Intégrale Chopin Partie 2 – Les dix-neuf pianistes

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Dix-neuf pianistes, dix-neuf visions et dix-neuf jeux différents, aisément comparables car exécutés sur un même piano le long des différents blocs. Plus qu’une leçon sur la musique de Chopin, c’est une véritable leçon d’interprétation au piano. Et un exercice de concentration plutôt intense. Traitement des contours mélodiques, du rythme, différences de toucher ou d’utilisation de la pédale, respirations, gestuelle et accompagnement corporel de la musique, chaque pianiste a sa façon de faire sonner l’instrument, de ressentir et de transmettre l’essence de la musique de Chopin. Pour cette deuxième exploration de l’intégrale Chopin à Sorel, nous nous concentrons sur les musiciens qui, tour à tour, ont apporté leur pierre à cet événement d’une ampleur sans précédent sur la scène musicale soreloise. Nous nous sommes permis d’attribuer trois coups de cœur à des artistes qui nous ont particulièrement marqués lors de cette fin de semaine.

Richard Raymond

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Polonaise en fa# mineur, op.44. Richard Raymond a choisi les pianistes et distribué les différentes œuvres, en plus d’en jouer une partie plutôt conséquente. Il a ouvert et clos ce cycle intégral, de la Polonaise en sol mineur composée lorsque Chopin avait 7 ans jusqu’au Rondo en do majeur pour deux pianos. À n’en pas douter, son jeu est celui d’un maître. Avec aisance et assurance, il a joué dans chacun des blocs, ce qui demande une endurance et une concentration exceptionnelles. Sa connaissance manifeste et intime de la musique de Chopin était clairement visible dans les respirations et les dynamiques du discours musical. Son toucher léger, rapide, ses traits détachés nous laissant savourer chaque note, son utilisation modérée de la pédale laissant respirer la musique nous ont confirmé que derrière le professeur, pédagogue et mentor de générations de musiciens, se cache un interprète de premier choix. Chapeau bas, messieurs, un maître !, aurait sans doute écrit Schumann.

Jeanne Amièle – Coup de cœur

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Ballade no1 en sol mineur, op.23. Le jeu de Jeanne Amièle est rempli d’une vie et d’une énergie bouleversantes. En communion avec le piano, Jeanne nous raconte la musique de Chopin avec beaucoup de naturel, et cette portée narrative n’est jamais au détriment de la musique. On sent que la pianiste a pris le temps de comprendre les subtilités de l’écriture de Chopin. Les lignes vibrent et laissent entendre un relief unique aux couleurs passionnées, servi par une technique irréprochable. Elle a été très constante dans la qualité des interprétations tout au long de l’événement, et nous a gratifiés des plus belles mazurkas, alliant une compréhension des accents et des rythmes propres au style à une sensibilité musicale indéniable dans les parties plus libres. Il faut suivre de près cette jeune pianiste inspirée et promise à un très bel avenir !

Catherine Bertrand

Pièce phare : Variations en sib majeur, op.12. La jeune pianiste et élève de Richard Raymond aura fait une courte apparition, nous gratifiant d’une seule pièce. Difficile de se faire une idée donc, et on aurait eu plaisir à l’entendre davantage. Peut-être à l’occasion de l’événement de l’an prochain ?

Hugues Cloutier

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Fantaisie en fa mineur, op.49. L’un des marathoniens les plus sollicités de cette fin de semaine, le pianiste et professeur du Conservatoire de musique de Val d’Or Hugues Cloutier a interprété de nombreuses mazurkas et quelques autres pièces, dont une belle version de la Fantaisie op.49, qui occupe une place un peu à part dans l’œuvre de Chopin. Ces envolées libres et imprévisibles, sans doute le fruit d’improvisations de la part du compositeur, ont trouvé une belle lecture de la part d’Hugues Cloutier. On aurait souhaité davantage de contraste et de relief dans les mazurkas.

Anne-Marie Dubois

Photo : Marie Daigneault

Pièce phare : Grande polonaise brillante en mib majeur, op.22. Anne-Marie Dubois semblait bien connaître cette grande polonaise dont elle a livré une version virtuose et sentie. Dans les autres pièces, nocturnes et valses, son jeu manquait hélas de souplesse, de légèreté et de direction.

Janelle Fung

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Barcarolle en fa# majeur, op.60. La très belle alliance de puissance et d’infinie légèreté a permis à la jeune pianiste originaire de Vancouver Janelle Fung de livrer des interprétations brillantes et subtiles, avec des contrastes très bien amenés, beaucoup de grâce et de raffinement. Une très belle découverte.

Zhan Hong Xiao

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Mazurkas op.50. À seulement 20 ans, le pianiste Zhan Hong Xiao a fait forte impression au cours des quelques pièces qu’il a interprétées. Excellent technicien, il a donné une version très attachante des Mazurkas op.50, laissant respirer la musique et survolant les passages plus abrupts avec une belle aisance. Nous aurions aimé l’entendre davantage.

Antoine Laporte

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Nocturnes op.55. Antoine Laporte a affronté un gros morceau avec les Préludes op.28, qu’il a dans l’ensemble très bien rendus, étant donné le peu de temps pour monter et laisser mûrir l’œuvre. Mais c’est avec deux nocturnes, moins spectaculaires en apparence, que le pianiste a révélé une âme de mélodiste, faisant chanter ces pièces avec clarté, volupté et délicatesse.

Jiajia Li

Pièce phare : Scherzo no.1 en si mineur, op.20. Quel dommage de n’avoir pas entendu davantage Jiajia Li, et quelle heureuse surprise que ce premier scherzo rendu avec une telle grâce et une telle maturité par une pianiste de seize ans ! Le mouvement central, d’une infinie langueur, était déchirant dans cette interprétation d’une lenteur assumée, où la mélodie semblait survoler les sphères d’un temps arrêté et percer le silence sépulcral d’un public charmé. Stupéfiant.

Xiaoyu Liu – Coup de cœur

Pièce phare : Variations sur «La ci darem», op.2. Ces variations, dont la version pour piano et orchestre a valu à Chopin le fameux commentaire de Schumann «Chapeau bas, messieurs, un génie !», a trouvé un écho magnifique dans la version pour piano seul de Xiaoyu Liu. Alliant une technique irréprochable et une infinie délicatesse dans le toucher, le pianiste, très constant tout au long de son passage, nous a permis d’apprécier un Chopin raffiné et tendre. Il a décortiqué l’écriture du compositeur polonais pour nous la rendre dans des structures très claires, souples et animées d’une sensibilité de velours.

Laurence Manning

Pièce phare : Valses op.64. La jeune Laurence Manning, originaire de Sorel-Tracy, a fait une très belle impression lors de ses différents passages. Avec un jeu franc, assumé, délicat, cette spécialiste de la musique de Fanny Mendelssohn a su relever le défi Chopin. Sa judicieuse vision d’ensemble des pièces et sa linéarité dans l’interprétation ont bien servi le répertoire. Une pianiste à surveiller !

Guillaume Martineau

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Polonaises op.26. On sait Guillaume Martineau à cheval entre le jazz et le classique, mais il sait aisément différencier les deux. Il l’a montré au cours de cet événement, où il a traversé une ballade, des polonaises et mazurkas avec une grande assurance, une main gauche puissante et une musicalité très intéressante.

Michelle Nam – Coup de cœur

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Boléro en do majeur, op.19. Cette pièce est la première interprétée par Michelle Nam. Le ton y était donné immédiatement : aucune concession, aucune tentation à la facilité. On y sentait à la fois la grâce et la majesté de cette pièce à l’espagnole. Les gestes et mouvements de la pianiste, prolongement naturels de sa compréhension et de sa sensibilité musicales, montraient une parfaite adéquation entre la musique et l’interprète. Mise à rude épreuve, avec beaucoup de pièces étalées sur toute la fin de semaine, la pianiste n’a jamais montré un signe de relâchement sur scène. Sa profonde sincérité musicale, alliée à une surprenante intelligence de jeu, a fait de son passage l’un des moments forts de cette fin de semaine.

Sarah Oulousian

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Scherzo no.3 en do# mineur, op.39. La jeune pianiste de 15 ans, souriante et décontractée en coulisses, devenait tout autre une fois sur scène. En général, la jeunesse a été très bien représentée lors de cet événement, et Sarah Oulousian en est un très bon exemple. Une virtuosité toujours bien sentie, sans fioritures superflues, des mélodies chantantes et pleines de vie… L’avenir appartient à des jeunes pianistes comme Sarah, à qui la musique semble être une langue maternelle.

Philippe Prud’homme

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Fantaisie-Impromptu no.4 en do# mineur, op.66. Il a fallu attendre le dimanche pour se réjouir de la présence de Philippe Prud’homme, pianiste inspiré qui a traversé une partie exigeante du répertoire de Chopin. Il a su en rendre l’essence musicale en alliant le geste et le toucher, avec beaucoup de clarté et de présence sonore. Il est l’un des rares pianistes de cette brochette, avec Raymond, Salov ou encore Richard-Hamelin, à avoir tiré tout le profit d’une utilisation éclairée de la pédale, à la fois sobre et subtile, pour laisser respirer le texte musical.

Charles Richard-Hamelin

Charles Richard-Hamelin teste la réaction du piano répétiteur sous les yeux de son facteur Oliver Esmonde White. Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Sonate no.3 en si mineur, op.58. L’une des idées les plus réussies de cette intégrale est sans doute, à mon sens, d’avoir fait se côtoyer des musiciens à des étapes de carrière très différentes, sans que cet éventail d’artistes ne devienne le propos principal de l’événement. Ce choix éclairé nous a offert une panoplie d’émotions vives unique. Il y avait des pianistes inspirés, des pianistes exceptionnels, des pianistes coup de cœur, des pianistes surprenants… Mais Charles Richard-Hamelin, qui ne vole en rien sa réputation, était tout simplement sur une autre galaxie. Je pense qu’il était éminemment formateur, tant pour les pianistes que pour le public, de voir et d’entendre l’incarnation d’une forme d’idéal et de perfection recherchée par un interprète. Richard-Hamelin n’était pas meilleur, il était ailleurs. Dans une autre dimension. Sous ses doigts, la musique, le piano, Chopin et sa troisième sonate vibraient avec éclat, poésie, avec un esprit et une force vitale qui ne faisaient qu’un. Un moment de grâce.

Serhiy Salov

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Études, op.10. Artiste complet, adjoignant à la pratique de l’interprète celle du chercheur et du compositeur, Serhiy Salov a démontré une grande maîtrise de l’instrument et du répertoire. Il allie remarquablement rigueur et sensibilité, ce qui en fait un interprète de choix pour les études de Chopin, merveilleux équilibre entre technicité et musicalité. Le reste du répertoire était tout aussi brillant, propre, dynamique, élégant et raffiné.

Jean-Philippe Sylvestre

Photo : Benjamin Goron

Pièce phare : Études, op.25. Le technicien hors pair Jean-Philippe Sylvestre s’est livré à une démonstration de virtuosité éclatante dans les études. Il incarne cette figure lisztienne de l’interprète impétueux et cultive l’art du coup de pinceau et de l’effusion de notes au service de la musique. Rare sont les élus qui savent faire résonner les études de Chopin : Sylvestre et Salov sont de ceux-là.

Jean-Luc Therrien

Pièce phare : Sonate no.2 en sib mineur, op.35. La performance de Richard-Hamelin a dû galvaniser Jean-Luc Therrien, qui s’est admirablement approprié la deuxième sonate de Chopin en proposant une version trépidante et passionnée, sans jamais relâcher son attention. Le natif de Repentigny a su se démarquer par son jeu franc, agréablement déroutant, n’hésitant pas à sortir des sentiers battus pour nous révéler sa lecture personnelle de certains passages. Une prestation très rafraîchissante.

Oliver Jones sur le piano Esmonde White installé dans les loges. Photo : Philippe Manning

Nous ne reviendrons jamais assez sur la chance de pouvoir entendre tous ces pianistes en un même lieu et sur un même instrument. Aussi, il nous semblait naturel de les regrouper en un même article. Un autre pianiste de renom, Oliver Jones, s’est joint à la fête le dimanche, spectateur dans la salle et interprète en coulisses. Le facteur de pianos Oliver Esmonde White était également présent, et aura pu se réjouir de voir plusieurs générations de pianistes répéter et performer ainsi sur ses pianos. Vous pourrez compléter votre lecture avec les trois entrevues vidéo réalisées avec Richard Raymond, Jeanne Amièle et Philippe Prud’homme, ce qui clôt notre présence à cet événement de première importance. Le rendez-vous pour l’an prochain est déjà pris, et vous pouvez vous-même suggérer sur notre page Facebook vos recommandations entre les cinq choix préliminaires retenus par le comité d’organisation : Bach, Liszt, l’école russe (Rachmaninoff, Scriabine, Prokofiev…), Mozart-Haydn et l’école française (Debussy, Ravel…). À l’an prochain !

 

 

 

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A propos de l'auteur

Benjamin Goron est écrivain, musicologue et critique musical. Titulaire d’un baccalauréat en littérature et d’une maîtrise en musicologie de l’Université Paris-Sorbonne, il a collaboré à plusieurs périodiques et radios en tant que chercheur et critique musical (L’Éducation musicale, Camuz, Radio Ville-Marie, SortiesJazzNights, L'Opéra). Depuis août 2018, il est rédacteur adjoint de La Scena Musicale. Pianiste et trompettiste de formation, il allie musique et littérature dans une double mission de créateur et de passeur de mémoire.

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