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J’étais à un dîner par un soir d’hiver glacial, peu de temps après noël, et l’un des invités (un non-musicien) a dit : « Ne serait-ce pas bien si les gens recherchaient de vieux instruments d’il y a des centaines d’années et jouaient sur ces mêmes instruments les œuvres écrites à l’époque ? » Je n’ai pas vraiment su quoi répondre. Depuis plusieurs décennies, des départements universitaires entiers se consacrent aux instruments anciens.
Mais j’ai eu le plaisir de voir un mois plus tard, par un autre soir d’hiver tout aussi glacial, un public moderne impressionné par la musique d’une époque très lointaine jouée sur de tels instruments.
Ce que vous avez manqué
La novatrice compagnie La Nef présentait le 5 février dernier un programme consacré aux chansons et à la musique instrumentale de l’Espagne des 16e et 17e siècles. Les vedettes étaient la soprano Catherine St-Arnaud et les instrumentistes Sylvain Bergeron et Antoine Mallette-Chénier. Également à l’honneur, une guitare baroque, un luth et une magnifique harpe d’époque ainsi qu’un assortiment de petites percussions amenant leurs touches de couleur.
Tout le monde avait l’air de se sentir chez-soi dans le charmant, mais glacial, Centre St-Jax – anciennement l’Église anglicane Saint-James the Apostle. Une machine à fumée et des éclairages créatifs ont induit une atmosphère agréable. Le public a été transporté d’une température polaire à la chaleur ibérique grâce à des œuvres de José Marín (1619-1699), Alonso Mudarra (1510-1580) ou Gaspar Sanz (1640-1710), entre autres. « Olé ! »
St-Arnaud est une chanteuse polyvalente qui semble à l’aise autant dans le 16e que dans le 21e siècle. Elle a chanté assise tout le long, ce qui lui a permis de parcourir les chansons parfois complexes et de jouer de petits instruments de percussion. Sa prestation la plus captivante sur le plan vocal a peut-être été lors du rappel : un morceau de Lully, qui, j’en conviens, n’est pas du 16e siècle espagnol.
Bergeron a passé habilement de la guitare baroque au luth, et Mallette-Chénier nous a montré pourquoi la harpe occupait une place si importante dans la musique de l’époque. Comme le laisse entendre le sous-titre du programme, « ayres y danzas espanolas », la harpe était beaucoup plus énergique qu’aujourd’hui. Ce fut d’ailleurs l’un des points forts de la soirée. En explorant les possibilités expressives de la harpe, on lui découvre de nouvelles avenues possibles.
Ce qui laissait à désirer
Tout programme de musiques anciennes court le risque de s’attacher à l’exactitude historique au point de devenir un fossile d’art vivant. D’un autre côté, la musique s’impose d’elle-même dès qu’on la laisse simplement exister. Cela dit, la connaissance du contexte peut rendre l’expérience plus profonde et plus riche.
Ce programme en particulier s’inscrivait dans un contexte riche que de nombreux auditeurs auraient pu apprécier. Les 16e et 17e siècles ont suivi directement la Reconquista, lutte épique entre le royaume de Grenade et la couronne de Castille, qui fut un thème important pour les siècles à venir. La fusion des deux mondes culturels est évidente dans la musique.
C’est également à cette époque que Cervantès a écrit Don Quichotte – considéré par plus d’un comme le premier roman moderne. En outre, plusieurs mélodies démontrent l’influence de la musique mozarabe (l’une des plus anciennes traditions musicales latines). On a pu entendre le vocabulaire tonal et les modes qui ont fait leur chemin vers le flamenco et la musique folklorique espagnole moderne, juxtaposés à la structure et aux systèmes de composition employés à la Renaissance.
Il aurait été utile d’avoir des traductions plus détaillées, ou des références pour les trouver. Les interprètes nous ont révélé que les paroles concernaient les nombreuses facettes de l’amour (ce qui est le cas pour environ 90 % de toutes les chansons jamais écrites) et donné un peu plus d’informations concernant quelques morceaux. L’expérience aurait gagné en profondeur si on avait pu mieux suivre ou se documenter.
Le concert m’a semblé laisser des questions en suspens. Où étaient interprétées ces mélodies ? Étaient-elles réservées à l’aristocratie ? Étaient-elles bien connues dans la société ? Les gens dansaient-ils vraiment ? Ou était-ce plutôt comme les danses stylisées de Bach et d’autres compositeurs de la Renaissance et du Baroque ?
Quoi qu’il en soit, les artistes ont réussi haut la main à emmener le public dans cet autre espace-temps. Félicitations à la Nef pour son approche innovante, qui élargit et atténue à la fois les frontières du récital, de la représentation scénique et de la musique classique. Les trois musiciens ont su rendre le matériel accessible. En fin de compte, rien n’a changé. Trois cents ans n’ont pas empêché les rythmes animés et les mélodies émouvantes de cette époque de nous rejoindre encore aujourd’hui.
La Nef présentera le 2 avril, à la Maison de la culture Maisonneuve, un programme consacré au Montréal des années 1920.
la-nef.com
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