québec
Clemens confie avoir senti très tôt une affinité avec les musiciens de l’orchestre. Il se souvient d’une des premières œuvres qu’ils ont travaillées ensemble. « Je dirigeais le Don Juan de Strauss dans un rubato à l’allemande, avec plus ou moins d’accélération. Les gens m’ont accueilli chaleureusement, ce qui a créé une sensation très positive en moi. Je me suis rendu compte qu’ils étaient très ouverts à mes idées. L’équipe administrative était aussi très aimable avec moi. Je me suis dit, malgré les 20 degrés sous zéro qu’il faisait dehors durant la première semaine d’essai, que ça pouvait très bien marcher. J’ai vu vraiment le potentiel du groupe », admet celui qui a donc choisi de s’établir à Québec. Hasard ou coïncidence, il y a trouvé un bassin d’environ 550 000 habitants, comparable à celui de Brême, sa ville natale. Les relations sont également au beau fixe avec le maire de la ville de Québec, Bruno Marchand, avec qui il fait des tours de jogging. Dans les faits, Clemens ne pouvait pas souhaiter meilleure intégration !
Diversité de répertoires
Mozart, Beethoven, Bruckner, Tchaïkovski, Saint-Saëns… En seulement quelques mois, l’OSQ donnera à entendre un répertoire très vaste. À cela s’ajoute une création de Katia Makdissi-Warren, compositrice en résidence, basée sur de la musique des Premières Nations et avec la participation de musiciens autochtones (9-11 avril). « Je veux que le public puisse écouter quelque chose d’émouvant, je ne suis pas là pour éduquer les auditeurs, simplement là pour les inviter à embarquer avec moi, car j’aime cette musique et aimerais la partager avec eux. C’est d’abord un esprit d’ouverture qui m’anime. »
Clemens aime aller au contact non seulement après, mais aussi avant le concert lors de la série des Préludes. « Au début, on dénombrait une centaine de personnes. Maintenant, nous en avons plus du double. Pendant une trentaine de minutes, parfois moins, je donne quelques retours sur le déroulement du travail avec le soliste. Je raconte l’histoire, je joue des extraits au piano, je fais des blagues, j’essaye de trouver des choses qui attirent l’oreille. Un texte d’un musicologue ne peut pas aborder des sujets aussi personnalisés, comme un détail apparemment anecdotique dans la partition. Je cherche à créer cette proximité, en pensant aussi à la qualité musicale. Au final, il s’agit de rassembler les gens, de créer des moments enthousiasmants, de transmettre une émotion, peu importe le bagage musical et le niveau de connaissances. Sinon, ça ne m’intéresse pas. »
Au programme pour avril…
Clemens a de grands projets en vue : « L’OSQ en tant qu’organisation me semblait comme une belle au bois dormant. Maintenant, le potentiel est activé. Même dans l’équipe, les gens me disent que ce nouveau souffle leur donne plus d’énergie, de motivation à s’investir. Les gens deviennent plus créatifs, ambitieux, ils osent plus et nous pensons plus grand. Après, il n’y a pas de limite. Il faut avoir des visions et ce sont ces visions qui nous emmènent loin. »
Le début du mois d’avril sera marqué par le Festival Beethoven, projet ô combien ambitieux qui fera vibrer toute la ville aux sons des œuvres immortelles du maître allemand (du 2 à 17 avril) : trois programmes de concerts, des prestations dans les musées, au Morrin Centre, un marathon Beethoven, des projets avec les écoles, au Conservatoire de Québec, à l’Université Laval, un party Beethoven avec DJ… « Il y aura aussi du cinéma. C’est un festival pour la ville et dans la ville, une de mes idées folles. On fait plusieurs collaborations pour que tout le monde se sente inclus. Les Violons du Roy joueront avec nous la neuvième de Beethoven, par exemple. Nous partageons, travaillons ensemble dans le monde culturel. Je veux porter cette vision. C’est le répertoire parfait, car Les Violons du Roy ont aussi une expertise. Nous sommes des amis, au fond. L’important est de créer une dynamique favorable pour la musique classique à Québec qui profite à tout le monde. »
…Et la saison prochaine
La saison prochaine, Clemens prévoit quelques symphonies de Mahler. Il se prépare également aux célébrations du 125e anniversaire de l’OSQ, ce qui en fait l’orchestre le plus ancien au Canada. « Ce sera une grande saison. Je travaille beaucoup pour ça. On va avoir une tournée au Canada, dans plusieurs villes au Québec également. Ça fait longtemps que l’OSQ n’est pas parti en tournée. J’espère pouvoir bientôt amener l’OSQ à des festivals comme à Lanaudière. J’aimerais bien aussi que les villes autour de Québec comprennent ce qui est en train de se passer. Nous sommes la capitale et il faut pouvoir dire où nous sommes rendus. Les municipalités connaissent peut-être le son des années passées, mais peut-être pas le nouveau son de l’OSQ. Faire des enregistrements est quelque chose que j’aimerais faire également, tout comme faire grandir notre public dans la ville. »
Pour en savoir plus sur la saison de l’Orchestre symphonique de Québec, visitez www.osq.org
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