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L’abondante crinière bouclée du compositeur David T. Little pourrait ressembler à un afro. Avec sa barbichette méphistophélique et son ample moustache, on pourrait le prendre pour un amateur de rock ou un farouche contestataire étudiant. En réalité, il s’agit d’un gros nounours du New Jersey aussi érudit, éloquent que pragmatique (et qui est par ailleurs également rockeur et rebelle, à sa manière).
« J’ai toujours voulu avoir les cheveux raides, admet-il. Mais je n’ai pas le choix, alors je fais avec. C’est un désordre organique – à l’image de mon processus de composition. »
Et c’est précisément ce qui fait de Little un compositeur prolifique salué par la critique, dont l’impressionnant catalogue de musique savante allie musique de chambre, pièces orchestrales et opéras. JFK, son opéra le plus récent, évoque par un gigantesque et émouvant collage d’onirisme virtuose sur le plan théâtral et de séquences surréalistes les dernières heures du président John F. Kennedy avant son assassinat à Dallas en 1963. « Nous nous distançons aussi loin de la réalité que l’exige la vérité », commentent d’une seule voix Little et son collaborateur et librettiste Royce Vavrek.
Commandé conjointement par le Fort Worth Opera, l’Opéra de Montréal et l’American Lyric Theater, l’opéra JFK a été créé à Fort Worth en avril 2016 et sera présenté en première canadienne à l’Opéra de Montréal en janvier.
« Jack et Jackie sont au cœur même de l’histoire », explique-t-il. Dans un retour en arrière imaginaire, Rosemary Kennedy, en « guide onirique de Jack », l’entraîne « sur la lune où il rencontre Jackie ». (En réalité, Rosemary était l’aînée du clan Kennedy; sa destinée tragique l’a menée à l’asile après l’échec d’une lobotomie préfrontale au début de la vingtaine.)
Les deux « Destinées » Clara Harris et Henry Rathbone font des apparitions en qualité de revenants des deux personnages historiques ayant accompagné le président Lincoln et son épouse au théâtre Ford la soirée de l’autre assassinat. Il y a même la visite de la veuve remariée Jackie Onassis qui aide son double Jackie Kennedy à revêtir le fameux tailleur rose porté lors du fatidique défilé automobile de Dallas.
La logique onirique audacieuse du libretto de Vavrek et la musique percutante de Little, tour à tour néo-romantique et oppressante, génèrent une expérience émotionnelle enflammée, telle une tragédie grecque où « le public ressent l’histoire d’un personnage important et ses déboires ».
Little et Vavrek semblent avoir spontanément réinventé la structure classique en interprétant leurs pulsions émotionnelles. Pour le premier, la composition fait généralement appel au mystérieux processus de création d’une réaction émotive par ce que nous pourrions appeler la prestidigitation sonore. « C’est un tour de passe-passe qui mène à une nouvelle réalité, confie-t-il. Il n’y a pas de formule. C’est une combinaison d’éléments et la proportion en fait partie. Tout dépend de l’histoire à raconter. En fait, c’est une grande énigme. »
Cette énigme, les deux hommes l’ont résolue ensemble à deux reprises au moins et de façon spectaculaire. La première fois dans l’opéra allégorique post-apocalyptique Dog Days créé en 2012, dont le succès critique retentissant a donné lieu à de nouvelles représentations au Fort Worth Opera et au Los Angeles Opera et a mené directement à la commande de JFK, leur seconde collaboration.
« D’une certaine façon, ces deux œuvres diffèrent grandement », affirme Little en comparant son premier opéra avant-gardiste blasphématoire – le récit d’une famille aux prises avec les privations au milieu d’une Amérique dévastée dans un avenir proche et l’homme-chien qui paraît sur le seuil, hurlant de faim – à JFK, plus affable et noble. « Mais elles se ressemblent aussi. Quoi qu’il en soit, les deux sont assurément le fruit de notre collaboration. Elles nous représentent en tous points. Nous nous intéressons à un même sujet et nous l’explorons ensemble. Il n’y a aucune planification : notre démarche est parfaitement organique. »
Poussant plus loin la réflexion sur l’heureuse coïncidence qui a mené à la rencontre d’un collègue aussi sympathique, Little affirme que les deux « se complètent à merveille et sont de très bons amis ».
Issus de communautés rurales tissées serrées, Royce Vavrek provient d’une petite ville en Alberta et David Little, d’une région de fermes laitières dans le nord-ouest du New Jersey. « Le matin, en allant à l’école en ville, nous devions attendre que les vaches traversent la route, d’un pâturage à l’autre », se remémore-t-il. Mais c’est dans ce décor rustique que son talent précoce pour la musique, sa sensibilité rythmique distinctive et son sens théâtral ont pris naissance et se sont épanouis.
« Je participais à toutes les activités théâtrales et musicales, raconte-t-il. J’avais la chance de pouvoir suivre deux programmes très complets. »
Il a joué des percussions dans la fanfare locale et s’est joint à des « groupes de métal industriel, interprétant notamment du Nirvana ». En définitive pourtant, c’est le fait d’être entré en étroit contact avec deux styles musicaux uniques – actuel et historique – qui l’a éclairé sur la voie à emprunter.
« J’ai d’abord voulu écrire de la musique de film, se souvient-il. À 15 ans, j’étais sous l’influence de Danny Elfman dans L’Étrange Noël de monsieur Jack. Puis, j’ai entendu Le Sacre du printemps de Stravinski et tout s’est éclairé ! » Après avoir délaissé la musique de film, il s’est consacré à l’écriture de musique lyrique. « Lorsque j’écris un opéra, je ne fais pas que composer la musique, je rédige l’œuvre. »
Qu’en est-il de son intérêt pour la composition comme critique sociale (Dog Days) ou qui met en lumière la rencontre du personnel et du politique, comme dans JFK? « L’opéra se distingue notamment par sa capacité de transmettre des idées politiques controversées et complexes par le biais d’émotions humaines. Avec les années, c’est cette voie que mon travail a suivie. »
JFK sera présenté à l’Opéra de Montréal du 27 au 30 janvier et du 1er au 3 février 2018, à 19 h 30. Pour en savoir plus ou des billets : www.operademontreal.com.
Traduit par Véronique Fredette
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