Suzie LeBlanc : Boucler la boucle

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La célèbre soprano acadienne Suzie LeBlanc a bouclé la boucle en devenant la nouvelle directrice artistique et générale du Early Music Vancouver en janvier 2021, revenant ainsi dans la province où elle a lancé son illustre carrière internationale il y a 35 ans.

Suzie LeBlanc. Photo: Mark Mushet.

« En venant ici, c’était non seulement un retour à l’organisation qui m’a donné l’un de mes premiers engagements professionnels à l’extérieur de Montréal, mais aussi une occasion incroyable, car une grande partie de la saison des concerts était interrompue en raison de la pandémie », déclare LeBlanc, qui est aussi membre de l’Ordre du Canada, à propos de son audacieux saut du Québec à la côte ouest du Canada. « J’ai bondi sur l’occasion et j’en suis très heureuse, car il s’agit d’une organisation que j’aime vraiment. »

Originaire d’Edmundston, au Nouveau-Brunswick, et fille de la soprano Marie-Germaine LeBlanc, elle a fait ses débuts à l’EMV en 1984, alors qu’elle était âgée d’une vingtaine d’années, lors d’une tournée dans l’Ouest canadien avec le trio vocal Musica Secreta. Après avoir ébloui le public avec sa voix pure et cristalline, qui lui a depuis valu des accolades dans le monde entier, sa carrière professionnelle a commencé à monter en flèche. Elle a obtenu une place de choix dans l’ensemble New World Consort du luthiste Ray Nurse. Elle a ensuite poursuivi ses études en Europe, ce qui l’a amenée à travailler avec l’ensemble britannique The Consort of Musicke, parmi de nombreux autres ensembles.

Pendant cette période sans précédent où la COVID ravageait encore le monde, LeBlanc s’est réfugiée dans les bureaux de l’EMV, reconnaissante de pouvoir s’y rendre physiquement. Elle a appris les ficelles de l’organisation et a construit un nouvel héritage avec l’EMV à l’ombre des projecteurs.

LeBlanc attribue sa rapidité d’exécution à l’expérience qu’elle a acquise en menant sa propre carrière sur scène pendant des décennies. Elle a également contribué à la fondation du groupe de chambre montréalais Le Nouvel Opéra en 2005, aux côtés du célèbre chef d’orchestre et claveciniste allemand Alexander Weimann, directeur artistique de l’ensemble partenaire de l’EMV, le Pacific Baroque Orchestra. Elle a également exercé ses talents de gestionnaire en dirigeant la Cappella Antica de l’Université McGill, tout en enseignant dans le cadre de son programme de musique ancienne de 2010 à 2016.

Constantinople et Suzie LeBlanc. Photo: Jan Gates.

LeBlanc ne tarit pas d’éloges pour son prédécesseur, Matthew White, qui a dirigé l’EMV de 2012 à 2020 avant d’être nommé directeur général de l’Orchestre symphonique de Victoria. L’infrastructure de l’EMV est tout aussi importante pour elle : son « personnel merveilleux, dévoué et assidu » et son conseil d’administration inébranlable la soutiennent sans relâche dans son double rôle.

« Matthew a ouvert la voie à plus d’un titre », dit-elle à propos du pionnier, avec qui elle est restée en contact. « Tout d’abord, il a beaucoup développé l’organisation. Il a déplacé son festival d’été au centre-ville pour que plus de gens le connaissent. Il a également amené le Pacific Baroque Orchestra sous l’ombrelle d’Early Music Vancouver, de sorte que nous ne sommes plus seulement des présentateurs, mais également des producteurs avec eux », explique-t-elle à propos de la relation étroite qui unit les deux groupes.

LeBlanc est reconnaissante d’avoir pu aller de l’avant dès le début avec la nouvelle série de concerts virtuels de White, appelée « Digital Concert Hall ». La saison en ligne de l’EMV, adaptée aux pandémies, étant déjà en place de janvier à juin 2021, la nouvelle dirigeante a pu immédiatement se concentrer sur la création de son festival d’été inaugural, qui comprenait une série de concerts filmés à Montréal en l’honneur d’artistes féminines du 17e siècle. En 2021, les frontières étant toujours fermées et les voyages internationaux suspendus, LeBlanc a programmé quelques concerts en personne mettant en vedette des artistes de Montréal et de Vancouver qui ont renforcé les liens musicaux entre les deux villes.

Un autre acteur essentiel de son parcours jusqu’à présent a été Weimann, que LeBlanc loue pour son art inspirant et sa présence « vraiment, vraiment étonnante » sur la scène musicale vancouvéroise. Elle le décrit comme son « bras droit en matière de programmation », incluant en ouverture de la saison 2024-2025 son propre arrangement pour orchestre de chambre des immortelles Variations Goldberg de J. S. Bach qui a rencontré un énorme succès.

Les deux artistes, amis et collègues, se sont rencontrés pour la première fois il y a environ 35 ans à Berlin. Leurs vies musicales se sont ensuite croisées à Montréal et maintenant, de nouveau, à Vancouver. Le maestro allemand a remercié LeBlanc pour le rôle déterminant qu’elle a joué dans son rapprochement avec le Canada, où il a maintenant établi des racines solides sur la côte ouest avec sa femme Chloe Meyers, violon solo du PBO, et leurs trois enfants.  

« C’est l’une des collaborations les plus fructueuses et les plus merveilleuses auxquelles j’ai participé, déclare Weimann, qui dirige le Pacific Baroque Orchestra depuis 2009. Je me considère chanceux en raison de toutes les occasions qui se sont présentées au fil des ans – et beaucoup d’entre elles au cours des deux ou trois dernières années seulement, y compris toute notre collaboration éducative avec l’UBC qui est née de cette fusion » (avec l’EMV).

Il apprécie particulièrement son étroite relation de travail avec LeBlanc dans son rôle principal, ce qui n’est pas toujours évident lorsqu’il s’agit de gérer non pas un mais, dans ce cas, deux groupes artistiques en tandem.  

« J’ai toujours fait confiance à Suzie, même avant qu’elle devienne ma patronne, en quelque sorte, déclare l’artiste génial en riant. Je lui demandais souvent son avis. C’est un partenariat très aisé, et je pense que c’est une heureuse coïncidence – ou même une bénédiction – qui nous a réunis de nouveau. »

La soprano Suzie LeBlanc en tant que chef d’orchestre invitée au concert de la Journée internationale de la femme de la SMAM, 2019.

Un thème qui revient comme un leitmotiv dans la vie et la carrière de LeBlanc est la « joie de la découverte », qui a joué un rôle clé dans sa programmation imaginative et innovante. Aujourd’hui, elle peut s’appuyer sur sa carrière aux multiples facettes pour éclairer ses choix artistiques dans ce qu’elle appelle avec charme le « deuxième acte » de sa vie professionnelle.  

L’une des entreprises les plus médiatisées de LeBlanc a été le projet Elizabeth Bishop Legacy Recording, dans le cadre duquel elle a demandé à une liste de compositeurs canadiens de mettre en musique les mots de la poétesse originaire du Massachusetts. Dans le même ordre d’idées, elle prend un plaisir particulier à défendre la musique an-cienne faite par des femmes, donnant littéralement la parole à des artistes souvent reléguées dans l’ombre de leurs homologues masculins plus connus.

Elle marque également de son empreinte des programmes célébrant l’illustre mosaïque culturelle du Canada, y compris son bassin d’artistes autochtones tissant une multitude de liens dans la riche tapisserie musicale de l’EMV.

Les concerts interculturels, créés en collaboration avec Kiya Tabassian de l’ensemble Constantinople, qui mettent en lumière la musique ancienne de différentes cultures, sont un autre élément de sa notoriété. Ces concerts sont complétés par une série d’entretiens avec des artistes de l’EMV issus de milieux musicaux et culturels différents.

Sur sa liste de choses à faire figurent de futures collaborations avec des groupes locaux, notamment les festivals Coastal Jazz et Queer Arts, ainsi que la création de liens avec des organisations non culturelles, telles que celles qui s’occupent de questions environnementales d’actualité et de développement durable.

Suzie LeBlanc est la soliste de l’Orchestre symphonique de l’Île-du-Prince-Édouard en 2015.

Éducatrice née, LeBlanc est particulièrement enthousiaste à l’égard du nouveau programme de maîtrise en musique ancienne de l’Université de la Colombie-Britannique, qui débutera en septembre 2025 et qui offrira des possibilités et une formation inestimables à la prochaine génération de spécialistes.

En plus de sa programmation régulière de concerts à Vancouver, EMV produit également Lumen, un festival d’hiver annuel d’une fin de semaine. En outre, sa série de quatre concerts numériques continue d’attirer des publics du monde entier, tandis qu’un festival d’été annuel de dix jours se déroule dans divers lieux du centre-ville ainsi qu’en plein air.  LeBlanc a également lancé un programme annuel d’artistes en résidence dans le cadre du festival d’été, ce qui crée un échange dynamique entre les artistes locaux et les artistes invités, tout en continuant à nourrir le noyau toujours florissant d’artistes de musique ancienne de Vancouver.

S’engager dans une transition de carrière majeure comporte naturellement son lot de défis. LeBlanc admet qu’il lui a fallu un certain temps pour s’habituer à passer de Montréal, la Mecque de la musique ancienne, à une ville relativement isolée géographiquement, où Mère Nature rivalise avec les arts pour s’accaparer le temps et l’attention du public – sans parler des précieux dollars qui permettent aux organisations artistiques de se maintenir à flot.  

« La ville est magnifique, mais elle se trouve dans une autre partie du pays et je ne connaissais pas le public d’ici ni ce qu’il allait aimer, dit-elle à propos de son déménagement à l’autre bout du continent. C’était aussi un grand changement que de prendre la direction d’une organisation de la taille de l’EMV, qui existe depuis 55 ans. J’ai passé beaucoup de temps au bureau, à lire des documents pour me familiariser avec tout cela. »

Malgré la distance qui sépare Vancouver des autres centres musicaux par rapport à Montréal et la proximité relative de Toronto, Ottawa, Boston et New York, LeBlanc s’est rapidement rendu compte que la passion ne connaît pas de limites. Elle a été heureuse de constater que les amateurs de musique ancienne reviennent lentement vers les salles de concert pour entendre les concerts qui avaient disparu de leur vie depuis mars 2020, tout en soulevant les différences uniques entre les deux villes cosmopolites qui se trouvent à des milliers de kilomètres l’une de l’autre.

Suzie LeBlanc et Lucas Harris. Photo: Jan Gates.

« C’est vraiment une question de nombre et de culture, dit-elle. Quand on regarde le nombre d’ensembles de musique ancienne à Montréal par rapport à Vancouver, qui ont tous leur série et semblent trouver un public pour tous ces concerts, il est clair qu’il y a beaucoup plus d’activité à Montréal. » Mais elle apprécie profondément les ouvertures et « l’espace » considérables qui existent sur la côte ouest pour faire découvrir les concerts de musique ancienne à de nouveaux auditeurs. « Malgré notre nombre plus restreint, nous avons ici un public vraiment engagé, fidèle, curieux et passionné par nos programmes, et nous continuons à l’élargir. »

Une autre raison pour laquelle LeBlanc se sent chez elle dans sa nouvelle ville est que le fait de se déraciner périodiquement pour relever de nouveaux défis et saisir de nouvelles occasions fait partie de son ADN. Ses ancêtres acadiens, farouchement indépendants, issus d’une lignée de colons français des 17e et 18e siècles en Amérique du Nord, ont été fréquemment déplacés vers de nouveaux lieux pour diverses raisons. Cela souligne également sa profonde curiosité à l’égard de la vie, imprégnée, oui, de nouveau, de cette « joie de la découverte », alors qu’elle continue à tracer de nouvelles voies pour elle-même.

« À l’âge de 16 ans, je suis passée de l’Acadie à Montréal pendant 10 ans, avant de vivre en Europe pendant les 12 années suivantes, explique-t-elle. Je suis revenue à Montréal pour neuf autres années, puis en Nouvelle-Écosse pour cinq ans, et j’ai passé cinq autres années à Montréal avant de venir vivre à Vancouver. J’ai également beaucoup voyagé, et Vancouver m’a semblé être un autre endroit à découvrir. Je n’aurais jamais pensé vivre sur la côte ouest, car elle est très différente de la côte est. Mais j’ai appris à l’accepter », explique l’artiste, qui a même acheté un scooter électrique pour explorer son nouveau quartier.

Lorsqu’on lui demande quels sont ses projets futurs, alors qu’elle continue à s’enraciner dans sa nouvelle patrie, LeBlanc répond de but en blanc : « Je ne sais vraiment pas, tout comme je ne savais pas que j’allais venir ici. Je n’ai pas l’intention de partir d’ici de sitôt, mais j’ai confiance dans la vie qui me montrera la prochaine étape à franchir. Et j’aime être ouverte à cela. »

Traduction : Andréanne Venne

Early Music Vancouver présente le contre-ténor Iestyn Davies et le consort de violes Fretwork le 26 novembre, les Elizabethan Lute Songs le 5 décembre et les Festive Cantatas de Zelenka et Bach le 22 décembre. Pour connaître l’ensemble de la saison, visitez le site www.earlymusic.bc.ca 

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