Ema Nikolovska en tournée : Retour triomphal de la violoniste devenue chanteuse

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Lorsque Ema Nikolovska a fait ses valises pour traverser l’Atlantique, il y a huit ans, elle était connue dans la communauté musicale de Toronto comme violoniste. Cette année, elle revient au Canada pour une série de représentations majeures, non en tant que violoniste, mais comme l’une des étoiles montantes du monde de l’opéra et de la voix.

Nikolovska est née à Skopje, en Macédoine, et a émigré très jeune au Canada où elle a grandi à Toronto. Elle a commencé des cours de violon au Royal Conservatory of Music à l’âge de quatre ans et y a poursuivi ses études jusqu’à la fin de sa formation de violoniste. En 2015, elle a reçu son baccalauréat de musique à l’École Glenn Gould.

Tout au long de son apprentissage du violon, l’intérêt de Nikolovska pour le chant bouillonnait sous la surface – dès qu’elle a rejoint le Toronto Children’s Chorus à l’âge de 10 ans. « C’était la première fois que j’utilisais ma voix et j’ai adoré », se souvient-elle. À l’âge de 16 ans, elle a rencontré par hasard Helga Tucker, professeure de chant, à un récital et a décidé de suivre quelques leçons avec elle pour le plaisir. Elle fut immédiatement séduite par l’étendue du répertoire disponible pour les chanteurs et par les possibilités expressives de la musique utilisant le texte.

La découverte la plus déterminante faite au cours de ses études avec Tucker au Taylor Academy du Royal Conservatory dépasse toutefois le cadre du répertoire. En tant que violoniste, le désir et le perfectionnisme de Nikolovska, mêlés à son tempérament industrieux, qu’elle décrit elle-même comme « très, très sérieux, toujours [avec]un sourcil froncé », l’avaient menée loin. Tucker a remis en question cette attitude de travail acharné et non d’intelligence, en soulignant que le plaisir et la joie faisaient partie intégrante d’une bonne technique vocale.

Une différence cruciale entre l’apprentissage du chant et celui du violon a commencé à se révéler. « Avec le chant, j’ai réalisé que ma volonté et mon désir d’être en accord et correcte ne m’aideraient pas à chanter juste, dit Nikolovska. Helga est la personne qui m’a aidée à comprendre le lien direct entre ma psychologie et le chant. Si je suis cruelle envers moi-même et négative, je ne pourrai pas chanter. Ce fut un énorme processus de croissance. C’était comme une thérapie.»

Lorsqu’elle a terminé ses études à Glenn Gould, Nikolovska était tombée amoureuse de l’aspect méditatif et holistique du chant et son intérêt pour la voix était devenu trop fort pour être ignoré. « Je n’avais jamais pensé que je deviendrais chanteuse. Je n’ai jamais su que je pouvais le devenir. À la fin de mes cours préparatoires, j’ai émis l’hypothèse que je serais plus heureuse si je chantais à temps plein. » Elle a décidé de vérifier cette hypothèse en poursuivant des études supérieures en chant.

Nikolovska a terminé ses quatre années d’études à la Guildhall School of Music and Drama de Londres en tant que mezzo-soprano et a couronné sa formation par une série de résultats impressionnants, notamment une nomination en tant qu’artiste de la nouvelle génération de la BBC, en plus de victoires dans des concours de chant majeurs tels que le concours vocal international de Bois-le-Duc et les Kathleen Ferrier Awards.

Ema Nikolovska

Ema Nikolovska (Photo par Kaupo Kikkas)

« J’avais l’impression d’être toujours en retard, parce que je ne connaissais pas grand-chose au répertoire vocal. J’ai eu beaucoup de retard à rattraper lorsque j’ai obtenu ma maîtrise. » Plutôt que de se laisser ralentir par cette gêne de débutante, elle a laissé son appétit vorace pour la musique vocale et son attitude de violoniste entreprenante la guider pendant les premières années de son changement de carrière. Elle s’est mise au travail en apprenant tout le répertoire qui lui tombait sous la main et en se présentant à toutes les occasions de se produire et à tous les concours de chant qu’elle pouvait trouver. « Mon objectif était de me produire davantage, de me sentir à l’aise avec ma voix, de me sentir à l’aise avec moi-même. Dans mon esprit, comme je me produisais beaucoup en tant que violoniste – en tant que violoniste, on se retrouve dans des situations où l’on apprend sans cesse de nouvelles musiques et où l’on se produit sans cesse –, je me suis dit : “Et si j’appliquais cette logique à la musique ? Et si j’appliquais cette logique à la voix ?” » Ses efforts ont porté fruit.

Après son séjour à Londres, Nikolovska s’est jointe au prestigieux International Opera Studio du Staatsoper de Berlin en 2020 et a fait ses débuts à l’opéra et en récital dans toute l’Europe, notamment au Royal Opera House, à la Pierre Boulez Saal et au Wigmore Hall. Depuis qu’elle a élu domicile à Berlin, elle espère revenir au Canada afin de présenter son nouvel instrument, sa voix, à la communauté qui l’a formée. Les étoiles se sont alignées cette saison pour qu’un tel retour ait lieu, et son emploi du temps s’est rempli avec quatre mois consécutifs d’engagements nord-américains dans des salles s’étendant d’un océan à l’autre.

Tout d’abord, elle fait ses débuts dans la maison et dans le rôle du renard de La Petite Renarde rusée de Janáček, à l’affiche de la Canadian Opera Company (COC) du 26 janvier au 16 février. Cette production représente une véritable boucle pour Nikolovska. Il y a exactement dix ans, dans ce qu’elle décrit comme « l’une des expériences musicales les plus enrichissantes de ma vie », elle a joué parmi les premiers violons dans une production de La Petite Renarde à Glenn Gould. Assise dans la fosse d’orchestre, ayant une expérience minimale du répertoire du XXe siècle, elle s’est sentie dépassée par les défis posés par les fréquents changements de métrique et la palette musicale audacieuse de Janáček. « Au début, parce que j’étais encore inexpérimentée – je devais avoir 20 ans à ce moment –, j’ignorais tout de la musique de Janáček. Je ne la comprenais pas et j’étais quelque peu réfractaire. »

Mais en apprenant à connaître la partition, Nikolovska s’est éprise du paysage sonore unique de Janáček, d’inspiration folklorique, et toute sa philosophie en matière de goût musical s’en est trouvée transformée. « Après une ou deux semaines de répétitions, je me suis dit : c’est la meilleure musique du monde ! Cette expérience m’a montré combien il est important de s’engager dans des projets, des esthétiques et des musiques auxquels on ne réagit pas forcément tout de suite : cela peut prendre une ou deux semaines, puis on tombe amoureux. »

Cette fois-ci, La Petite Renarde élargit ses horizons d’une nouvelle manière. Le rôle du renard se situe très haut dans la tessiture d’une mezzo-soprano et comporte des lignes mélodiques délicates, façonnées pour épouser les contours de la langue tchèque. Dix ans après son introduction à cet opéra, Nikolovska aborde les idiosyncrasies de Janáček avec une connaissance et une appréciation intimes de cette musique, et elle s’amuse beaucoup en cours de route.

L’un des éléments qu’elle préfère dans la production de la COC est l’approche distinctive de la romance entre son personnage et la renarde titulaire de l’opéra, obtenue grâce à des costumes et une mise en scène androgynes. « Il ne s’agit pas tant du sexe des animaux, ou du fait que je paraisse mâle, explique Nikolovska. Il s’agit plutôt de ce qu’ils apportent tous les deux à l’interaction, en termes d’histoire passée et d’étape de leur vie à ce moment-là. Je pense que c’est intéressant parce que, dans les dynamiques homme-femme dans les opéras, nous n’avons pas toujours quelque chose d’un peu plus ambigu. » Si les animaux de La Petite Renarde servent de véhicule à une réflexion sur les relations humaines, ils sont aussi une source d’humour parodique. « Cette scène est très sérieuse et très charmante, mais je la trouve aussi très, très idiote ! C’est très enfantin, mais aussi très adulte. »

Après avoir terminé ses prestations à la COC, Nikolovska entreprendra une tournée de récitals à travers le Canada et les États-Unis, notamment à la Vancouver Recital Society le 17 mars, à la salle Bourgie de Montréal le 20 mars, au Koerner Hall de Toronto le 24 mars, au Carnegie Hall de New York le 28 mars et au Ottawa Chamberfest le 2 avril. Saisissant une rare occasion de collaborer avec des pianistes établis en Amérique du Nord, elle partagera la scène avec Howard Watkins dans les villes américaines et avec Charles Richard-Hamelin (qu’elle a rencontré pour la première fois lorsqu’ils étaient adolescents à l’Académie de musique Orford) au Canada.

Ema Nikolovska

Ema Nikolovska (Photo par Kaupo Kikkas)

La passion de Nikolovska pour la programmation de récitals, une compétence pour laquelle elle s’est fait connaître, est évidente dès qu’elle commence à parler de sa prochaine tournée. Elle attribue à son père, informaticien et violoniste amateur, le mérite d’avoir été son premier instructeur en matière de curiosité et de conservation musicales. Les cassettes de mixage qu’il créait pour les voyages en voiture de la famille, contenant de tout, de la musique folklorique des Balkans au heavy métal, ont servi de cours de maître en programmation, mettant en évidence le pouvoir de transformation de la juxtaposition et du contexte dans la modification de l’expérience d’un morceau de musique par l’auditeur.

Grâce à l’influence de son père, Nikolovska a maintenu un régime d’écoute diversifié depuis l’enfance; son Spotify 2023 allait de Janelle Monáe à Richard Strauss en passant par Stromae. Elle croit fermement à la recherche constante de nouveaux répertoires, ce qui lui permet de disposer d’une abondance d’ingrédients musicaux pour élaborer des programmes qui se déroulent comme des repas savoureux à plusieurs plats.

Elle a passé des heures à élaborer avec soin le programme qu’elle présentera bientôt dans toute l’Amérique du Nord. « Je voulais que ce soit relativement standard, dit-elle, parce que le public ici ne me connaît pas vraiment. Je voulais instaurer un climat de confiance. Si je présente tout de suite mon programme le plus fou, comment sera-t-on prêt à le recevoir si on ne m’a jamais rencontrée ? C’est comme lorsqu’on rencontre une personne pour la première fois. » Comparé aux prochains récitals prévus en Europe, qui comprendront des premières mondiales, de l’électronique et du Bob Dylan, ce programme est relativement calme, bien qu’il contienne sa part de joyaux cachés du répertoire vocal.

La première moitié, vaguement axée sur les quatre saisons, comprend des œuvres de Schubert, Tchaïkovski et Margaret Bonds. La seconde partie comprend les Ariettes oubliées de Debussy ainsi que des œuvres de Medtner et de Nicolas Slonimsky et est subtilement reliée par les thèmes contrastés de la nature et de l’urbanité.

Toujours consciente de l’importance du contexte, Nikolovska a veillé à bien placer les œuvres populaires et moins connues dans le programme. « Si je veux mettre le public dans un état qui lui permettra de s’ouvrir à ce qui n’est pas familier, quel type de contexte puis-je donner à cette musique ? » Inversement, « comment pouvons-nous inciter les gens à faire l’expérience d’univers sonores qu’ils pensent leur être familiers, mais sous un jour nouveau » ? C’est en répondant à ces questions qu’elle est parvenue à un programme qu’elle qualifie avec humour de « pot-pourri très réfléchi de choses – un tapas réfléchi ».

Le dernier engagement du calendrier tourbillonnant de Nikolovska est trois représentations du ballet-cantate Les noces de Stravinski, rarement entendu, avec l’Orchestre symphonique de Montréal les 10, 11 et 12 avril. Tout comme ses sentiments à l’égard de Janáček, l’admiration de Nikolovska pour Stravinski remonte à l’époque où elle était violoniste et où elle jouait dans la section des premiers violons du Sacre du printemps à l’École Glenn Gould. Elle se réjouit à l’idée d’interpréter à nouveau son œuvre, cette fois en tant que chanteuse.

Le concert de Nikolovska avec l’OSM sera le dernier d’une série de débuts qu’elle fera à travers le continent au cours des prochains mois. « C’est vraiment spécial d’être accueillie dans les domaines de l’opéra, de la chanson et du concert – [et]tout cela se passe en quelques mois ! » Si chaque début est excitant à sa manière, elle admet que se produire devant le public de Toronto, au Koerner Hall, pour la première fois en tant que mezzo-soprano, après tant d’années de concerts avec un violon à la main, sera une expérience particulière. « Chanter ce récital, c’est une façon pour moi de remercier tous ceux qui m’ont élevée ici. Tout le monde au Conservatoire royal et non seulement les professeurs. Tous ceux qui étaient dans ce bâtiment, qui ont été gentils avec moi, qui m’ont montré de l’amour, qui m’ont fait sentir que j’étais la bienvenue et qui m’ont donné envie de faire de la musique. Tous dans ce microcosme ont changé ma vie. »

Traduction par Charles Angers

Nikolovska se produira

  • 17 mars 2024 : Vancouver Recital Society, Récital
  • 20 mars 2024 : Musée des Beaux-Arts de Montréal, Récital
  • 24 mars 2024 : Conservatoire royal de musique, récital
  • 2 avril 2024 : Ottawa Chamberfest, récital
  • 10, 11 et 12 avril 2024 : Orchestre symphonique de Montréal, Les Noces
  • 14 avril 2024 : Université de Western Ontario, récital
  • Pour plus d’information: www.rcmusic.com/Concerts, www.mbam.qc.ca, www.osm.ca, www.chamberfest.com

 

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