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En 1982, le compositeur et chef d’orchestre Alex Pauk reconnaît une lacune dans la scène musicale canadienne. Bien qu’il ait déjà fondé de petites organisations musicales (ARRAY Music et Days Months and Years to Come) dans l’espoir de créer des environnements dans lesquels les compositeurs – souvent ses amis – pourraient entendre leur musique jouée par des musiciens de haut calibre, l’absence d’opportunités dans des contextes orchestraux plus importants a conduit à la conception d’Esprit Orchestra. Son objectif avec l’orchestre était de promouvoir de nouvelles œuvres de compositeurs canadiens et d’offrir aux musiciens d’orchestre la possibilité de s’immerger dans le processus de développement de la nouvelle musique, en garantissant toujours un temps de répétition et un soutien adéquats.
À son premier concert, l’orchestre a présenté les premières de Vanishing Points de John Rea, de Plage de Serge Garant et d’Into the Distant Stillness de Brian Cherney, toutes des commandes faites spécialement pour l’occasion. Bien que la commande et l’interprétation de nouvelles œuvres canadiennes soient toujours la mission principale d’Esprit Orchestra, le groupe a élargi son répertoire pour inclure des œuvres du monde entier, en tandem avec des compositions canadiennes, plaçant ainsi les œuvres canadiennes en dialogue avec des pièces de compositeurs internationaux.
Nombreux étaient ceux qui doutaient de la viabilité d’un projet de cette envergure et qui se demandaient si l’orchestre survivrait au-delà de quelques années, mais Pauk et sa cofondatrice et épouse, la compositrice Alexina Louie, ont persévéré. Esprit Orchestra a été l’un des premiers à présenter les œuvres orchestrales de John Adams; il a contribué à faire connaître les compositions de Colin McPhee à un public plus large; et il a commencé à présenter des œuvres d’Unsuk Chin dès 2009, alors que peu d’autres l’avaient fait.
Pauk élabore constamment des saisons uniques et fascinantes, en brisant souvent les règles traditionnelles de la programmation orchestrale. Il est important pour lui, par exemple, de « jouer des œuvres plus d’une fois » et de présenter « des œuvres du même compositeur à deux reprises au cours d’une saison ». Esprit Orchestra crée des opportunités pour les compositeurs d’écrire et promet que leurs œuvres seront préparées de manière délibérée, par un groupe de musiciens qui « s’engage sur le son », comme le dit Pauk. Cette approche combine un temps de répétition suffisant, un orchestre passionné par la musique nouvelle, une attention particulière aux détails et un dialogue ouvert entre le compositeur, le chef d’orchestre et les musiciens. Le résultat ? Un processus passionnant et enrichissant, générateur de créativité musicale et d’un vaste potentiel artistique.
Le soutien est une grande partie de ce que fait Esprit, et ce qui rend l’orchestre si particulier. En tant qu’organisation, il s’est immergé dans de nombreuses communautés musicales et éducatives dans l’espoir non seulement d’appuyer les compositeurs actuellement actifs, mais aussi de guider la prochaine génération de compositeurs canadiens. Esprit Orchestra gère plusieurs programmes – sa stratégie créative de trois ans, notamment, met en avant les œuvres de deux nouveaux compositeurs canadiens par an, chacun pour une période de trois ans, au cours de laquelle ils sont chargés d’écrire régulièrement pour l’orchestre. Ces compositions sont ensuite interprétées dans le cadre d’une autre initiative de sensibilisation, le festival annuel New Wave, au cours duquel les compositeurs peuvent entendre – et parfois même diriger – leurs propres œuvres. C’était le cas de l’étoile montante Alison Yun-Fei Jian, dont Temporal et Sanctuary ont toutes deux été créées pour Esprit. Alison Yun-Fei Jian est désormais compositrice associée de l’Orchestre symphonique de Toronto.
Dans le but d’initier les jeunes à la musique classique contemporaine le plus tôt possible, et donc de « nourrir les jeunes voix de la composition », comme l’explique M. Pauk, Esprit a également mis en place un programme appelé Creative Sparks. Les compositeurs affiliés à l’orchestre sont invités dans les classes de musique des écoles secondaires pour travailler avec les élèves, discuter de la musique contemporaine et composer leurs propres œuvres en collaboration.
Eugene Astapov, compositeur et musicien canadien d’origine ukrainienne, a été l’un de ces étudiants, qui a découvert le programme Creative Sparks d’Esprit Orchestra dans sa classe du secondaire. Des années plus tard, avec des diplômes de la Juilliard School et de l’Eastman School of Music à son actif, et de nombreux concerts dans les plus prestigieuses salles du monde, il est revenu à Esprit en tant que compositeur et chef d’orchestre associé RBC. Ses œuvres Hear My Voice, Emblem, Ephemeral Songs et A Still Life ont toutes été commandées par l’orchestre. Il travaille maintenant avec Creative Sparks en tant que mentor, rendant ainsi hommage au soutien qu’il a reçu à un stade formateur de sa carrière.
Esprit met l’accent sur l’éducation musicale et l’écoute informée jusque dans la salle de concert, où il propose régulièrement des conversations d’avant-concert, animées par la compositrice et cofondatrice d’Esprit Alexina Louie. Comme elle l’explique, Mme Louie assiste aux répétitions précédant la première d’une nouvelle pièce, « écoute et crée une feuille de route pour le public », en lui fournissant des conseils pour naviguer dans des langages musicaux souvent complètement nouveaux et difficiles, afin de le rendre « moins craintif ». Elle souligne les éléments notables, indique les piliers structurels, puis présente le compositeur. Cela permet au public de se connecter à des « éléments personnels des œuvres, dit-elle, en entrant dans la musique au-delà des notes de programme ».
L’éducation se fait également au cours des répétitions, notent Pauk et Louie. Le langage musical contemporain est souvent difficile à déchiffrer. M. Pauk cherche à partager sa connaissance de cette sensibilité musicale avec les membres de son orchestre, en leur donnant les moyens de s’engager dans les œuvres qu’ils préparent. Le groupe travaille les pièces lentement et méthodiquement afin de jouer la musique aussi fidèlement que possible. Cela génère une sorte de boucle de rétroaction. Comme le note Pauk, lorsque les compositeurs écrivent pour Esprit, ils savent qu’ils peuvent « s’immerger dans leurs univers sonores sans hésitation ni distraction ».
Esprit crée ce que M. Pauk décrit comme « un espace de musique pure », qui existe au-delà de l’influence du mercantilisme ou d’autres facteurs externes, et se tourne plutôt vers les partitions et les personnes qui leur donnent vie, pour faire progresser l’organisation.
L’orchestre a certainement eu sa part de moments remarquables en compagnie de collaborateurs tout aussi remarquables. En 2016, Esprit a interprété Adieu Robert Schumann de R. Murray Schafer dans le cadre d’un programme intitulé Power On. C’était l’une des dernières fois où Schafer, qui souffrait de la maladie d’Alzheimer, a été en mesure d’assister à une représentation de ses œuvres. Schafer, un ami de Pauk et Louie, a pleuré lorsque Krisztina Szabo a interprété le rôle de Clara Schumann, qui commente la détérioration de son mari. Il y avait un parallèle évident entre l’état de santé de Schumann, tel qu’il est décrit dans la pièce, à travers les écrits de Clara, et celui de Schafer, assis dans le public. La manière dont la pièce de Schafer entrelace la musique de Schumann avec la sienne y fait écho de manière poignante. Pauk se souvient qu’à la fin de la pièce, Shafer a reçu de l’aide pour monter sur scène et il a reçu un accueil « enveloppant » du public. L’orchestre avait « joué pour lui », cela ne faisait aucun doute.
Cette saison, Esprit fête ses 40 ans et se donne les moyens de célébrer. L’orchestre se produira trois fois cet automne, avec jusqu’à soixante-dix musiciens sur scène.
Le 27 octobre, Esprit remplira le Koerner Hall aux sons de la première canadienne du concerto pour orchestre d’Unsuk Chin, Spira, ainsi que Les triangles des sœurs tintaient, de Christopher Goddard, et le célèbre Asyla, de Thomas Adès, dont la première canadienne a été donnée par Esprit en 2004.
Le deuxième concert de la saison, VIOLINISSIMO, le 27 novembre, repousse les limites en présentant quatre concertos pour violon, interprétés par trois violons solos différents. Au programme, des œuvres des habitués d’Esprit, José Evangelista et John Rea, ainsi que la première mondiale de Six Enigmas d’Andew Staniland. Le programme s’achèvera par l’interprétation du Triple Concerto pour trois violons et orchestre de la cofondatrice Alexina Louie.
TAIKO LIVE! est le troisième concert de la saison, produit dans le cadre du 21C Music Festival du Royal Conservatory of Music. Le concert mettra en vedette Nagata Shachu, le groupe de tambours taiko de Toronto, qui interprétera Monoprism de Maki Ishii. Le concert présentera également la première mondiale d’Overbound de James O’Callaghan, avec le violoncelliste Cameron Crozman, pour qui l’œuvre a été composée, ainsi que Tabuh-tabuhan, pour deux pianos et orchestre, l’une des œuvres de Colin McPhee préférée du public.
Et ce n’est que la première moitié de la saison d’Esprit…
Cette année, le seul orchestre complet du Canada consacré à l’interprétation de la musique nouvelle célèbre son 40e anniversaire. Il est passé de réunions de conseil d’administration tenues dans un salon et du désir de créer un environnement dans lequel les compositeurs et les musiciens pourraient se plonger dans les détails des nouvelles œuvres classiques à une organisation qui conserve la même mission fondamentale, mais qui est beaucoup plus grande que la somme de ses parties. M. Pauk et Mme Louie considèrent que cet anniversaire est le moment idéal, non pour se réinventer, mais pour renouveler leur engagement envers la mission à laquelle ils ont consacré l’organisme pendant toutes ces années : laisser la place à la musique, se concentrer sur les détails, honorer les compositeurs, promouvoir les nouvelles œuvres des compositeurs canadiens et défendre la musique contemporaine auprès des générations et dans le monde entier.
Traduction par Mélissa Brien
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