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Bien qu’il soit surtout connu pour sa programmation inspirée à titre de directeur musical et chef principal fondateur de l’Orchestre Kindred Spirits de Toronto, les talents du chef d’orchestre Kristian Alexander sont nombreux. Créateur, pédagogue, innovateur et esprit universel sont quelques mots pour décrire l’homme qui a mis sur pied un empire d’organismes au fil des ans. Il est aussi polyglotte, parlant couramment l’anglais, le français, le bulgare et le russe, avec une bonne connaissance de l’allemand et de l’italien par surcroît.
Né en Bulgarie en 1969 d’un père ingénieur et d’une mère architecte, Alexander a grandi entouré de musique. Ses parents organisaient souvent des soupers entre amis qui se transformaient en soirées musicales. Alors qu’il avait trois ans, sa mère commença à l’amener au ballet ou à l’opéra chaque dimanche. « Nous avions des sièges dans la première rangée, juste derrière et à gauche du chef. J’étais fasciné par le son coloré qui émanait de la fosse et je voyais le chef d’orchestre comme un magicien qui utilisait ses mains pour donner vie à la musique », se rappelle-t-il.
À l’âge de cinq ans, Alexander annonça qu’il voulait être chef d’orchestre. Ses parents lui firent donc suivre des leçons de piano. Bientôt, son enseignant découvrit qu’il avait l’oreille absolue, qu’il mémorisait la musique rapidement et qu’il déchiffrait avec facilité. Il l’inscrivit donc à des leçons de solfège et d’harmonie. À l’âge de 14 ans, alors qu’il assistait à la diffusion d’un concours national pour de nouvelles œuvres chorales, on lui demanda à la dernière minute de remplacer un pianiste blessé afin d’accompagner un des chœurs, lequel finit par remporter le grand prix. Cette rencontre fortuite permit à Alexander d’obtenir une place en études avancées du piano à l’École nationale de musique à Sofia.
Malgré ses réussites au piano, la véritable vocation d’Alexander était toujours la direction d’orchestre, qui devint son principal domaine d’études. Dès le début, ses professeurs remarquèrent son habileté naturelle à équilibrer les tonalités et les couleurs instrumentales. Comme l’indique Alexander, « lorsque je dirige, un sentiment de plénitude, de perte dans l’expression de la musique à travers les gestes, le mouvement du corps, l’expression faciale et une connexion extraordinaire avec les instruments de musique ont un profond impact sur moi ». Lorsqu’il obtint son diplôme de l’École nationale de musique, il avait une maîtrise en direction d’orchestre et une autre en théorie et composition.
Cependant, pour Alexander, la direction d’orchestre n’avait jamais été le plus important. Sa véritable vocation était de créer à partir de zéro. Cela le mena à fonder l’Orchestre symphonique Mozarteum de Sofia, alors qu’il n’était qu’au début de la vingtaine. Il présenta trois saisons de concert avec l’orchestre et fit de fréquents enregistrements diffusés à la télévision nationale et à la radio. Un de ses enregistrements attira l’attention du musicologue allemand Rudolph Angermuller, impressionné par son interprétation des premières œuvres de Mozart. Angermuller l’invita au Mozarteum à Salzbourg, où le jeune chef d’orchestre regarda des manuscrits originaux de Mozart dans les archives du Stiftung Mozarteum. Alexander reçut également un prix de la Fondation Mozarteum Internationale, dont 20 volumes de la Neue Mozart Ausgabe (NMA), lesquels sont toujours aujourd’hui une pièce maîtresse, source de fierté, de sa bibliothèque personnelle.
Des études plus poussées le menèrent en Allemagne, où il travailla sur Bach et Mozart avec Helmuth Rilling à l’Internationale Bachakademie de Stuttgart. Alors qu’il s’y trouvait, il dirigea le Gachinger Kantorei et le Bach-Collegium Stuttgart en concert à la Stuttgart Liederhalle. Or, l’ambassadeur du Canada en Autriche assistait à son concert de fin d’études. Une rencontre amena Alexander à remettre en question ses choix de carrière : rester en Europe et travailler pour devenir chef d’orchestre à Vienne ou accepter un poste de chef assistant outre-Atlantique à l’Opéra de Montréal. À la croisée des chemins, il demanda conseil à Rilling. À ce moment, Alexander avait déjà dirigé Don Giovanni, Le nozze di Figaro et Carmen, alors l’idée de travailler à une compagnie d’opéra importante l’emporta.
Ainsi, en 1996, il commença son séjour au Canada. Le chef d’orchestre s’imposa à l’Opéra de Montréal, gagnant des louanges en tant que chef assistant pour une production de Jenůfa. Sans cesse en quête de connaissances, il trouva aussi le temps d’obtenir une maîtrise ès lettres en théologie de l’Université de Montréal et un diplôme d’études supérieures en gestion des arts à HEC.
Un des mentors d’Alexander fut le chef d’orchestre suisse Gustav Meier avec lequel il étudia les symphonies de Beethoven, Brahms, Schumann et Mendelssohn. Avec Meier, il se concentra aussi sur le langage corporel, acquérant ainsi une gestuelle qui reflète l’imagerie musicale, et sur la maîtrise de la psychologie de la direction d’orchestre.
Il travailla le répertoire des impressionnistes français et celui des Russes du 20e siècle avec Charles Dutoit à Philadelphie entre 2005-07, une autre influence majeure dans son aventure musicale. « Dutoit avait une habileté inégalée pour mettre le son en équilibre et créer des transitions fluides », affirme Alexander. Il remarque que les années pendant lesquelles il étudia avec Dutoit ont été déterminantes pour créer une armature lui permettant de créer un équilibre entre trois éléments importants : le perfectionnisme et le besoin d’une qualité sans compromis, la direction et un mode de vie sain.
Cependant, Alexander n’abandonna jamais l’idée de créer un orchestre. « J’aime mettre sur pied des organismes et des équipes complexes à partir de zéro. Ça me passionne de les voir grandir et mûrir jusqu’à un niveau qui leur permet de produire un travail de qualité avec un contrôle minimal. » Une rencontre en 2008 avec un camarade, le chef Benjamin Zander, fondateur de l’Orchestre philharmonique de Boston, a confirmé ce qu’Alexander avait toujours su : « Ce que j’avais en tête concernant la direction d’orchestre ne pouvait se réaliser que si je créais mon propre orchestre. »
Avant ses 30 ans, Alexander était prêt. Il déménagea à Toronto afin d’étendre sa carrière au Canada anglophone. Ensuite, il commanda une recherche globale en marketing dans le Grand Toronto afin d’identifier des créneaux et des avantages concurrentiels qu’un nouvel orchestre symphonique pourrait remplir en plus des 18 orchestres existants de la région. Il reçut le résultat en 2009 et fonda le Kindred Spirits. C’est le programme du KSO qui le distingue de ses concurrents. Bien que le répertoire classique fût une particularité des premières saisons, la vision d’Alexander pour le nouvel orchestre était de se spécialiser dans les chefs-d’œuvre rarement joués des compositeurs du 20e siècle, tels que les 6e et 14e symphonies de Chostakovitch, le Concerto pour piano pour la main gauche de Prokofiev, La Péri de Dukas, la Seconde Symphonie de Richard Strauss et des œuvres de Hindemith, Schönberg, Schnittke et Nielsen.
Alexander choisit délibérément des œuvres qui mettent au défi à la fois ses musiciens et les spectateurs. « À travers des répétitions significatives et des concerts épanouissants, les musiciens se rapprochent, non seulement en surmontant des difficultés techniques, mais aussi en évoluant dans leurs talents de musiciens dans l’ensemble », affirme-t-il. À leur tour, les spectateurs du KSO élargissent leurs horizons musicaux et leurs goûts musicaux se raffinent. Le maestro aime rafraîchir le programme en introduisant de nouvelles œuvres chaque année. Dans les 14 saisons du KSO, seulement quelques pièces ont été répétées. Également, l’orchestre commande et présente pour la première fois régulièrement de nouvelles œuvres par des compositeurs contemporains tels que James Campbell, Chan Wing Wah et Werner Chan.
Alexander croit fermement qu’il faut encourager les jeunes talents. Plutôt que de séparer ses jeunes musiciens en les plaçant dans un orchestre pour jeunes ainsi que le font beaucoup d’autres orchestres symphoniques, le KSO leur donne – bon nombre d’entre eux sont toujours à l’école secondaire – l’unique occasion de passer une audition et de mériter leur place dans l’orchestre. Un quart du KSO est composé de ces jeunes musiciens, lesquels jouent aux côtés des membres principaux professionnels qui sont leurs mentors. En 1996, Alexander fonda l’Académie internationale de musique (AIM), une école de musique privée dans la région de York qui compte aujourd’hui plus de 400 étudiants et emploie à peu près 20 spécialistes enseignant les instruments d’orchestre, le piano, la voix et la théorie. Le Festival de musique contemporaine de Markham, qu’il fonda en 2011, promeut les prestations par des artistes locaux de la musique du monde écrite par des compositeurs du 20e et 21e, canadiens, indigènes, américains, asiatiques et européens.
En 2019, il créa le Festival et Concours international de musique, ayant la mission de fournir aux aspirants musiciens un forum pour jouer, diriger et écrire la musique, tout en recevant les conseils de spécialistes provenant de l’Université de Toronto, l’Université York, le Royal Conservatory of Music, l’école Glenn Gould, le Toronto Symphony Orchestra, la Canadian Opera Company et le National Ballet of Canada. C’est la philosophie d’Alexander de soutenir et de donner des occasions d’éducation musicale aux moins fortunés. À travers l’AIM, plus de 1 000 bourses ont été données à des jeunes issus de familles à faible revenu ou ayant un handicap mental ou physique, pour qu’ils apprennent à jouer d’un instrument. De plus, le KSO offre de nombreux programmes communautaires et éducationnels pour les enfants, les aînés et les personnes souffrant d’un handicap.
Alexander trouve toujours le temps d’être chef invité à Hong Kong, au Caire et à travers l’Europe et le Canada. Il a été nommé conseiller et animateur pour de nombreux forums de chefs d’orchestre. Il a notamment représenté le Canada au conseil d’administration de l’International Conductors Guild pour six ans et il a présidé la première Conférence des chefs d’orchestre à Toronto. Lorsqu’il n’est pas plongé dans le monde musical, il s’adonne au ski alpin, à l’astronomie et au pilotage de petits avions.
La récente pandémie mondiale a forcé les organismes musicaux à travers le monde à surmonter les restrictions et à innover pour connecter avec leurs spectateurs – le KSO ne faisant pas exception. Depuis octobre 2020, Alexander a dirigé le KSO dans 11 concerts à grande échelle et webdiffusés. Malgré les défis causés par la distanciation physique, l’obligation de jouer derrière des écrans de plexiglas et la navigation d’incertitudes, Alexander sent que les musiciens ont trouvé du réconfort à faire de la musique ensemble. Autre preuve de sa quête d’innovation constante, le KSO est devenu le premier orchestre au Canada à migrer vers une plateforme bibliothèque complètement numérique, des tablettes iPad Pro remplaçant de façon permanente les partitions imprimées.
Il y a vingt ans, Alexander se donna le but de diriger une liste d’environ 500 œuvres orchestrales et il en a depuis présenté 417. Il compte réaliser ce projet ambitieux dans les prochaines années. Une autre de ses ambitions est d’étendre son rôle de chef d’orchestre invité dans les marchés américain, australien et sud-américain, tout en gardant ses relations actuelles avec le Canada, l’Europe et la Chine. Plus tard cette année, il a des engagements pour diriger le Requiem de Verdi avec la Hong Kong Oratorio Society, les Tableaux d’une exposition de Moussorgski avec la Filharmonia Sudecka en Pologne et la 10e Symphonie avec le Philharmonique de Sofia dans sa Bulgarie natale. De plus, il va commencer avec la Changsha Symphony en Chine. Son plan stratégique des prochaines années inclut d’assurer des dates de tournée et d’enregistrement pour le KSO.
Le maestro par excellence résume ainsi sa carrière : « Diriger est un mode de vie; ça commence au moment où je me réveille et ça finit quand je m’endors. »
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