L’Héritage solaire de Jean-Pierre Ferland (1934-2024)

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L’éternel inquiet derrière Le chat du Café des artistes a eu droit, depuis sont grand départ samedi dernier, à un vent d’admiration à la hauteur de son rayonnement semi-séculaire sur la scène culturelle québécoise.

En plus de 65 ans de carrière, le gentleman à la langue fertile a su flirter avec plusieurs genres et se renouvelé mainte fois, prenant part à des collaborations variées tout du long.

Natif du Plateau Mont-Royal où la Place Fleurs-de-Macadam, nommée d’après la chanson, s’étend sur l’ancien terrain du garage de son père, Ferland a grandit dans un milieu peu empreint de culture. Mais l’Adagio, recueil de contes de Félix Leclerc, entre chez lui un beau jour et il n’en faut pas plus.

Il connait ses débuts professionnels dans le monde de la radiodiffusion en tant que messager parmi les annonceurs de Radio-Canada à la fin des années 1950, où il est encouragé à poursuivre sa voie dans la chanson, malgré sa voix qu’on lui recommande de travailler.

Les Bozos. Clémence Desrochers. Jean-Pierre Ferland. Raymond Lévesque

Les Bozos. Photo: Télé-Québec

Il fonde en mai 1959 la boîte à chanson Chez Bozo, en honneur à la chanson de Leclerc, avec entre autres piliers de la chanson québécoise, Hervé Brousseau, Raymond Lévesque, Jacques Blanchet, Claude Léveillée et Clémence DesRochers.

Plus tard, emboitant le pas à son immense succès Je reviens chez nous, que Nana Mouskouri reprendra en sept langues, Ferland retourne à Montréal en 1968 après 5 ans passés à peaufiner son métier à Paris. À son retour, il découvre la nouvelle faune rock n’roll ayant pris d’assaut la scène locale. L’Osstidcho, porté par Yvon Deschamps, Robert Charlebois, Louise Forestier, Mouffe et le Quatuor de jazz libre du Québec, renverse les codes de la chanson classique, incarnée par Brel et Leclerc. À la rencontre de ces talents, Ferland redouble d’ambition. Il s’allie à André Perry, qui avait couché sur disque Give Peace a Chance de John Lennon et Yoko Ono lors de leur Bed-In à Montréal, pour produire en 1970 l’un des albums les plus étonnants et détonnants à voir le jour au Québec : Jaune.

Jean-Pierre Ferland. Album Jaune.

Pochette de l’album Jaune. Photo : Audiogram/Discogs

Héritage solaire

John Lennon aurait dit de cet album qu’il s’agissait selon lui du « plus bel album sorti en Amérique du Nord cette année-là », dixit Monique Giroux, lors d’un entretien rediffusé à ICI Musique. C’est dire.

Pour cette œuvre toute en hauteurs, des musiciens américains de pointe sont engagés : David Spinozza, collaborateur de Linda et Paul McCartney sur l’album Ram, à la guitare; Tony Levin (Peter Gabriel, King Crimson) à la basse; Ant Phillips et Buddy Fasano aux arrangements orchestraux. Des synthétiseurs nouveau-cri (techniciens inclus) sont importés de Los Angeles pour l’occasion : ils seront déterminants dans les sonorités psychédéliques caractéristiques de l’album. Michel Robidoux, aussi guitariste pour Charlebois, compose avec Ferland les chansons du disque.

Le diptyque formé par Jaune et son subséquent Soleil (1971), marquera un tournant dans la façon de faire de la musique au Québec, le début des albums-concept (pensons à Harmonium et Diane Dufresne) et d’un son plus progressif.

Après une relative période creuse dans les années 1980 avec des projets télévisuels et scéniques peu rayonnants, le chansonnier revient en force dans les la décennie 90 avec les œuvres intimistes Bleu, blanc, blues et Écoute pas ça, d’où sortent ses chansons les plus écoutées, comme T’es Belle, Un peu plus loin, Une chance qu’on s’a, La Musique. Le petit roi, se faisant vieux, annonce en 2007 sa sortie de scène avec un concert d’adieux au Centre Bell.

Ne pouvant résister à l’appel de la muse, notre désormais chanteur de charme national continue néanmoins à se produire sur scène et au petit écran, siégeant notamment parmi les juges de l’émission La Voix. Il lance un quasi-dernier album en 2020, Partir au vent, composé de succès écrits à l’origine pour d’autres et de créations plus récentes; puis un vrai dernier en 2021, Je n’veux pas dormir ce soir, ensemble de reprises de ses classiques enregistré en duos au cœur de la pandémie. La sensibilité et le romantisme – et le grand amour de la gent féminine – ont fini par caractériser le personnage. En écoutant plus avant, l’étendue de son registre rend son œuvre immuable.

S’y on s’y mettait ?

Son duo de 2018 avec le jeune musicien Hubert Lenoir pour une reprise de S’y on s’y mettait a sûrement attisé la curiosité de quelques plus jeunes. S’il était encore perçu par certains comme un crooner destiné à un public plus âgé, le torrent d’éloges qui a suivi l’annonce de son décès en a sans doute amené plus d’un à s’intéresser à son catalogue. À preuve, l’album Jaune s’était hissé en tête du palmarès canadien des écoutes iTunes dimanche et lundi. Visiblement, ni sa tête ni ses chansons ne sont près de tomber dans l’oubli.

Les hommages qui abondent de toutes parts depuis l’annonce offrent l’occasion de redécouvrir les œuvres de cet artiste de premier plan. Par delà l’homme, c’est tout un cortège de géants ayant tissé avec lui le paysage culturel québécois qui revient visiter les mémoires. Une occasion de les ramener au grand jour, si on s’y mettait.


Funérailles nationales

La famille a accepté les funérailles nationales offertes lundi par le gouvernement. Jean-Pierre Ferland sera la 14e personnalité à avoir des funérailles nationales.


Discographie

  • 1959 : Jean-Pierre
  • 1961 : Rendez-vous à la Coda
  • 1962 : J’estime, j’aime, j’amoure
  • 1962 : Jean-Pierre Ferland
  • 1964 : M’aimeras-tu ou ne m’aimeras-tu pas
  • 1965 : Jean-Pierre Ferland volume 4
  • 1966 : Jean-Pierre Ferland volume 5
  • 1966 : Jean-Pierre Ferland
  • 1968 : Jean-Pierre Ferland
  • 1969 : Un peu plus loin
  • 1970 : Jaune
  • 1971 : Soleil
  • 1974 : Les vierges du Québec
  • 1975 : Le Showbusiness
  • 1977 : La pleine lune
  • 1980 : Jean-Pierre Ferland
  • 1981 : Y’a pas deux chansons pareilles
  • 1984 : Androgyne
  • 1992 : Bleu, blanc, blues
  • 1995 : Écoute pas ça
  • 1999 : L’amour c’est d’l’ouvrage
  • 2018 : Toutes les femmes de ma vie
  • 2020 : Partir au vent
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