Marie-Josée Lord : Suivre sa voix

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Marie-Josée Lord est une soprano en mouvement. Nous l’avons attrapée au téléphone pendant qu’elle était à Toronto pour un atelier intensif de deux semaines avec la Volcano Theatre Company. Lord participe au redémarrage de Treemonisha, l’opéra écrit par Scott Joplin en 1910 et interprété pour la première fois en 1972.

La compagnie remplace le libretto tout en conservant les personnages originaux de Joplin. Meredith Potter, productrice du spectacle, explique que le manuscrit original avec orchestration a été perdu. Une partition pour voix et piano en est maintenant le seul vestige.

La nouvelle orchestration et les arrangements de Jessie Montgomery et Jannina Norpoth sont une fusion de musique romantique classique et spirituelle. Le chant est un mélange de théâtre musical, d’opéra et de gospel. Au total, dix musiciens, huit personnages principaux et un chœur de trois se partagent la scène. Lord était là pour essayer la partie vocale de Monisha, la mère du personnage principal.

Nouveau CD Femmes

En février, les Canadiens célèbrent le Mois de l’histoire des Noirs. Le 8 mars, ils célèbrent également la Journée internationale des femmes. Dans ce contexte, la soprano canadienne d’origine haïtienne se prépare à la sortie de Femmes, un enregistrement réalisé en direct le 23 octobre 2017 à l’historique église Sainte-Rose-de-Lima à Laval avec l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction d’Alain Trudel.

« Je voulais exposer des personnages féminins à différents âges et dans différentes situations. Je voulais aborder quatre thèmes – l’amour, la vie, la mort et le vieillissement – du point de vue d’une femme […] En écoutant les voix et les histoires de diverses héroïnes, on se rend rapidement compte à quel point elles sont plus proches de notre vie réelle que l’on ne pense. Alors on sympathise et on connecte avec elles. »

Lord espère que les maisons d’opéra en prendront connaissance. « Mon objectif est de commencer à chanter de plus en plus à l’international, d’exporter mon talent. Je sais que mes souhaits prendront forme au bon moment. »

Femmes trace un chemin évolutif de La Valse de Musette de La Bohème, qui convenait à Lord au début de sa carrière, à des airs plus lourds tels que Ritorna vincitor ! d’Aïda et Un bel dì, vedremo de Madame Butterfly. Dans ceux-ci, elle montre un grand engagement dramatique et semble être dans son élément.

« Ma voix est devenue plus facile avec les années, dit Lord. J’en ai un meilleur contrôle. J’ai le sentiment que ma voix et moi sommes en constante collaboration. »

« Il faut être mentalement et physiquement prête pour chanter Aïda. C’est un rôle qui demande beaucoup de puissance, mais aussi de la finesse. J’aime prendre mon temps. Je pense que je suis maintenant prête pour le défi. »

Le racisme à l’opéra

Le racisme est-il un problème à l’opéra ?

« Assurément. Le monde de l’opéra est très raciste, répond Lord. Aïda, par exemple, est une princesse éthiopienne, mais aujourd’hui encore, le rôle est trop souvent joué par une blonde. Ils la déguisent simplement en mulâtresse. Cependant, il est rare que les compagnies envisagent de donner Butterfly ou Micaëla à une Noire et de la déguiser en Japonaise ou en Espagnole. »

« Bien sûr, ce n’est pas le cas dans tous les opéras, et aucun metteur en scène sain d’esprit ne vous dira : “Nous n’allons pas vous embaucher parce que vous êtes noire.” Il trouvera une autre façon de le faire, parce qu’il sait que s’il le dit directement, il pourrait faire face à de graves conséquences. Mais le résultat est le même. Vous ne serez pas embauché. »

Lord n’est pas la seule à partager cette idée. « Pendant une production de Porgy and Bess, j’ai eu l’occasion d’en discuter avec de nombreux collègues noirs qui ont de magnifiques voix lyriques. La plupart d’entre eux n’ont aucun problème à se faire embaucher pour le théâtre musical, mais ils ont du mal à monter sur une scène d’opéra. »

Ces commentaires nous amènent à réfléchir sur un problème inhérent aux opéras de compositeurs comme Puccini, qui s’inspirent de cultures exotiques et lointaines. Turandot et Madame Butterfly en sont des exemples.

Au moment où il a composé ces opéras, la recherche de ces cultures était une tâche compliquée. Son travail a probablement été influencé par les préjugés de son temps. Maintenant, d’un point de vue pratique, un metteur en scène devrait-il monter Turandot sans tenir compte des implications raciales et faire en sorte que les chanteurs aient l’air de Chinois en maquillant leurs visages ? Un tel metteur en scène sera-t-il accusé de racisme ?

Toutes ces préoccupations sont valables, et c’est une des raisons pour lesquelles certains producteurs pourraient trouver séduisante l’idée de placer les opéras dans un contexte moderne et culturellement plus large. Là encore, certains traditionalistes de l’opéra diront qu’en modernisant le scénario, on passe à côté de la beauté originelle de l’opéra et on fait fausse route.

Discuter avec une diva

Pour Marie-Josée Lord, le chant est un talent donné par Dieu. Elle souligne également que devenir un grand chanteur demande beaucoup de travail et de dévouement. En plus d’être une chanteuse, Lord est une pianiste et une violoniste chevronnée. Le chant est venu plus tard, dans la vingtaine. Elle sentit tout de suite que c’était le bon choix, faisant toujours confiance à sa foi.

« Je suis une personne très religieuse et je ne le cache pas, dit Lord. Cela fait partie de ma vie. De nos jours, les gens parlent du yoga et de ceci et de cela. Je parle de Dieu. »

C’est à travers le prisme de la volonté divine que Marie-Josée Lord a vu le décès de Jacqueline Martel Cistellini, son professeur au Conservatoire de Québec, l’année dernière. « Elle était la seule enseignante à qui je faisais confiance à 100 %. Quand je suis arrivée à Montréal, c’était très difficile pour moi parce que je devais me séparer de mon professeur qui était à Québec. »

« Je suis un peu de la vieille école. Pour moi, il y a un enseignant et c’est tout. De plus en plus, je vois des étudiants changer de professeur, à la recherche de quelqu’un de renom, ou qui a aidé telle ou telle personne à obtenir un contrat […] Un bon professeur de voix n’est pas celui qui remporte le concours de popularité. Un bon professeur doit vous aller comme un gant, comprendre votre instrument et, plus important encore, être quelqu’un en qui vous avez entièrement confiance, presque comme un deuxième parent. »

Lord a appris une précieuse leçon en ne se comparant pas aux autres chanteurs. « À partir du moment où les gens commencent à nous écouter, ils veulent nous comparer à quelqu’un qu’ils ont déjà entendu. C’est très malsain. Tout le monde est différent. Je ne suis pas Jessye Norman. Je n’ai pas vécu sa vie. Mon point de comparaison est moi-même, tout d’abord. C’est mon corps, c’est ce que j’écoute. »

« Bien sûr, j’écoute aussi les grands chanteurs, mais davantage pour apprécier leur art et essayer d’apprendre d’eux que pour déprécier ce que je peux faire. Maria Callas en son temps avait Renata Tebaldi. Les critiques de musique ont continué de les comparer, mais c’était comme comparer un pamplemousse à une poire. Elles étaient toutes deux différentes, mais aussi de grandes chanteuses. »

Femmes sort en CD le 23 février. Marie-Josée Lord chante un programme basé sur Femmes au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts avec l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction d’Alain Trudel le 27 février à 19 h 30. Présenté dans le cadre de Montréal en lumière.

www.atmaclassique.com
www.montrealenlumiere.com

Traduit par Mélissa Brien

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