Chroniques de disques

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Vins nouveaux… 

Anchors
Jason Stein, clarinette basse; Joshua Abrams, basse; Gerald Cleaver, batterie; artiste invité/co-producteur:  Boon. 
TAO Forms (TAO 16), septembre 2024

Les musiciens qui se dévouent à la clarinette basse ne sont pas légion. Dans le jazz, on peut les compter sur les doigts d’une main. Parmi les Américains, Jason Stein est l’un des rares clarinettistes qui ne pratique que la basse; il n’est pas exactement un nouveau venu par ailleurs. Le trio qu’il dirige sur Anchors, cependant, est assez récent. Stein et le bassiste Joshua Abrams ont déjà collaboré au sein de la Natural Information Society, mais c’est la première fois que Stein collabore avec le batteur Gerald Cleaver. On décrit le disque du clarinettiste comme « son plus personnel jusqu’ici »; il touche à des thèmes sensibles, dont la maladie et la guérison. S’ouvrant et se fermant sur deux duos avec l’énigmatique guitariste-producteur Boon, Anchor et Anchor II, l’album trouve Stein en pleine conversation avec ses collaborateurs. Lorsqu’il utilise l’archet, Abrams devient un interlocuteur complet, sa sonorité se mêlant parfaitement à celle de la clarinette basse. De la même façon, Cleaver occupe une fonction bien au-delà du rythme, participant pleinement à la conversation à trois (Crystalline). Le trio entre pleinement en mode free jazz sur Cold Water, pièce qui, comme la pointilliste Holding Back, explore les thèmes de la douleur, de la souffrance et de la privation; mais cette dernière pièce, vers les 5 minutes, acquiert une qualité mélodique et un groove qui (peut-être inconsciemment) cite la pièce très sereine de Dave Holland, Conference of the Birds.

On peut écouter des extraits et/ou acheter Anchors sur Bandcamp

To March is to Love
Janel Leppin, violoncelle/compositrice; Ensemble Volcanic Ash: Anthony Pirog, guitare; Luke Stewart, basse; Larry Ferguson, batterie; Sarah Hughes, saxophone alto; Brian Settles, saxophone ténor
Cuneiform Records (RUNE 529), juin 2024

Le violoncelle est encore un instrument relativement peu commun dans le jazz, mais nous ne sommes heureusement plus à l’époque où un Fred Katz devait se contenter de la catégorie « instruments divers » dans les palmarès annuels. Les violoncellistes créatifs contemporains sont souvent plus éclectiques que leurs prédécesseurs : on peut difficilement catégoriser des artistes comme Erik Friedlander ou Tomeka Reid; c’est également le cas pour la violoncelliste et compositrice de Washington Janel Leppin. Son duo avec son compagnon, le guitariste Anthony Pirog (Janel and Anthony), est en réalité plutôt inclassable, mais son sextette Ensemble Volcanic Ash (EVA) occupe une place mitoyenne entre le jazz d’avant-garde et le Rock in Opposition. Habituée du label Cuneiform, Leppin avait fait paraître le premier album de l’EVA sur l’étiquette du Maryland en 2022. Pour la suite, la violoncelliste fait appel aux figures d’Abdul Wadud (l’album s’ouvre sur une dédicace au violoncelliste, alors que son esprit semble habiter Union Art) et de Julius Hemphill (sa description du jazz comme As Wide as All Outdoors donne son nom à une pièce). La brève valse Sateatime offre un bref répit avant l’inquiétante pièce-titre (en deux parties). Pour clore l’album, Leppin évoque une autre influence majeure, Pablo Casals, dans un morceau… au piano ! Décidément, le deuxième Ensemble Volcanic Ash est plein de surprises !

On peut écouter des extraits et/ou acheter To March is to Love sur Bandcamp

…et grands crus

Lotus Blossom
Alex Hendriksen, saxophone ténor; Fabian Gisler, contrebasse; Paul Amereller, batterie
ezz-thetics (1054), mai 2024

Le saxophoniste suisse Alex Hendriksen possède un phrasé résolument moderne, mais sa sonorité plus classique explique peut-être son inclination pour les standards. Il avait déjà montré une disposition pour ce répertoire en 2019 en duo avec le contrebassiste Fabian Gisler sur The Song is You. Cette année, sur Lotus Blossom, les deux sont rejoints par le batteur Paul Amereller pour une excursion en trio parmi quelques standards et autres classiques du jazz, depuis la ballade I Wish I Knew jusqu’à une pièce de Monk, Introspection. Hendriksen semble vouer un culte particulier à Billy Strayhorn, puisqu’il se frotte ici à quatre de ses compositions (qui s’ajoutent aux quatre sur l’album de 2019). Le format saxophone-contrebasse-batterie évoque naturellement quelques célèbres précédents, comme Sonny Rollins, Warne Marsh ou Joe Henderson. Ce sont évidemment des sommets que peu peuvent prétendre atteindre, mais Hendriksen n’a pas à rougir de ses efforts; à ces maîtres, on ajoutera aussi le nom de Benny Golson, récemment disparu : écoutez justement le saxo suisse sur son classique, I Remember Clifford.

On peut écouter des extraits et/ou télécharger Lotus Blossom sur Bandcamp

Together
Eric Alexander
, saxophones ténor, alto et soprano; Mike LeDonne, piano
Cellar Music Group (CM072023)
, juillet 2024

« Nous avions tous les deux des pièces en solo et nous avions commencé à jouer en duo à l’époque de la COVID », dit Mike LeDonne dans les notes pour Together. C’est simple, mais avec deux vétérans de cette trempe, on devine qu’il y a beaucoup plus qu’il n’y paraît au premier abord. Eric Alexander est un saxophoniste distingué, qui navigue brillamment entre le jazz mainstream et le jazz moderne. Son aîné de plus d’une décennie, le pianiste Mike LeDonne, est également à l’aise dans le jazz classique et dans le jazz moderne. Sur Together, les deux se partagent des duos (Round Midnight prend un virage inattendu, et Alexander sort son alto pour I’m in the Mood for Love) et des solos (Alexander au soprano pour Autumn in New York). L’album n’est cependant pas uniquement une collection d’indémodables standards : LeDonne rend hommage au pianiste Harold Mabern et à sa fille, alors qu’Alexander contribue un solo final à l’alto en plus de Mutation (« Eric a mentionné qu’il avait une partition non transposée, et nous l’avons juste jouée comme première prise », dit LeDonne). Dans un monde qui semble tourner de plus en plus vite, que ces deux-là aient pris le temps de juste s’asseoir et jouer semble précieux. Après tout, c’est ça, le jazz.

On peut écouter et/ou acheter Together sur Bandcamp

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