Chinatown : parution de l’enregistrement original

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En septembre 2022, le City Opera Vancouver a fait œuvre de pionnier en présentant la première mondiale de Chinatown. Cette commande reste l’un des rares opéras existants à être chanté en hoisan, un dialecte chinois, et le premier opéra à être écrit sur l’un des nombreux quartiers chinois du Canada. Un an plus tard, Chinatown s’apprête à rejoindre un public plus large avec la parution de l’enregistrement de la distribution originale par Leaf Music, de Halifax.

Chinatown est la quatrième commande du City Opera Vancouver en 17 ans d’existence. La compagnie s’est engagée à créer des œuvres ciblées qui mettent en valeur des thèmes et des artistes canadiens. Son processus de commande est unique : le livret est toujours élaboré en premier, le processus de sélection du compositeur venant ensuite. En 2017, Charles Barber, alors directeur artistique, s’est intéressé à l’importance historique du quartier chinois de Vancouver, à sa relation avec le développement global de la ville et aux récentes luttes sociales et économiques du quartier. Ayant l’intuition que ce quartier ferait un bon cadre pour un opéra, la compagnie s’est mise au travail.

Un an de recherche pour trouver un librettiste a conduit à l’auteure Madeleine Thien. Son roman primé Do Not Say We Have Nothing, paru en 2016, avait récemment fait d’elle une nouvelle venue sur la scène littéraire canadienne. La prose poétique de Mme Thien semblait convenir parfaitement à ce que City Opera envisageait. L’historien et écrivain Paul Yee a prêté main-forte pour traduire certaines parties du livret en dialecte hoisan. Certaines parties sont restées en anglais et en cantonais.

Photo par Diamond’s Edge Photography

Il ne restait plus qu’à trouver quelqu’un pour mettre en musique le texte de Thien et Yee. Alice Ping Yee Ho a entamé avec enthousiasme le processus d’audition. Elle a été attirée par Chinatown en raison des thèmes de l’immigration qui y sont abordés et qui reflètent ses propres racines. Née à Hong Kong, elle est partie aux États-Unis à l’adolescence pour étudier la musique et s’est finalement installée en Ontario. Ayant déjà composé deux opéras basés sur le folklore chinois – The Monkiest King (2018) et The Lesson of Da Ji (2013) –, Ho savait que ce projet lui convenait parfaitement.

Lorsqu’elle a appris en mai 2020 que la commande lui était confiée, elle a commencé à composer immédiatement, avec une échéance très serrée. L’opéra de deux heures devait en effet être achevé dans un délai d’un an. Deux mois après le début de la pandémie de coronavirus, peu d’autres engagements professionnels étaient susceptibles de la distraire de sa tâche. Elle s’est donc réfugiée dans le « monde merveilleux » de Chinatown pour échapper à l’incertitude de cette période. « J’ai pu traverser (la pandémie) en me concentrant sur mon travail », dit-elle.

Chinatown est une histoire intergénérationnelle centrée sur la vie de deux hommes, Xon Pon et Saihin, qui émigrent du sud de la Chine vers le quartier chinois de Vancouver. L’intrigue suit leurs familles à travers 60 ans d’histoire sino-canadienne. Elle évoque la taxe d’entrée et la Loi d’exclusion des Chinois, mesures discriminatoires prises par le gouvernement canadien aux XIXe et XXe siècles pour décourager et interdire l’immigration chinoise. Mais Chinatown est bien plus qu’une leçon d’histoire. « Le plus important, c’est l’aspect amoureux de l’intrigue », explique Mme Ho. Si l’opéra comporte une romance entre les personnages Anna et Eugène, la relation entre Xon Pon et Saihin est au cœur du récit. « Il est tellement audacieux que l’opéra explore l’amour entre les deux hommes. C’est très subtil. Il s’agit d’une grande amitié, mais aussi d’un amour authentique, peu importe comment on le définit », explique Mme Ho.

L’élément qui rend Chinatown si singulier est l’incorporation du dialecte hoisan. Cette caractéristique unique s’est également révélée l’un des plus grands défis de l’opéra. Le hoisan, bien qu’il soit aujourd’hui en déclin, était autrefois le principal dialecte parlé dans les quartiers chinois d’Amérique du Nord, car un grand nombre d’immigrants chinois de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle venaient d’un seul comté de la province de Guandong, d’où le dialecte est originaire.

L’action de Chinatown commence en 1896. Par conséquent, la représentation la plus véridique et la plus fidèle à l’histoire de ces personnages devait nécessairement les amener à parler le hoisan. Lorsque Ho a été chargée pour la première fois de mettre en scène le texte de Thien et Yee, elle s’est demandé : « Est-ce possible ? » Bien qu’elle ait une certaine familiarité avec le hoisan – une nourrice l’ayant parlé dans son enfance –, la compositrice ne parle pas elle-même ce dialecte. De plus, elle trouvait qu’il avait une sonorité grossière et saccadée qui se prêtait mal à un traitement mélodique. Cette idée préconçue s’est dissipée au cours des deux années d’écriture et de révision. En travaillant en étroite collaboration avec Yee pour comprendre les contours de la langue et maximiser la chantabilité du texte, elle en est venue à apprécier les particularités du hoisan. « C’est très musical, très pentatonique, il a tellement de caractère », dit-elle.

Lorsque le ténor Spencer Britten a appris qu’un opéra chanté en hoisan allait être produit dans sa ville natale de Vancouver, il savait qu’il devait garder Chinatown sur son radar. Britten a été élevé dans une famille dont les grands-parents parlaient hoisan. Il parlait lui-même couramment ce dialecte avant d’entrer à l’école maternelle, où son hoisan a été supplanté par l’anglais qu’il parlait en classe et par le mandarin qu’il apprenait dans des cours extrascolaires. Inutile de dire qu’il était intrigué par l’idée d’un opéra qui mettrait en scène la langue nostalgique de ses souvenirs d’enfance.

Photo par Diamond’s Edge Photography

Quand on lui a demandé de participer à la première production de Chinatown, c’est comme si le destin s’en mêlait, car son calendrier international très chargé lui a laissé juste assez de semaines libres pour qu’il accepte. Il était disponible pour les répétitions et les représentations, mais n’avait que cinq mois pour apprendre le rôle de Saihin – normalement, un an au moins lui était nécessaire pour s’attaquer à un nouveau rôle.

Musicalement, c’était envisageable. Le ténor s’est rapidement senti à l’aise dans l’univers compositionnel de Mme Ho. « Tout était logique », dit-il, en parlant de la façon dont elle a intégré les mélodies et les instruments traditionnels chinois dans le tissu de la partition. Les difficultés sont apparues lors de l’apprentissage et de la mémorisation de la langue.

Britten avait l’avantage d’être le seul membre de l’équipe à avoir des antécédents familiaux en hoisan. Les sons du dialecte, qui varient considérablement par rapport aux autres dialectes chinois, lui étaient familiers, même si le vocabulaire ne l’était pas. Le traducteur Paul Yee s’est montré une ressource inestimable pour l’ensemble de la troupe pendant les répétitions, prenant les chanteurs à part pour travailler sur la prononciation et l’inflexion. Le hoisan étant un dialecte tonal, il était particulièrement important que les chanteurs prononcent la langue correctement afin de donner l’impression d’être des locuteurs natifs. Britten a constaté que les brefs moments où son personnage s’exprimait en hoisan étaient beaucoup plus difficiles que le texte chanté.

« Dans un sens, je me sentais limité parce que la langue est tellement mélodique. La façon dont nous nous exprimons en anglais est déterminée par le ton ou la hauteur de la voix, alors apprendre à être expressif dans la langue tonale a demandé un énorme effort d’apprentissage », explique-t-il.

Au début de la genèse de Chinatown, l’équipe de création craignait de demander à ses chanteurs d’apprendre un dialecte aussi exigeant. Leurs craintes se sont finalement avérées infondées : « Tous les chanteurs ont été à la hauteur. Ils ont parfaitement maîtrisé le dialecte ! Qu’ils aient parlé chinois ou non, ils ont écouté, ils ont répété et ils ont compris. J’ai été ébloui », déclare fièrement Yee dans une vidéo annonçant la sortie de l’album. Pour sa part, Ho s’est dite « très émue et impressionnée par le dévouement et le respect de tous les chanteurs. »

La motivation nécessaire pour accomplir cet effort est venue naturellement aux membres de la distribution de Chinatown. « Nous étions passionnés, car nous étions tous très attachés au sujet », explique Britten. Comme beaucoup de ceux qui ont participé à la création de l’opéra, l’histoire de l’immigration de sa propre famille est reflétée dans les vies fictives de Saihin et de Xon Pon. De plus, Britten comprend personnellement les sacrifices nécessaires pour réaliser ses rêves, puisqu’il a refait sa vie dans plusieurs villes différentes pour servir sa carrière de chanteur. « L’immigration est si difficile et maintenant que j’ai vécu à l’étranger, je comprends encore mieux ce combat. J’ai une meilleure appréciation de ce que ma famille a dû traverser pour arriver au Canada. Nous nous battons pour obtenir la vie que nous pensons pouvoir mener et pour subvenir aux besoins de ceux que nous aimons, quel qu’en soit le prix ».

Photo par Diamond’s Edge Photography

L’équipe créative de Chinatown a travaillé sous la pression de délais serrés, stimulée par son investissement personnel dans l’histoire qu’elle racontait, ce qui a inévitablement créé des liens forts et de nouvelles amitiés. Britten décrit les nombreux dîners partagés entre eux, parfois préparés par le ténor et talentueux chef amateur Derek Kwan, d’autres fois offerts par le restaurant familial Kam Wai Dim Sum du choriste William Liu. Ho se souvient avec émerveillement des larmes versées par de nombreux chanteurs lors de représentations, signe de la magie qui s’opérait sur scène. « Évidemment, c’était spécial pour la troupe, confie Britten, mais c’est aussi devenu très spécial pour le public qui y assistait ».

En expliquant qu’une partie de Chinatown serait chantée en hoisan, le ténor a pu convaincre de nombreux membres de sa famille, par ailleurs sceptiques à l’égard de l’opéra, d’assister aux représentations. L’œuvre a trouvé auprès d’eux un écho plus profond qu’il n’aurait pu l’imaginer.

La présidente du conseil d’administration du City Opera, Janet Lea, a décrit une réaction similaire de la part d’une amie sino-canadienne qui a assisté à Chinatown avec ses sœurs. Les femmes ont pleuré en regardant le spectacle, touchées par un récit si proche de leur propre vie.

Outre le lien avec l’élément sino-canadien de l’histoire, les spectateurs de tous horizons ont été frappés par les thèmes puissants de l’amour, de la famille, de la séparation et de la mort abordés dans l’opéra. « Mes amis qui ne connaissent rien à l’opéra l’ont absolument adoré. Il s’agit de l’un des spectacles les plus appréciés dans lesquels ils m’ont vu jouer », déclare M. Britten.

L’attrait universel de Chinatown provient en partie de la communauté qui l’a entouré à chaque étape du processus de création. Tout au long des trois années de développement, City Opera a organisé des ateliers sur le livret et la partition dans des salles pleines à craquer dans le quartier chinois de Vancouver. Ces sessions ouvertes ont été l’occasion de recevoir de précieux commentaires de la part des résidents, dont certains étaient des experts en musique classique, tandis que d’autres n’avaient jamais entendu d’opéra. Pour Mme Ho, qui n’avait jamais eu l’occasion d’organiser des ateliers pour ses opéras, cette expérience fut « éprouvante, mais cruciale ». Tout au long du processus, elle s’est dit : « Je dois mettre mon égo de côté, écouter et chercher à m’améliorer. » En résulte un opéra façonné par la communauté qu’il représente.

L’enregistrement de la distribution originale, réalisé en 2022 et paru le mois dernier, est la prochaine étape dans le récit de Chinatown. On ne peut s’empêcher de faire le lien entre la discrimination et les luttes auxquelles font face les personnages de l’opéra et la montée de la haine anti-asiatique, tant au Canada qu’ailleurs dans le monde, au cours des dernières années. Chinatown se souvient d’une histoire qui ne doit pas être oubliée, tout en célébrant la beauté et la résilience de la communauté sino-canadienne. « C’est de la fiction, mais ce n’est pas de la fiction », déclare Janet Lea. L’an dernier, pendant cinq soirs, le public de Vancouver a été invité à plonger dans l’univers de Saihin et de Xon Pon. Aujourd’hui, cet album invite les auditeurs de tout le pays, et du monde entier, à visiter Chinatown.

Pour plus d’information sur Chinatown et les autres nouveautés de Leaf Music, consultez leur site web www.leaf-music.ca

Traduction par Mélissa Brien

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