Dimanche 27 mars à la salle Pierre-Mercure, la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a poursuivi sa série de portraits de compositeurs. Ce concert, intitulé La mémoire équivoque, a mis à l’honneur l’univers musical vivant et singulier de Jean Lesage. L’occasion de découvrir – ou redécouvrir – un langage poétique ludique à la croisée des époques dans lequel les références au passé, loin de s’opposer à la modernité, nourrissent un imaginaire profondément contemporain.
Outre Saturnales (2015) et la création du Quatuor à cordes n°5 (2020) par le Quatuor Bozzini, le programme du concert proposait un voyage dans le temps jusqu’aux pièces les plus anciennes de son répertoire : Trois méditations sur la vie céleste de Charles G. (2007), Le Livre des mélancolies (1999) et même Les Sensations confuses, une œuvre écrite en 1993 et interprétée par l’Ensemble de la SMCQ sous la direction de Guillaume Bourgogne.
Présenté en ouverture, Saturnales est un quatuor pour clarinette, violon, violoncelle et piano qui se caractérise par une grande liberté rythmique et un enchevêtrement de voix au sein d’une polyphonie foisonnante et dionysiaque. La multitude des registres expressifs s’articulent pourtant de manière organique par le biais de plusieurs fils conducteurs (un trémolo de violoncelle, des motifs trillés…) qui agissent comme de véritables repères auditifs. Peu à peu, la polyphonie semble se déconstruire, laissant place à un sentiment d’abandon souligné par le dénuement des différents timbres instrumentaux à la limite du silence. Cette trajectoire dynamique, de l’abondance à l’errance, a été magnifiquement retranscrite par l’exécution de James Campbell, Pamela Reimer, Clemens Merkel et Isabelle Bozzini.
C’est également par une sensation d’errance que débute le Quatuor à cordes n°5. Remarquablement interprété par le Quatuor Bozzini, il nous a permis d’apprécier à la fois la technicité et la complicité des musiciens. Dans cette œuvre aux couleurs sonores exceptionnelles, une multitude d’objets musicaux, de formules esquissées et de jaillissements fugaces paraissent flotter au-dessus d’un temps recomposé. Ils font écho aux musiques du passé (ornements, mouvements cadentiels…) tout en les parant d’un sens et d’un contexte nouveau.
Les Trois méditations sur la vie céleste de Charles G., pour soprano et ensemble, nous proposent trois visions musicales originales inspirées par le célèbre Ave Maria de Gounod. On y trouve une torsion, presque une relecture déconstruite de ce matériau original et une orchestration particulièrement lumineuse de Jean Lesage. Entendue en concert, cette œuvre nous a donné l’occasion d’apprécier la voix claire et le timbre chaleureux de Magali Simard-Galdès dans une partition qui allie lyrisme et fantaisie, à l’image des nombreux glissandi qui ponctuent et transforment la pureté des lignes mélodiques.
Le livre des mélancolies, pour clarinette et quatuor à cordes, puise dans la musique pour viole de gambe de la Renaissance. À travers une écriture riche en couleurs harmoniques volontairement ambiguës, on y retrouve un travail sur la mémoire, l’hybridation et l’inter-relation entre l’Ancien et le Nouveau. Au fil des trois mouvements, l’œuvre semble passer d’une atmosphère glacée et grave, toute en tensions contenues, à une sérénité retrouvée. La partition met particulièrement en valeur la clarinette de James Campbell qui livre ici une interprétation toute en souplesse et en expressivité.
Pour terminer ce portrait musical de Jean Lesage, l’Ensemble de SMCQ, toujours dirigé par la battue limpide de Guillaume Bourgogne, est revenu sur scène pour interpréter Les sensations confuses. Inspirée de la musique baroque, cette œuvre juxtapose en de brusques collisions des matériaux issus de différentes époques comme des bribes de souvenirs musicaux disparates s’entrechoquant dans un flux sonore coloré et luxuriant. Pleine de générosité et d’abondance d’idées sonores, elle a clôturé à merveille ce concert sous les applaudissements nourris de la salle Pierre-Mercure.
Toutes les pièces ont été illustrées par les vidéos de Sylvain Marotte. Les lents mouvements de panoramas oniriques et abstraits ont partagé avec la musique de Jean Lesage le même intérêt marqué pour les métamorphoses de lignes, de couleurs et de lumières.
La mémoire équivoque : Portrait de Jean Lesage – 27 mars 2022. Salle Pierre Mercure. Ce concert est accessible gratuitement en webdiffusion différée pendant 6 mois (billets : https://lepointdevente.com/billets/jeanlesage).