Le parcours inspirant de Pene Pati : De YouTube au Metropolitan Opera

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Pene Pati s’est entretenu avec La Scena Musicale pendant son séjour à Bordeaux, en France, avant de donner un concert à l’Opéra national de Bordeaux le lendemain. Il semble tout à fait approprié de rencontrer par vidéoconférence le ténor samoan de 36 ans, largement considéré comme l’une des stars contemporaines du monde de l’opéra. Son parcours musical a commencé par l’étude de chanteurs célèbres sur YouTube; il a depuis atteint lui-même la célébrité internationale – une trajectoire qui laisse entrevoir une nouvelle ère pour le chant classique.

La carrière de Pene Pati a été fulgurante. Ces dernières saisons lui ont permis de faire des débuts très remarqués : les rôles de Nemorino dans L’elisir d’amore à l’Opéra national de Paris; Roméo dans Roméo et Juliette à l’Opéra de San Francisco, à l’Opéra Comique et à l’Opéra national de Bordeaux; Alfredo dans La traviata au Staatsoper de Berlin, à l’Opéra national des Pays-Bas et au Théâtre du Bolchoï; des Grieux dans Manon au Gran Teatre del Liceu; Edgardo dans Lucia di Lammermoor au Teatro San Carlo de Naples; Percy dans Anna Bolena au Wiener Staatsoper et Duca dans Rigoletto, pour ne nommer que ceux-là.

Leçons sur YouTube

Pene Pati (Photo par Simon Fowler et Parlophone Records)

En début de carrière, Pene Pati n’avait pas les moyens de suivre des cours de chant. Grâce à YouTube, le jeune chanteur avait accès à des milliers de vidéos de représentations et de cours de maître de Pavarotti. « Comme je n’étais pas très à l’aise, je me rendais dans un parc à proximité et je m’asseyais dans la voiture pour le regarder et l’écouter et j’essayais de l’imiter », dit-il.

Il a passé des heures à observer attentivement les vidéos, à la recherche d’indices gestuels susceptibles de révéler comment le maître parvenait à obtenir sa sonorité. L’idée n’était pas seulement d’imiter, mais aussi de comprendre la technique de Pavarotti. Pene Pati a réussi à percevoir dans sa voix un point de bascule autour de la zone de passagio et il a pu clairement entendre le changement de couleur vocale et la modification des voyelles qui se produisaient dans cette gamme vocale.

Il estime avoir été chanceux que Pavarotti lui serve de modèle : il aurait pu se tourner vers un type de voix basse et essayer de produire un son moins en phase avec son instrument. Il souligne que sa tactique n’était pas sans risque et met en garde les apprentis chanteurs contre la tentation d’apprendre par le biais d’enregistrements et de vidéos. Il reconnaît l’abondance d’informations erronées diffusées en ligne. Selon lui, on peut facilement s’engager dans une mauvaise voie si l’on ne s’y connaît pas suffisamment en matière de chant.

Pene Pati et Anna Bolena (Photo par Wiener Staatsoper, Michael Poehn)

« Dans la culture des médias sociaux actuelle, chacun s’improvise expert et donne des conseils : “Ne chantez pas comme ceci parce que Franco Corelli a fait le contraire. Ne chantez pas comme cela parce que Nicolai Gedda l’a déjà fait.” L’important est de suivre son intuition et d’être à l’écoute de ses sens. Connaissez-vous vous-même ! »

Indépendamment de son statut social, Pene Pati est convaincu que son désir constant d’apprendre et de s’améliorer lui a permis de perfectionner sa technique et son art et l’a mené où il se trouve aujourd’hui. « Au lieu de me concentrer sur mes difficultés, j’ai été motivé par le fait que je n’avais rien, dit-il. J’ai vu d’autres jeunes collègues entrer à Juilliard et je me suis dit que ce serait bien d’étudier le chant là-bas, mais je n’avais pas les moyens de le faire, alors je me suis demandé comment obtenir de bons résultats avec ce que j’avais sous la main. »

Une bénédiction et une malédiction

Pene Pati (Photo par Maitetxu Etcheverria)

« Vous chantez comme Pavarotti ! » Voilà une phrase que le ténor samoan est habitué d’entendre. Son timbre italien et ses succès en début de carrière dans Rigoletto et d’autres rôles de bel canto lui ont valu, à juste titre, cette comparaison. Cependant, les similitudes ne se limitent pas qu’à la voix : sa personnalité plus grande que nature et son sourire charismatique inspirent aussi des comparaisons avec Luciano.

Cette comparaison a été à la fois une bénédiction et une malédiction. Pene Pati se sent honoré d’être comparé à la légende de l’opéra, mais note que cela s’accompagne d’une grande pression. « J’en étais très conscient à mes débuts, j’en perdais même le sommeil à force de vouloir être à la hauteur. Récemment, j’ai accepté d’être moi-même; tout ce que je peux faire, c’est polir mon talent jour après jour et faire de mon mieux. Qui sait ? Peut-être qu’un jour, un ténor du futur se fera dire : Vous chantez comme Pene Pati ! »

Baptême de feu

Après avoir remporté plusieurs concours internationaux d’opéra, Pene Pati atteint un point tournant dans sa carrière lorsqu’il interprète le rôle du duc de Mantoue dans Rigoletto en 2017, au cours de sa dernière année d’études à l’Adler Program de l’Opéra de San Francisco, un programme de formation pour les artistes d’opéra émergents. Les chanteurs en tout début de carrière ont rarement l’occasion d’interpréter un primo uomo, particulièrement un rôle d’une telle difficulté, mais ses professeurs au SFO avaient confiance en ses capacités.

« Chanter le duc, pour qui que ce soit, est terriblement difficile, dit Pati. La ligne vocale reste haute, vous avez à peine le temps de respirer et il ne sort que très peu de scène. J’étais encore un jeune artiste, alors quand on m’a demandé de chanter le duc, je n’y ai pas cru. J’ai présumé que l’on voulait que je sois la doublure. J’étais incrédule, je crois leur avoir fait répéter cinq fois ! »

Aujourd’hui, le duc de Mantoue fait partie du répertoire de Pene Pati. En fait, il fera même ses débuts au Metropolitan Opera dans ce rôle en janvier 2025.

Pene Pati (Photo par Simon Fowler et Parlophone Records)

Pene Pati a fait ses débuts canadiens à l’opéra avec la Canadian Opera Company (COC) en 2023, en chantant le rôle de Rodolfo dans La Bohème. Il interprétait ce rôle pour la deuxième fois. « Je ne l’avais chanté qu’une seule fois, en France au Théâtre des Champs-Élysées, dit-il. J’ai été très impressionné par le chef Jordan de Souza. J’avais appris le rôle vers 2011, mais j’attendais le bon moment pour le chanter, le moment qui convenait le mieux à ma voix. Il est important de sentir sa technique solide avant d’accepter un rôle, quel qu’il soit. Certains chanteurs fondent leurs décisions sur leur intuition et sur ce que leur cœur souhaite chanter. C’est très bien d’une certaine manière, mais je choisis d’aborder ces choix d’un point de vue commercial et de longévité. »

Il savait qu’après la première du rôle, il recevrait de nombreuses demandes. « La question était de savoir si je pouvais chanter Rodolfo à cent reprises en conservant une bonne qualité et une bonne santé vocale. L’un des problèmes des rôles lyriques comme Rodolfo est que le chanteur peut se montrer trop passionné et finir par pousser sa voix. Il ne faut jamais confondre passion et pression sur la voix, mais c’est évidemment plus facile à dire qu’à faire. »

D’autres exemples de rôles lyriques romantiques, mais dramatiques, sont cités par Pene Pati : Don José et des Grieux, par exemple. Le Don José de Carmen passe d’un son bel canto lyrique à un son beaucoup plus dramatique à la fin de l’opéra. « Je plains les jeunes ténors mal informés qui commencent à chanter En fermant les yeux, oubliant que plus tard dans l’opéra suivra Ah, fuyez ! – l’une des mélodies françaises les plus difficiles et les plus dramatiques ! »

Un récital riche de sens

« J’ai donné tellement de concerts où le public ne voulait entendre que les favoris : les chansons de Tosti, les arias comme Nessun Dorma, etc. En tant que boursier Adler, j’ai assisté à l’un des derniers récitals du baryton Dmitri Khvorostovski. Il n’a chanté que des chansons russes, pratiquement inconnues. On se demandait tous pourquoi il ne chantait pas les grands succès (comme Credo in un dio d’Othello)… Rétrospectivement, j’ai compris et j’ai pu apprécier pleinement ce récital. Son programme était si bien pensé. »

Pene Pati (Photo par Simon Fowler et Parlophone Records)

Ce choix de répertoire du chanteur russe lui a inspiré la réflexion suivante : « C’est comme s’il savait que la fin était proche et qu’il voulait rendre hommage à ses racines ». La gratitude ressentie par Pene Pati à ce concert spécial l’a incité à inclure davantage de ses propres racines et de sa culture dans ses concerts.

« J’ai conçu un récital dont la signification me touche en tant que personne, et pas seulement en tant que chanteur d’opéra, dit-il. Je veux inciter les gens à découvrir ma culture. Je chanterai des chansons samoanes en m’accompagnant à la guitare et des chansons folkloriques néo-zélandaises avec ma femme, Amina. C’est très émouvant pour moi d’interpréter ces chansons à l’étranger. » Un sentiment de nostalgie semble envahir Pati lorsqu’il réfléchit, depuis Bordeaux, à son pays d’origine, son peuple et sa famille. Chanter les chansons folkloriques néo-zélandaises lui permet d’emporter son pays avec lui dans ses voyages, de jouer le rôle de ménestrel culturel et lyrique.

« J’aime à penser que je suis un bon exemple pour les chanteurs samoans en devenir, dit-il. Lorsque j’ai commencé, personne ne s’intéressait à l’opéra. Aujourd’hui, le réservoir de talents est si grand que je ne pense pas que j’aurais la moindre chance. Depuis, ils ont même construit une maison d’opéra ! »

Traduction par Mélissa Brien

Pene Pati chantera en récital aux côtés de son épouse, la soprano Amina Edris, et du pianiste Robert Mollicone le 18 avril au Palais Montcalm, à Québec.
www.clubmusicaldequebec.com

Playlist

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