Maureen Batt : la soprano qui raconte des histoires

0

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Je veux savoir ce qui fait qu’on accroche à l’histoire qu’on entend, se demande la soprano Maureen Batt. Car, que ce soit une simple voyelle, un poème ou un rôle principal, il faut chanter avec l’intention de raconter une histoire. »

Cela fait maintenant dix ans que Maureen Batt raconte des histoires musicales de façon professionnelle, par le biais de sa compagnie qui se spécialise dans les œuvres nouvelles Essential Opera (qu’elle a cofondée avec la soprano Erin Bardua). Sa tournée internationale de récitals Crossing Borders qui l’a conduite au Canada, aux États-Unis et en Colombie a récemment donné lieu à un nouvel album, Breathing in the Shadows, dans lequel elle chante des oeuvres du compositeur irano-canadien Saman Shahi.

Conversation au coin du feu 

« J’ai horreur de l’élitisme de la musique ou du chant classique, affirme celle qui a la ferme intention d’en supprimer toute aura de stérilité ou de formalité. On recherche la perfection à tout prix, alors qu’il s’agit de tout autre chose. »

Pour illustrer ce qu’une prestation vocale optimale peut et devrait être, pour le chanteur comme pour l’auditeur, elle a recours à une image inédite et saisissante.

« C’est comme jouer de la guitare autour d’un feu de camp », explique-t-elle. Une évocation des sources obscures de l’épopée occidentale : les sagas chantées par les scaldes – ces anciens poètes scandinaves – ou les aèdes de la Grèce antique ou les bardes celtes.

(Fait intéressant, le premier album de Mme Batt, Lady of the Lake, comprend un enregistrement de l’opus 52 de Schubert, inspiré d’une épopée de sir Walter Scott, notamment sa ravissante interprétation du célèbre Ave Maria de Schubert [Ellens dritter Gesang].)

Parcours scolaire

Le parcours académique de Maureen Batt est impressionnant : diplôme en langues de l’Université St. Thomas (Fredericton, Nouveau-Brunswick), baccalauréat en musique de l’Université Dalhousie (Halifax) et maîtrise de l’Université de Toronto. Pourtant, rien de tout cela n’a forcément laissé présager la carrière unique en son genre de la future entrepreneure vocale.

« Une fois votre diplôme en main, confie-t-elle, vous voilà parmi des millions d’autres sopranos à auditionner pour le même rôle. Alors, soit vous attendez que quelque chose vous tombe du ciel, soit vous vous mettez à faire des plans. »

Privilégiant la deuxième option, Batt a commencé à prendre conscience de toutes les autres compétences qu’il lui fallait acquérir pour arriver à ses fins. « Vous n’allez pas à l’école en pensant qu’un de vos professeurs vous parlera d’entreprises à propriétaire unique ou vous enseignera à rédiger une demande de subvention. »

C’est donc sur le tas qu’elle a appris et, une dizaine d’années depuis la fin de ses études, ses réalisations sont éloquentes : elle a signé un contrat d’enregistrement avec l’étiquette Leaf Music, sa compagnie a reçu plusieurs commandes d’opéras et de chansons et une foule de projets d’une variété impressionnante l’attendent.

« C’est très important d’envisager notre travail comme une entreprise, commente-t-elle en pensant aux chanteurs et chanteuses professionnels en général. Cette façon de penser peut en rebuter plusieurs, mais c’est une nécessité. »

L’ensemble de l’œuvre

Ses talents de chanteuse qui raconte des histoires s’expriment pleinement dans Mirror, Mirror, l’un des projets réalisés récemment par Essential Opera. Version cinématographique d’un opéra miniature créé par la compositrice et librettiste canadienne née en Ukraine Anna Pidgorna, l’œuvre est une adaptation « féministe » audacieuse de l’histoire de Blanche-Neige, avec Batt qui incarne l’héroïne à l’esprit libre, mais obsédée par les égoportraits, et Erin Bardua qui joue le rôle de la méchante reine aux prises avec des problèmes de conflit maternel.

Sournoisement subversif, le film s’avère un poème symphonique vocal et visuel d’avertissement, qui met de l’avant les thèmes de l’envie, de la vanité et de l’égocentrisme. En plus d’exécuter de véritables prouesses acrobatiques sur le plan vocal, Batt use de son corps avec beaucoup de liberté, de souplesse et d’imagination, s’ébattant sur une plage, s’adonnant avec volupté aux retouches de son maquillage et s’admirant sans réserve sur son téléphone.

Mirror, Mirror est un divertissement musical intelligent et stimulant qui semble aussi faire écho aux enjeux qui la préoccupent, comme les pièges des délires de diva et les attentes de la beauté féminine promulguées par une grande partie de l’« intelligentsia » de la musique classique.

« Je pourrais continuer pendant des heures à parler du contrôle du corps et de l’apparence des femmes, ajoute-t-elle. La fascination féminine, c’est agréable, mais je ne crois pas qu’il faille en faire un absolu. Je me sens bien dans mon corps. Mon but, c’est d’incarner un personnage, un mot, une couleur ou une forme. Un joli son ne me suffit pas. »

Subventions accordées 

Malgré la pandémie, l’année 2020 semble avoir marqué un tournant particulièrement fructueux pour les activités de Maureen Batt.

« J’ai amorcé le confinement en rédigeant 14 demandes de subvention pour différents projets d’albums et enregistrements, explique-t-elle. Et j’ai reçu un tas de réponses positives, ce qui n’arrive jamais. »

Parmi les œuvres pour lesquelles elle a obtenu du financement, December est le premier enregistrement d’un nouvel opéra de courte durée de Monica Pearce, dans lequel elle incarne la voix enregistrée pompeusement hilarante et incroyablement inutile d’une ligne d’assistance téléphonique; Aunt Helen est un autre opéra de courte durée de Monica Pearce, dans lequel Batt prend la voix de la célèbre folkloriste canadienne Helen Creighton; et le bouleversant Dear Ashley est un cycle de chansons composé par l’artiste torontois Greg Harrison, dont les textes sont extraits des journaux intimes du beau-frère de Maureen, dans lesquels il réfléchit à la vie de sa jeune épouse et à son décès prématuré du cancer.

Des guimauves pour Amadeus

« J’adore les canons de la musique classique européenne, conclut-elle, mais ce sont les personnes vivantes qui m’intéressent le plus. Imaginez pouvoir donner un coup de fil à Mozart pour lui passer une commande ! »

Des scènes savoureuses se précisent autour d’un feu de camp : Mozart est séduit par la fascination artistique et le sens des affaires de Maureen Batt. Demande de subvention accordée !

Traduction par Véronique Frenette

www.maureenbatt.com

This page is also available in / Cette page est également disponible en: English (Anglais)

Partager:

A propos de l'auteur

Charles Geyer is a director, producer, composer, playwright, actor, singer, and freelance writer based in New York City. He directed the Evelyn La Quaif Norma for Verismo Opera Association of New Jersey, and the New York premiere of Ray Bradbury’s opera adaptation of Fahrenheit 451. His cabaret musical on the life of silent screen siren Louise Brooks played to acclaim in L.A. He has appeared on Broadway, off-Broadway and regionally. He is an alum of the Commercial Theatre Institute and was on the board of the American National Theatre. He is a graduate of Yale University and attended Harvard's Institute for Advanced Theatre Training. He can be contacted here.

Les commentaires sont fermés.