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Lors du Tremplin 2012 du Concours de musique du Canada, le jeune Vincent Lauzer remporte le premier prix devant pianistes, chanteurs et violonistes. Qui est ce phénomène qui vient, armé d’une flûte à bec, déjouer les pronostics en s’inscrivant parmi les plus grands musiciens de sa génération ? Révélation Radio-Canada en 2013-2014, directeur artistique du Festival de musique baroque de Lamèque, lauréat de la prestigieuse bourse de carrière Fernand Lindsay en 2015, Vincent attire les honneurs sur son passage, comme en témoigne une nouvelle distinction le mois dernier : le disque d’Arion Orchestre Baroque où il interprète les concertos pour flûte à bec de Vivaldi vient de décrocher un Diapason d’or décerné par le prestigieux magazine français du même nom. Retour sur la passion de Vincent Lauzer pour un instrument qui gagne à être mieux connu, la flûte à bec.
Musicien sur la route
C’est en Nouvelle-Écosse que j’ai pu rejoindre Vincent, pendant l’une des rares journées libres de son marathon musical avec l’ensemble Les Songes. À l’occasion de cette tournée avec Début Atlantique, le quatuor composé de la soprano Samantha Louis-Jean, de la violoncelliste Camille Paquette-Roy, du claveciniste Luc Beauséjour en remplacement de Mélisande McNabney et de Vincent, donne 16 concerts en l’espace de deux semaines, réunissant pièces instrumentales et airs d’opéras et d’oratorios. Les Songes ont déjà effectué deux tournées avec les Jeunesses Musicales par le passé et l’ensemble est toujours charmé par l’accueil à ces concerts : « Le public est assez surpris de voir cette combinaison, car ce n’est pas fréquent en musique ancienne. Les gens remarquent souvent le parallèle entre la voix et la flûte à bec, qui se répondent et se complètent, et qui se ressemblent plus qu’on ne le pense. » La moitié des concerts donnés visent le jeune public. Pour autant, le programme ne change guère : « On voit que les jeunes peuvent aimer la même musique que les adultes, on n’a pas besoin de changer le répertoire, ni la façon dont on présente les pièces et les instruments. En revanche, on met l’accent sur la vie et le quotidien des compositeurs et on fait le parallèle avec nos vies de musiciens pour donner au concert un caractère plus humain. » Vincent se produit également au sein de l’ensemble La Cigale, un quintette dirigé par la théorbiste Madeleine Owen, qui se consacre aux répertoires musicaux de la Renaissance et du baroque sur instruments d’époque à travers des programmes thématiques établissant des ponts avec l’histoire et la littérature.
Moments de liesse et moments d’angoisse
Depuis l’émission Faites vos gammes en 1996, où l’on voit Vincent, du haut de ses huit ans, jouer une aria de Telemann, le jeune flûtiste a parcouru bien du chemin. Épaulé par la flûtiste Sophie Larivière, qui le forme et lui fait découvrir la musique ancienne, il poursuit dans l’univers musical sans jamais douter, au cégep Saint-Laurent puis à l’Université McGill, où il termine sa maîtrise en 2011. Il se rappelle trois moments marquants de son parcours : « On se souvient toujours du premier concert professionnel. J’avais à peine 18 ans, j’étais encore au cégep et Luc Beauséjour m’a appelé pour me demander de jouer dans un concert. » Suivent deux concours importants qui vont lui permettre de se tailler une réputation sur la scène musicale : « Le premier prix ex aequo en 2009 au Concours international de flûte à bec de Montréal a été un grand pas. Ces expériences nous permettent de nous situer par rapport aux autres musiciens et de découvrir ce qu’ils font. Enfin, pour le Tremplin du Concours de musique du Canada en 2012, j’ai dû préparer plus de trois heures de répertoire et je concourrais avec tous les autres instrumentistes, pianistes, cordistes, chanteurs qui jouaient le plus souvent du répertoire romantique. Réussir à remporter le premier prix avec la flûte à bec qui a un répertoire plus limité, c’était une grande satisfaction. J’avais l’impression d’avoir gagné une médaille olympique ! » Mais la vie de flûtiste comporte son lot d’aventures, d’angoisses et d’inquiétude, comme le rappelle Vincent en évoquant son pire souvenir : « Adolescent, j’avais une très belle flûte soprano en bois, la prunelle de mes yeux, qui avait coûté une somme importante. Un matin, la flûte a disparu et je l’ai cherchée désespérément pendant une semaine, en appelant partout, en demandant à mon école de musique… Après quelques jours, mon père l’a finalement retrouvée dans la structure du sofa. »
Réhabilitation de la flûte à bec
Vincent est en quelque sorte l’ambassadeur d’un instrument qui n’a pas vraiment bonne presse auprès du grand public. La flûte à bec, souvent associée aux interminables cacophonies des classes de primaire, instrument en apparence limité dans le registre et le répertoire, évoluant dans l’ombre de la flûte traversière qui l’a supplantée, au début de l’ère classique, part avec quelques longueurs de retard dans l’imaginaire des gens. Mais avis à ceux qui partagent ces préjugés : vous retournerez vite votre veste après avoir entendu Vincent Lauzer.
Non seulement le jeu de Vincent est clair, précis, techniquement impeccable, mais il est bien davantage. Le son diaphane, direct, véritable zéphyr d’émotion pure sans maniérisme, semble être inspiré par les muses. Il est tout simplement renversant. Quant à la flûte à bec, elle n’est aucunement limitée, contrairement aux idées reçues. Sa richesse réside dans la complémentarité d’une gamme d’instruments. Ainsi, un flûtiste professionnel aura dans sa collection plusieurs flûtes sopranos, altos ou basses, et chaque flûte sera liée à un type de répertoire, médiéval, renaissant, baroque ou contemporain. « Avoir plusieurs instruments du même type permet d’assurer une qualité de son. Ce sont des instruments qui réagissent beaucoup aux changements d’humidité et de température, alors on ne peut pas les jouer pendant plusieurs heures en espérant qu’ils fonctionnent aussi bien. »
Le Stradivarius des flûtes à bec ?
Contrairement aux cordes, les instruments à vent anciens sont peu joués; ce sont des pièces de musée, pour des raisons évidentes : d’une part, ce sont des instruments très fragiles, rarement conservés dans un état décent. Ensuite, les conditions d’hygiène des siècles passés peuvent décourager plus d’un flûtiste. Enfin, la notion de justesse ayant beaucoup évolué, la plupart de ces instruments apparaîtront tout à fait faux à une oreille contemporaine. Le flûtiste est donc perpétuellement en quête de nouvelles sonorités, de nouveaux instruments pour compléter sa collection, et établit pour cela une relation privilégiée avec les rares facteurs d’instruments d’époque : « Les facteurs de flûte utilisent des plans d’époque et ajoutent parfois une petite amélioration professionnelle afin de répondre aux besoins actuels. Les salles de concert sont plus grandes, la flûte cohabite avec des instruments qui n’existaient pas avant, alors certaines flûtes seront un peu plus fortes ou pourront étendre leur registre aigu. » Si les facteurs de flûte d’époque sont une rareté en Amérique du Nord, Vincent se réjouit de pouvoir travailler avec Jean-Luc Boudreau, un artisan exceptionnel qui vend des flûtes à travers le monde et dont l’atelier se trouve à Blainville. Sur les dix-sept flûtes à bec de Vincent, quatorze ont été réalisées par Jean-Luc Boudreau : « C’est un privilège d’avoir Jean-Luc à proximité. S’il arrive quoi que ce soit à la flûte, on peut faire des retouches ou des révisions sur l’instrument. C’est un vrai travail de collaboration, il travaille pour nous et avec nous. »
En quête du la absolu
Avant de se fixer au traditionnel 440 Hz, le diapason a considérablement évolué à travers l’histoire. À l’époque baroque, chaque ville avait un diapason différent, notamment en raison de l’accord de l’orgue local, ce qui posait des problèmes de taille pour un flûtiste. Si Vincent n’a heureusement plus à trouver une flûte pour chaque ville où il joue, il possède néanmoins des flûtes aux diapasons différents, pour retrouver une certaine authenticité dans l’interprétation des répertoires anciens. « Si le standard en musique baroque est à 415 Hz, on joue beaucoup de musique française à 392 Hz, donc un ton en dessous du la à 440 Hz, ou encore de la musique italienne à 465 Hz, donc un demi-ton au-dessus. » De quoi déboussoler l’oreille absolue du flûtiste : « J’avais une oreille absolue très forte quand j’étais enfant et adolescent, et lorsque j’ai eu ma première flûte à 415 Hz, j’entendais tous les sons avec un décalage d’un demi-ton. Ç’a été un défi d’adaptation pour chaque diapason. » L’oreille absolue a fini par rendre les armes et à comprendre qu’il n’y avait pas de la absolu pour un flûtiste à bec.
La flûte à bec au goût du jour
Le baroque et la Renaissance sont les périodes les plus florissantes pour le répertoire de flûte à bec. On note toutefois un regain d’intérêt pour l’instrument au cours du siècle dernier, notamment avec des compositeurs comme Edmund Rubbra, Louis Andriessen, Luciano Berio ou Georges Aperghis. Pour étendre cet intérêt au Canada, Vincent a trouvé la solution : il commande depuis plusieurs années des œuvres pour flûte à bec seule à divers compositeurs. C’est ainsi qu’il a joué depuis 2013 des pièces de Matthias Maute, Jonathan Goulet, Maurice-G. Du Berger, David Désilets et Maxime McKinley, tout en puisant dans le répertoire préexistant, avec une prédilection pour les Japonais Maki Ishii et Ryōhei Hirose ainsi que l’Allemande Dorothée Hahne. La flûte à bec vit donc une véritable renaissance qui permet d’explorer des facettes de l’instrument encore inédites et inouïes.
Virtuose bien ancré dans son époque, Vincent Lauzer nous fait voyager à travers les sons, les répertoires, mais aussi à travers le Québec. Il incarne une nouvelle génération de musiciens ayant à cœur de restituer les plus beaux échos du passé afin d’écrire un présent lumineux, humain et porteur d’espoir. En cela, il mérite toute notre attention, notre soutien et notre reconnaissance.
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