Critique du concert du 18 janvier 2023, à la Salle de concert du Conservatoire de Montréal
On peut se questionner sur le processus derrière le choix des pièces que fait le Quatuor Molinari pour ses concerts relevés d’innombrables découvertes plus fascinantes les unes que les autres. Il décroche, pour leur public fidèle, des surprises à chacun de leurs concerts. Cette soirée ne faisait pas l’exception à la règle.
Olga Ranzenhofer, violon, fondatrice du groupe qui en est à sa 26e saison, nous emporte dès l’ouverture du concert dans ses ingénieuses narrations pour chaque pièce. Elle le fait, aidée de sa tablette électronique, avec une minutieuse préparation apprêtées de pointes d’humour que tous et toutes apprécient avec évidence de par leurs réactions de joyeux éclats de rires effrénés.
Certains pensent que la musique contemporaine n’est « peut-être » pas faite pour tout le monde. On pourrait penser que les centres sportifs ne le sont pas pour tous non plus. Mais quand on expérimente la bête à quelques reprises, il est indéniable que cette musique est un véritable gymnase psychologique et psychosociologique unique. Elle demande à la fois un entrainement exceptionnel, de la part des musiciens, ainsi qu’une ouverture d’esprit de la part des spectacteurs avec un entendement en mode« alerte-nouveauté ». Le quatuor fait preuve dans presque tous ses concerts d’une approche éclectique qui nous transporte au travers des bruits du quotidien de notre époque, des bruits d’un peu partout sur la planète, par le truchement de compositions du dernier siècle et de l’actuel.
Ranzenhofer en fait une démonstration éloquente dans la seconde pièce du programme, Ergma (1994), du compositeur d’origine grecque né en Roumanie, Iannis Xenakis. « Je dois ici lever un petit drapeau rouge. » affirme d’emblée la violoniste. « Cette pièce est agressive, voire violente. Elle peut susciter de légers malaises et désagréments chez certains auditeurs. Soyez sans crainte, nous-même les ressentons en les interprétant, d’une manière différente sans doute, mais tout aussi intense. » En effet, cette pièce est d’une intensité redoutable dans son expression du temps pas si lointain et qui revient avec le conflit russe − Ukraine, des bruits de l’environnement à une époque violente. Pratiquement tous les sons sont à doubles cordes donnant l’impression d’être en présence d’un octuor.
Les notes du programme offrent d’autres informations utiles à la compréhension de cette œuvre « …Sa densité, les dissonances telluriques, les tensions extrêmes, les passages homorythmiques, les sonorités brutes, sans aucun répit ; le tout donnant une impression de cauchemar, voire de souffrance mortelle, non loin du traumatisme survenu cinquante ans plus tôt, le 1er janvier 1945. Xenakis aurait eu cent ans en 2022 ».
La première pièce n’a pas manqué d’intérêt. Exigeant une fois encore une virtuosité, une complexité et des techniques de jeu étendues démontrant l’expérience des années de travail partagé des quatre interprètes : Olga Ranzenhofer, violon, Antoine Bareil, violon, Frédéric Lambert, Alto et Pierre-Alain Bouvrette, violoncelle, sont tous des musiciens aguerris de grandes classes. Ils en donnent la preuve dès le départ avec le Quatuor no 1 (1960) de Krzysztof Penderecki qui donne le ton d’une puissante radicalité de l’époque de la guerre froide et des missiles de Cuba. Toujours selon les notes de programme : « La notation de cette partition est tout à fait inusité. On n’y retrouve aucune indication rythmique ni barres de mesure. La partition est divisée en blocs d’une seconde et les notes et les signes sont disposés à l’intérieur de cet espace selon le moment approximatif de l’émission du son. Malgré ce mode de notation, Penderecki permet que ces « mesures » durent entre 0,7 et 1,4 seconde chacune. »
La troisième composition au programme était un véritable coup de cœur pour nombreux d’entre-nous dans la salle : Hologramme modal (mai 2022), écrite pour le quatuor par Showan Tavakol. Dans la jeune quarantaine, ce compositeur de nationalité iranienne établi au Canada est toujours aux études à l’Université de Montréal au doctorat en composition et création sonore, mais il s’est aussi révélé sur scène aux côté du quatuor comme un authentique virtuose du kamânche, instrument perse qui remonte au 9e siècle.
Un prodigieux melting-pot de genres, de générations, de sonorités multi-ethniques, une partition qui laisse un temps pour l’improvisation du coté du compositeur-interprète, des siècles de musiques persanes actualisés à la saveur contemporaine d’un parfait délice. Elle fut suivie d’un entracte, question d’offrir un brin de répit aux artistes après tant d’exercices de concentration et de doigté.
Deuxième partie
Le retour des coulisses nous transporte au milieu d’un Oasis (1998) de fraîcheur avec la compositrice Franghiz Ali-Zadeh d’Azerbaïdjan. Cette pièce est une commande du Quatuor Kronos soutenue par une trame sonore de sons de gouttes d’eau, de voix d’homme et d’une soprano. « (…) Les voyageurs en particulier rêvent d’oasis alors qu’ils sont épuisés par la chaleur intense dans l’immensité du désert. Surtout, ils rêvent d’eau – propre, fraîche et cristalline ! Ils voient l’eau dans leurs rêves : des ruisseaux, des fontaines, des gouttes et des cascades. (…) Mais pour atteindre ce bonheur, cet El Dorado, ce n’est pas facile. De nombreuses épreuves se dressent devant eux, la route est longue et truffée d’obstacles et d’agitation. » Dans les notes du programme, la compositrice donne ainsi sa vision de son œuvre ; et agitation il y a. Le quatuor n’a d’autres choix que de suivre les mouvements avec agilité dans ces courants tumultueux ; tout doux au début, mais qui ne tardent pas à bouillonner devenant presque des geysers volcaniques sporadiques.
La cinquième et dernière œuvre de la soirée était le Quatuor no 3 (1927) du hongrois Béla Bartók. « On parle de pôles tonals pour décrire les références harmoniques, l’atonalité, la bitonalité, et même le sérialisme, très présent » nous précise Ranzenhofer.
Encore une fois, le Quatuor Molinari n’a pas manqué en générosité envers le public. La facilité ne fait pas partie du vocabulaire gestuel, pas plus que du gymnase psychologique de ses membres. Et c’est tout à leur avantage. Ce concert, qui devait se dérouler le 9 décembre, puis reporté au 16 (la COVID s’étant invitée à deux reprises), a finalement eu lieu le 18 janvier 2023. Bienheureux ceux qui y étaient. Si le Quatuor offre une seule de ces cinq œuvres lors d’un prochain concert, ne le manquez pas. En attendant leur retour sur scène, vous pouvez toujours vous rabattre sur un de leurs vingt enregistrements, plusieurs couronnés de prix Opus, Juno, ou du CACUM (Conseil des Arts de la Communauté Urbaine de Montréal), entre autres. https://quatuormolinari.qc.ca/a-propos/tous-prix/
Notez que la salle de concert du conservatoire de Montréal, avec ses 228 places, est dotée d’une excellente acoustique et offre l’espace confortable pour les jambes, ce qui n’est pas le cas pour nombreuses salles de concerts. La proximité de la scène est très appréciée. https://www.conservatoire.gouv.qc.ca/fr/conservatoires/musiquemontreal/