Photo: Levy-Stab
En tournée canadienne cet été, le joueur de cornet français Médéric Collignon compte parmi les personnalités les plus fortes de la génération de jazzmen français de l’heure. Musicien au verbe facile et aux propos francs, sinon provocateurs, Collignon a d’abord fait ses classes dans l’ONJ, le MégaOctet d’Andy Emler et un passage chez Louis Sclavis. Depuis 2005, il se consacre à ses propres projets à la tête de sa propre formation Jus de Bocse et, ponctuellement, Septiques, une formation plus élargie. En mars dernier, et à quelques jours de son départ pour une longue tournée africaine, il s’est généreusement prêté au jeu de l’entrevue, nous y révélant ses inspirations, sa vision musicale, ses préoccupations sociales et, comme point d’entrée, sa relation avec son petit biniou, mais aussi avec sa voix.
Voir condensé de cet article dans La Scena Musicale, Vol. 17, no. 9.
Disponible en édition flah sur le site Web du magazine (v. p. 44)
A condensed English version of this interview is included in the June 2012 issue of La Scena Musicale (Vol. 17 no 9). Available in flash format on the magazine’s English web page. (See p. 16.)
Marc Chénard : On te désigne habituellement comme étant un trompettiste, mais en fait tu joue l’instrument que Don Cherry jouait, la trompette de poche.
Médéric Collignon : Il s’agit vraiment d’un cornet de poche. Mais je me remets à jouer du cornet ces derniers temps, un vieil instrument de marque Getzen qui date de 1951.
MC : Don Cherry en a joué aussi dans le milieu des années 1960; d’après les photos de l’époque, il en avait un qui semblait très vieux.
MéC : C’est ça… et je fais exactement pareil. (Rires.)
MC : Cela m’intrigue toujours de savoir pourquoi certains jouent du cornet plutôt que de la trompette. Pour l’auditeur, on ne perçoit pas la différence, mais de la part du musicien, c’est peut-être différent. Se peut-t-il qu’on l’entende mieux parce que le corps est plus court donc plus près du musicien ? Pourquoi le préfères-tu à la trompette ?
MéC : Sa forme est plus conique et le son est plus grave, donc plus proche de la voix humaine, un peu comme le trombone. Comme je chante beaucoup, je cherchais le chemin le plus court entre les deux instruments. Le cornet me semblait plus logique comme choix, alors que le son de la trompette est plus éloigné, du moins ça sonne comme cela dans mon oreille. Avec le cornet, je voulais trouver un chemin un peu plus facile dans mes changements de comportement, entre l’instrument et la voix.
MC : Pour revenir à ton cornet de poche, j’ai évoqué Don Cherry. Alors la question s’impose : a-t-il eu une influence sur ta propre démarche ?
Méc : Mais tout à fait. Et pas juste d’un point de vue musical, ou instrumental si l’on veut : je dirais qu’il m’a aussi touché spirituellement. Puis il y a sa façon d’aborder les sons et les rythmes. De plus, il a tellement navigué entre les musiques (indiennes, africaines, le free jazz, la pop music et le funk). Il a touché à tous les milieux J’essaie pour ma part de poursuivre un chemin à tout le moins égal par mon propre jeu ainsi que mes propres qualités de chef d’orchestre.
MC : Tu as mentionné ton côté chanteur. Chose intéressante, dans l’histoire du jazz, on note que beaucoup de trompettistes ont aussi été chanteurs. Cela me laisse croire qu’il y a une connexion particulière entre les deux, peut-être plus naturelle qu’avec les autres instruments.
MéC : Tu as raison. Qu’on pense à Chet Baker ou encore Dizzy.
MC : Te vois-tu un peu dans cette lignée-là ?
MéC : Le fait de chanter et de jouer instrumentalement m’a apparu comme une évidence. Il y avait une logique de chanter et de jouer qui provient d’ailleurs de mon enfance. Très tôt, j’ai chanté dans des chorales et même comme soliste sur scène. À dix ans, j’étais déjà impressionné d’être là, sur scène, avec une diva et un chef d’orchestre. Je me demandais : « Mais qu’est-ce que je fais là ? » Je me marrais à chanter un texte, c’était un peu rigolo. Le chant est donc resté en moi, je me suis mis à le travailler en écoutant plus tard de solistes comme Chet et d’autres encore. (En fait, il y avait même quelque chose de vocal chez Miles.) Je repiquais donc leurs solos pour les recopier et me les accaparer à la fois. Depuis, j’ai pu acquérir mon propre vocabulaire. J’aime bien le côte instrumental de la voix, les libertés que l’on peut prendre avec les cordes vocales.
MC : Parlons maintenant de ton groupe au nom particulier « Jus de Bocse ». Il doit y avoir une histoire particulière derrière cela.
MéC : À la source, je voulais former un groupe de répertoire, faisant des reprises d’œuvres antérieures. J’ai donc repris la version de Miles et Gil Evans de Porgy and Bess, puis maintenant le Miles électrique première période, jusqu’en 1975. J’ai même repris de ses trucs des années 1980, par exemple, You’re Under Arrest. Aujourd’hui, je reprends avec les cordes du King Crimson. L’idée c’est donc un groupe de reprises. Quant à Jus de Bose, c’est un peu l’outil pour faire cela. Tu sais, à l’époque des vinyles, il y avait la machine avec les petites lumières et tout, et tu appuyais sur les boutons et hop ! Le disque se mettait à tourner. J’adore le look des jus de box et je voulais faire un jeu de mots avec cela : jus de box… jus de fruit… jus de bruit ! (Rires.) C’est en fait la déformation de « box » (boîte) et de « boxon », qui veut dire « fouillis » « désordre », « bruit », donc un « jus de bruit ».
MC : Comme tu qualifies « Jus de Bocse » comme ton groupe de reprises, parle-moi de ton autre formation : « Septiques ». Est-ce ton groupe de création ?
MéC : Celui-ci est plutôt mon groupe d’arrangement. Il me permet d’assouplir mes relations entre moi et mes potes musiciens. Il me permet aussi de travailler plusieurs types de sons différents, plusieurs comportements différents. Je peux rentrer et sortir de scène, c’est très lâche quoi. Il n’y a pas de programme pré-établi; on y travaille les libertés, quoi. On travaille donc ce jazz qui n’en n’est pas un de programme. Je reste toujours à l’affût de l’accident qui va arriver pour pouvoir l’intégrer dans la musique.
MC : Alors on pourrait dire que le groupe Septique en est un de musique improvisée.
MéC : Il s’agit plutôt d’un travail basé sur une attitude plus funk et punk autour de la musique d’Ennio Morricone. C’est donc un groupe qui travaille autour de la musique de film. Nous avons joué cela peu de fois à vrai dire parce cela coûte apparemment cher. Ou peut-être le programme ne plaît pas. Je n’en sais rien. Mais enfin. Un jour, je me promets d’enregistrer ce programme Morricone, même de composer autre chose pour ce septette pour personnaliser mon travail davantage.
MC : Ce projet Morricone, tu l’as présenté quand même assez récemment.
MéC : Je l’ai présenté à Marciac, il y a déjà deux ou trois ans de cela, puis à Grenoble sur une grande scène.
MC : C’est un projet que tu ne présentes qu’occasionnellement.
MéC : Oui, mais c’est dommage. Je vais quand même essayer de remettre un peu les bouchées doubles et de l’énergie pour le défendre. C’est aussi une vieille histoire de copains : ce sont tous de gens que je connais depuis quinze ans déjà, des garçons que j’ai rencontrés à mon arrivée à Paris. Je les ai trouvés tous incroyablement personnels et originaux. Aujourd’hui, Louis Sclavis joue avec Maxime Delpierre, par exemple, je le connais depuis 15 ans. Quant à Maxime et à Jean-Philippe Morel, cela fait déjà 20 ans. Je les connais depuis la moitié de ma vie, quoi. C’est une vraie histoire de fidélité. Avec eux, cela me permet de vraiment travailler le son de l’intérieur.
MC : Tu as donné une longue entrevue en deux parties sur le site Web Criss Cross Jazz (« À cors et à cris » http://www.crisscross-jazz.com/2010/03/16/criss-cross-rencontre-mederic-collignon/. Tu y vas de plusieurs déclarations chocs, si j’ose dire. J’aimerais t’interroger sur quelques-uns de tes propos. Tu dis à un endroit : « Je ne fais pas la musique pour les sons, donc je la fais pour les symboles. » Cherches-tu à trouver des significations ou des sens précis dans la musique ?
MéC : C’est cela. Je cherche à établir toutes sortes de relations entre les choses. J’aime bien mettre en scène les timbres, les sons, de les mélanger, et pas juste de jouer un son tout seul, comme il est. J’essaie de savoir pourquoi je joue cette note, cette phrase. Je peux interpréter le lendemain une certaine chose, un certain son, une idée, d’une manière différente et de changer le sens de l’histoire. Ça change tout quand tu joues fort, vite, moins vite, ou tu ne joues pas là où tu étais prévu de faire tel thème ou tel arrangement; un changement de comportement peut alors faire changer tout le sens du morceau et de la soirée en tant que telle. J’en suis certain. Tu places un solo d’un tel instrument ou d’un tel mec à tel moment, ça peut chambouler autant la structure du morceau que tout le programme de la soirée. Puisque l’énergie de la personne sera utilisée dans une capacité de soliste au départ, l’individu donnera plus d’effort, plus de lui-même au début de cette étape du concert et tu ne gèreras pas la chose de la même manière que si tu lui avais demandé de jouer ce solo à la deuxième partie du concert. C’est vraiment dans la réalisation. J’aime vraiment penser tout le concert de cette manière-là en le survolant afin de pouvoir être comme un metteur en scène. C’est cela qui me fait que j’ai l’impression générale que le concert est comme dans une boîte. (On parlait de boîte tout à l’heure.) Je présente donc aux gens un regard, ou une version qui correspond à mes sensations de la journée. Cela me permet d’éviter de me répéter, d’où toute la symbolique des sons et des gens. Moi je joue avec les gens, pas les instruments, et j’essaie de mettre tout cela en relation.
MC : Cela est une connexion réelle avec le jazz. Tous les grands du jazz le disaient. Duke Ellington, par exemple, n’écrivait pour des instruments, mais pour des personnes.
MéC : En effet. C’est beau; c’est une grande phrase très moderne.
MC : Cela conditionne un peu ta façon de concevoir la musique.
MéC : Mais c’est tout à fait en fonction des gens, de leur mental, leur état physique. J’essaie de les solliciter pour qu’ils se dépassent, pour qu’ils aillent plus loin que leurs habitudes et leurs réussites. Je ne
joue pas avec la mémoire des choses : je leur demande d’être là, ici et aujourd’hui, et de jouer la musique au présent.
MC : Et pourtant, quand on regarde tes deux projets de Jus de Bocse, c’est de la musique de Miles Davis, donc ce sont des références au passé. Dans cette même entrevue, mentionnée ci-haut, tu dis: « J’ai continué sur ce même phantasme 68 à 75 de Miles Davis (pour le deuxième disque, évidemment) ». Le mot « fantasme » est important ici pour moi. Je me demande si tu as un quelconque désir de chausser les souliers de Miles, ou de reconquérir son monde en quelque sorte ?
MéC : C’est une histoire de réactualiser la vision que l’on a de ce grand musicien. Pour moi, Miles était un excellent cuisinier d’ingrédients, c’est-à-dire, les musiciens qui jouaient avec lui. Prenez sa façon de mixer les sons de claviers de l’époque, joués par Zawinul, Jarrett ou Corea, ou les guitares, qui arrivent plus tard – et il y en avait jusqu`à trois à un moment. On se demande comment mélangera-t-il tout cela quand ils jouent tous si différemment ? Puis il y avait les souffleurs comme Dave Liebman, et Wayne Shorter avant lui. J’aime toujours aller au-delà du son et je trouve qu’aujourd’hui on accepte trop le son que les gens ont, si bien qu’on ne leur demande pas assez de s’investir au-delà de leurs réussites. Ils ont toujours trouvé quelque chose et c’est bien, mais il faut faire quelque chose cela avec cela, comme voyager plus loin qu’avec les choses que l’on possède. J’ai souvent peur que les gens se reposent sur leurs lauriers et qu’ils arrêtent de chercher. Ça m’enquiquine beaucoup et ça m’ennuie énormément. Je pense que Miles allait loin là-dedans et il demandait vraiment aux gens de s’investir plus loin encore. Il pouvait demander aux claviers de ne pas jouer de la main gauche, juste de la droite. Tu es empêché d’harmoniser, tu es limité à priori, mais Hancock sait faire cela très, très bien. Des mecs comme cela pouvaient s’amuser de cette loi pénible, mais c’est cela, l’idée de transcendance, je trouve cela magnifique l’idée de travailler avec un ou deux sons.
MC : Pour revenir à l’entrevue à laquelle je référais précédemment, tu déclares: « La musique sérieuse, ça n’existe pas ! » Si c’est le cas, la musique est quoi alors ?
MéC : Tu sais, cette réponse fait indirectement référence à la question posée à savoir c’est quoi le jazz, ou encore qu’est-ce que ceci ou cela ? L’être humain cherche toujours à définir ce qu’il joue, ce qu’il manipule, dans quoi il est, pourquoi, comment ? Ce sont toujours des questions existentielles qui seront ainsi ou qui existeront jusqu’à la fin des temps. C’était donc pour cette patte humoristique qui m’anime toujours, soit de détourner les choses et de répondre un jour que la musique n’existe pas, mais on revient à zéro, on la remet sur la table pour la réinventer et la recréer. On essaie d’oublier le mot pour mieux être. J’aime bien dire « être la musique ». Je me laisse être ou je me laisse devenir, comme l’avait dit John Cage. Je préfère ne pas dire que je joue la musique, mais que je suis la musique. Je n’ai plus de nom, plus de religion, d’attitude, de possession, de contrôle sur moi, sur l’autre. Je m’oublie. Je suis en quelque sorte un tuyau, ou un conduit entre deux états d’où le mot « musique », qui m’empêche de vivre cela; alors, je le retire; je ne suis plus musique, mais une corde qui vibre.
MC : C’est intéressant, il n’y a pas de verbe correspondant pour musique, ni en anglais, ni en français, mais en allemand oui. On ne peut donc pas « musiquer ».
MéC : Oui oui, en effet. (Rires).
MC : On la fait. C’est toujours une action.
MéC : C’est une action, soit, mais un état de vie aussi. C’est comme une deuxième respiration pour exister, pour communiquer des sens. C’est peut-être juste de l’air, une vibration, un métalangage, en fait tu vas au-delà de la musique, ou de la boîte dans laquelle tu l’enfermes. Il ne faut pas réduire cela qu’à des choses sur le papier, comme en mathématiques où deux plus deux font x machin. C’est comme cela en philosophie ou d’autres matières dans lesquelles on les met en boîte et c’est dommage. Il ne faut pas séparer les choses, parce que tout est dans tout.
MC : Toujours un peu plus loin dans ladite entrevue, tu fais une autre déclaration forte, soit: « Aujourd’hui les gens se trompent, ils jouent vraiment comme des crêpes, car ils pensent que le jazz c’est la musique la plus libre du monde… mais c’est faux ! » Avec ce point de vue, je me demande donc si tu trouves que le jazz est une musique historiquement close, comme celle de la grande tradition classique européenne, ou encore le jazz est-il encore possible, comme se le demandait Michel-Claude Jalard dans son essai de 1989 ?
MéC : On peut toujours avancer, il y a encore de quoi trouver. C’est toujours la peur du terme qui enferme, ou du langage, et celui-ci est en fait beaucoup plus libre que ce que l’on croit. Il évolue tout le temps, mais c’est toujours la peur du mot qui enferme. Moi je m’amuse beaucoup avec les sens et le contresens afin de me muscler le mental mais aussi en essayant de me provoquer des choses. Quand je dis cela, je me pousse à dépasser cela afin de revenir à l’essentiel à savoir : une quinte juste comment elle est libre, mais comment et où vibre-t-elle au juste… dans le piano ? Dans mon corps ? Dans la salle ? Dans la pièce où je suis ? Ce sont tous des facteurs très importants qui ne m’enferment pas dans les mots, mais qui sont des choses à vivre biologiquement. Les harmoniques ne sont pas des théories, mais des choses que l’on vit physiquement à travers les muscles, les os, les nerfs, tout cela. C’est extrêmement difficile de mettre tous ces états en un mot. Mais c’est toujours le problème avec les mots ou les phrases : ce sont des raccourcis. On parle de liberté ou je ne sais quoi, mais le jazz, c’est pas seulement cela.
MC : Ce sont en fin de compte des problèmes d’étiquettes et comment on les comprend. Comme on dit : le jazz des uns n’est pas nécessairement le jazz des autres.
MéC : Absolument. Tu as tout à fait raison. Cela correspond à la vie des uns et des autres, certes, mais c’est un comportement dit-on souvent, et j’aime bien cela, tout comme c’est une façon de vivre, d’être et de penser.
MC : Tout juste après cette déclaration, tu poursuis en disant que : « l’improvisation, c’est autre chose, c’est un style musical à part entière. » Tu parles ici de la musique improvisée européenne, celle se situant dans la continuité de la New Thing ou du free jazz américain ?
MéC : Non. La musique improvisée, ça date de Mathusalem, c’est quelque chose de très ancien.
MC : Pourtant, il y a un paradoxe ici, car la musique improvisée est effectivement la manière la plus ancienne de faire la musique. Mais ici en Occident, c’est un peu comme un nouveau venu ici historiquement.
MéC : Oui, c’est comme un nouveau-né, alors que c’est tout le contraire, car c’est aussi le premier geste qui a été intellectualisé. On s’est rendu compte qu’on improvisait que par rapport à une séparation de deux coups main que l’on frappait sur une surface quelconque. Alors on se dit qu’est ce que l’on peut faire de cela. « Improvisation », c’est le mot qu’on met après le geste, ça n’a pas vraiment de sens comme le mot musique qui, lui, est venu à exister après l’arrivée des premiers chants.
MC : Tu parles pourtant de l’improvisation comme un style musical à part entière, alors que d’autres parlent d’elle comme une pratique et non un style.
MéC : Oui, mais ça institutionnalise d’une certaine manière. Ou encore : on parle d’une case ou, je ne sais pas, de boîte sur laquelle on colle une étiquette. Le jazz est un peu plus moderne, il a un peu plus d’un siècle maintenant et encore est-ce un petit peu plus avant cela ? Il y a un flou là. Mais cela n’a aucun rapport avec l’improvisation. Le jazz est une musique d’écriture, de partition.
MC : Et c’est précisément ce que tu dis dans cette même entrevue.
MéC: Exactement.
MC : Si je me permets, je crois que le jazz est une musique qui est devenue écriture, parce qu’il était à ses tous débuts une musique de tradition orale.
MéC : Au départ, tout à fait.
MC : Mais il s’est cristallisé dans une forme d’écriture enchassée par des compositeurs comme Jelly Roll Morton ou Duke Ellington. Mais il n’en demeure pas moins que c’est une musique d’improvisation à ses débuts, mais il s’est solidifié dans un certain vocabulaire.
MéC : On oublie les histoires d’Armstrong qui sont incroyables. Il avait, je ne sais pas, 16 ou 17 ans, son prof jouait à côté de lui et lui demande qu’est-ce qu’on joue. Le prof fait une phrase, il la répète une ou deux fois, peut-être dix, puis il y arrivait au bout de la onzième à refaire la phrase qui lui était donnée. Ce système nous manque un peu dans les échanges entre jeunes instrumentistes, tout y est consigné sur des partitions écrites.
MC : Pour revenir à cette entrevue que tu as donnée, il y a un passage où tu parles spécifiquement de l’époque durant laquelle cette musique électrique de Miles est survenue, une époque chaude marquée par la contestation et même la rébellion. Je me demande si tu as une certaine nostalgie de cette période durant laquelle tu es né, mais que tu as à peine connue, étant né en 1970. Pourtant, de nos jours, on remarque qu’il y a quand même beaucoup de mouvements sociaux actifs dans nos sociétés. Je me demande donc si tu perçois maintenant un genre de retour à cette époque marquante des années 1970 par ces courants d’activismes actuels.
MéC : J’ai l’impression que oui. Mais elle a besoin d’organisation et de stabilisation pour communiquer dans le même sens et à la même vitesse. Hier justement, Jean-Luc Melanchon organisait un rassemblement à la Bastille et cent vingt mille personnes y étaient. C’est énorme et cela fait longtemps qu’on a pas vu autant de gens dans les rues de Paris pour un discours qui n’a duré que 20 minutes. Le changement est vraiment possible et il suffit d’y croire. Mais il faut s’organiser et le faire jour après jour. Chacun doit faire sa petite part dans son propre microcosme pour arriver à un monde un peu plus conséquent, plus humaniste. Il y a donc moyen de faire quelque chose.
MC : Y-aurait-il espoir pour un nouveau Mai 68 ?…
MéC : (Rires) Je ne suis pas sûr de cela. C’est un peu timoré que de croire cela, puis les gens sont encore un peu désorganisés. Peut-être faudrait-ils qu’ils souffrent encore un peu plus, mais on n’est pas loin, c’est mon impression. Il y a beaucoup de choses horribles dans la rue qui se passent. Je vois des choses dans le métro… Par le passé, il n’y avait un ou deux qui quêtaient, maintenant ils sont cinq ou six. C’est terrible. Ça me fend le cul en mille morceaux. Mais je n’ai aucun pouvoir et je ne suis pas Jésus, alors je peux faire quoi ? Puis j’alimente rien, je n’aide pas vraiment la personne. Je lui donne une pièce pour lui donner un répit, mais le fond n’est pas là. Il y a des gens qui n’ont pas de logement, n’ont rien à bouffer. Mais la seule chose qui te fait réfléchir c’est quand ton alimentation est juste et saine, là ça te fout en l’air quand les gens au pouvoir, qui ont normalement une mission à défendre pour les peuples, ne pensent qu’à eux. Cela me répugne, cet égotisme est une maladie, une peur, quoi.
À surveiller sur ce blogue en juillet : chroniques de festivals à
Montréal, Toronto, Edmonton et ailleurs !
Coming in July on this blog : Festival reports from Montreal, Toronto,
Edmonton and elsewhere.
Share: