Jaap Nico Hamburger: De la médecine à la musique

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La musique vient à moi; j’écris simplement ce que j’entends », déclare Jaap Nico Hamburger. Deux ans seulement après avoir quitté son emploi de cardiologue à temps plein pour consacrer sa vie à la composition, Hamburger, 62 ans, a sorti deux enregistrements et pondu une liste impressionnante de commandes et de premières, dont un opéra au Lincoln Center de New York, initialement prévu pour avril 2020 et désormais reporté à 2021.

La musique a toujours été dans la vie de Hamburger. À l’âge de trois ans, Hamburger a repris le tourne-disque 78 tours offert à l’origine en cadeau d’anniversaire à son frère aîné qui était davantage intéressé par un train électrique. « J’ai joué l’enregistrement datant des années 1920 de la Symphonie no 9 de Beethoven par l’Orchestre philharmonique de Berlin », explique-t-il, lui qui ne s’identifiait pas aux enregistrements d’opéra de Wagner. À quatre ans, quand son professeur de maternelle lui a demandé de chanter une chanson pour se présenter aux autres enfants, il a chanté tout le quatrième mouvement de l’Ode à la joie de mémoire − au grand dam de tous. « Ma mère m’a aussi fait suivre des cours de solfège avec une dame, se souvient-il. Elle était également professeure de piano. »

La deuxième influence musicale de Hamburger a été le premier concert auquel il a assisté au Concertgebouw à l’âge de six ans avec son oncle et sa tante. C’était la Symphonie no 8 de Bruckner. « Cela m’a ouvert grand l’esprit à une langue différente », dit-il. Sa troisième influence majeure a été d’entendre la Symphonie no 5 de Mahler à l’âge de 12 ans. « Malher comprenait profondément qui il était et comment sa musique était liée à la société viennoise du début du 20e siècle. Il avait une capacité technique impressionnante pour mettre cela en son. »

Après le lycée, Hamburger a postulé au conservatoire pour devenir pianiste de concert et a été accepté en même temps à la faculté de médecine. « Ma mère m’a convaincu d’aller aussi à l’école de médecine. Elle voulait que je fasse les deux pour avoir une sécurité », déclare Hamburger. Il a reçu son diplôme du conservatoire en 1984, puis son diplôme de médecine en 1986.

À cette époque, Hamburger était en route pour une carrière prometteuse de pianiste de concert, à tel point qu’en 1985, lorsque le Concertgebouw a remplacé son piano Hamburg Steinway de 1957, c’est à Hamburger qu’il a été offert pour une modique somme. C’est le même Steinway qu’Arthur Rubinstein a convoité pendant des années. « De 1957 à 1976, chaque fois que Rubinstein est venu se produire, il a proposé de l’acheter, il adorait son interminable tonalité chantante. »

Hamburger a exercé les deux professions jusqu’en 1993, date à laquelle il a dû prendre une décision. « J’étais engagé pour une tournée de récitals aux États-Unis, en Europe et au Moyen-Orient et, au même moment, vu que je suis cardiologue, on m’a proposé une fonction de directeur à l’Université Erasmus. J’ai choisi d’accepter le poste, j’ai annulé la tournée et je ne suis plus retourné sur scène depuis. »

Hamburger a été formé en chirurgie cardiaque peu invasive et a pratiqué pendant 25 ans. « Quand je ne faisais que de la musique ou de la médecine, je n’étais pas comblé, dit-il. C’est la combinaison des deux qui m’a donné une direction et un but. Nous ne vivons pas isolés, nous vivons en société. Nous avons des responsabilités envers les autres, et écrire de la musique et aider les gens sont des éléments différents de la même histoire. Il s’agit de communiquer avec les autres, avec des concepts, en essayant d’apporter une contribution positive à la société. »

La composition

Hamburger s’est recentré sur la composition et a constaté qu’il aimait cela plus que jouer du piano. « J’avais expérimenté avec la composition, dit-il. Pendant plusieurs années, j’ai été membre d’un groupe rock, j’écrivais des chansons. »

Hamburger a écrit sa première composition sérieuse en 1995, une « commande » d’un ami. « J’ai reçu l’invitation d’un peintre à composer une œuvre à grande échelle pour grand orchestre qui serait jouée à son exposition dans un grand musée. Cet opus 1 est désormais perdu, mais cela a conduit à quelques commandes pour la télévision néerlandaise, les universités et la chaîne Discovery pour un film. Je faisais de la chirurgie cardiaque durant la journée, puis je dînais avec mes enfants et je les aidais à faire leurs devoirs. Et quand c’était plus calme, je composais. Et en 2000, quand j’ai déménagé au Canada, c’est devenu plus sérieux, c’était l’art pour l’art. » 

Le Canada

Pendant ce temps, la carrière médicale de Hamburger décollait. Cela lui a permis de voyager en dehors des Pays-Bas. Il a reçu cinq offres d’emploi d’Europe et d’Amérique du Nord. Hamburger a choisi l’Université de la Colombie-Britannique et les deux
principaux hôpitaux de Vancouver pour participer au programme de cardiologie interventionnelle.

« Les Canadiens ont libéré les Pays-Bas et ont libéré mes parents, explique Hamburger. Je me suis dit que la bonne chose à faire était de venir au Canada pour redonner à la société canadienne. »

Pendant ses années à Vancouver, Hamburger a siégé au conseil d’administration d’organisations musicales locales. Ce sont cependant ses liens avec sa mère qui l’ont propulsé.

« Après le décès de mon père alors que ma mère approchait les 90 ans, je l’ai exhortée à écrire une biographie, se souvient-il. Mes deux parents faisaient partie des rares survivants de l’Holocauste néerlandais. Environ 80 % n’ont pas survécu. Ils se sont rencontrés dans les années 1940 dans les camps de concentration alors qu’ils étaient adolescents. Elle a essentiellement écrit une histoire de la communauté juive de l’époque à Amsterdam. »

Hamburger a rejoint sa mère lorsqu’elle a été invitée par le Centre commémoratif de l’Holocauste Yad Vashem à Jérusalem pour présenter son livre en 2010. « L’un des souvenirs les plus impressionnants est le pavillon des enfants dans le Musée de l’Holocauste, un pavillon séparé visant à décrire l’image des meurtres à travers l’architecture. Il est écrasant dans sa pureté et sa simplicité. Je l’ai traversé complètement bouleversé, puis je suis ressorti dans la lumière du jour, c’est là que j’ai eu le concept de ma Deuxième symphonie de chambre. Le contour de la symphonie a été dessiné dans ce moment d’inspiration profonde. Je l’ai esquissée juste après. »

La mère de Hamburger est décédée il y a quatre ans à l’âge de 95 ans, mais pas avant de le faire changer de cap de nouveau. « Elle s’est assise avec moi pour dîner et m’a dit : “Ça suffit. Tu poursuis ta carrière médicale depuis des décennies, pourquoi ne retournes-tu pas à la musique ?” »

Il a fallu quelques années à Hamburger pour mettre fin à sa pratique jusqu’à ce qu’en 2018, il quitte la profession médicale pour se consacrer à la musique à temps plein. « Je me suis dit : si je ne le fais pas maintenant, alors quand ? C’était une aventure, car personne ne me connaissait et il a fallu que je fasse du réseautage. En quelques mois, les gens ont commencé à écouter et à dire oui, faisons quelque chose. »

Hamburger rencontre ensuite Barbara Scales, qui devient sa gérante, et Jeremy VanSlyke chez Leaf Music, qui accepte plusieurs albums : le Concerto pour piano, un enregistrement des deux symphonies de chambre et un troisième album de musique de chambre. Dans la deuxième année, il reçoit déjà de nouvelles commandes.

Jusqu’à présent, Hamburger a un catalogue d’environ 56 mouvements. « Les commandes sont pour la plupart de musiciens ayant écouté mes œuvres et qui viennent frapper à ma porte », déclare Hamburger. Il y a six mois, la harpiste néerlandaise Lavinia Meijer a commandé un concerto pour les Nations Unies et le gouvernement néerlandais afin de marquer le 75e anniversaire de la Cour internationale de Justice à La Haye.

son Style

Hamburger est un compositeur autodidacte et affirme n’avoir aucun style défini. En écoutant son Concerto pour piano et les symphonies de chambre, il est difficile de ne pas trouver que sa musique est programmatique. « Les deux premières symphonies de chambre sont délibérément programmatiques, admet-il. Je pense que lorsque j’écris de la musique, je pense à la narration. La première traitait du décès de Ligeti. J’ai lu sa biographie et j’ai essayé d’exposer mes impressions dans la musique. »

« Pour la seconde, j’ai lu cinq journaux d’adolescents assassinés. L’histoire d’Anne Frank parle d’une jeune fille qui se cachait et qui n’a pas été témoin des atrocités. Elle écrit sur sa vision de ce que le monde devrait être. Très beau et inspiré. Les quatre autres récits sont ceux de témoins des atrocités. C’est horrible, très difficile à lire, surtout pour des étudiants. J’avais lu ces histoires quelques années avant de rejoindre ma mère. Le Concerto pour piano est plutôt une inspiration intime, le programme auquel il est intégré n’a donc pas d’importance. »

Hamburger admet que son processus créatif est peu orthodoxe. « L’autre aspect de ma composition… je ne sais pas s’il concerne le style. Je ne pense pas du tout que je compose. Quand quelque chose vient, je ne fais rien d’autre que le recevoir déjà complet. »

Un exemple typique est le troisième mouvement de son Concerto pour piano. « J’ai reçu quelque chose, je me suis isolé du son. C’est une grande partition pour 75 musiciens, mais j’ai commencé par écrire la partie piccolo, puis les flûtes, hautbois, clarinettes, cuivres, percussions, cordes et ensuite la partie piano. Si on peut connaître la partie piccolo avant la partie piano… C’est dire que je ne fais que recevoir. Je savais par où commencer et combien de mesures laisser vides. La musique que je partage, enregistre ou publie, je la reçois déjà terminée. Après, je ne suis pas sûr de savoir ce que j’ai fait. »

Hamburger raconte qu’il n’a pris conscience de ce don qu’au fil du temps et que c’est quand il a terminé le Concerto pour piano qu’il l’a finalement compris. « Au cours de la dernière année, pour le Concerto pour alto et orchestre (créé au Canada par Marina Thibault), une œuvre de 24 minutes en quatre mouvements, j’ai écrit la partition entière en 45 minutes. Et je n’y retournerai jamais. Je ne fais pas de croquis. Je commence par le concept de l’orchestration, je connais la taille de l’ensemble et qui joue et j’écris de toutes pièces sur une partition complète. C’est étrange, mais c’est réel. Et je me sens très reconnaissant. Tout cela est un don. J’ai un peu peur, car je ne suis jamais sûr que cela se reproduira. »

Hamburger a néanmoins des idées sensées sur la composition musicale. « Je n’ai absolument aucun intérêt à utiliser la musique pour innover au nom de l’innovation, dit-il. Tout est question de communication. Si je ne recherche pas du plaisir à écrire dans un style auquel les gens peuvent s’identifier, c’est que j’ai perdu la capacité de communiquer. Je ne suis pas préoccupé de savoir si ma musique est tonale ou non. Cela vient de l’inspiration plutôt que d’une délibération. La vraie réponse est qu’il y a de la bonne et de la moins bonne musique, et ce, indépendamment de l’époque et du style. J’adore Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Bruckner, Mahler, Chostakovitch, Bartók. Les géants ont écrit de la bonne musique, mais aussi Prince, Led Zeppelin et Stevie Wonder. J’ai voyagé partout et on voit différentes langues et cultures. Il y a de la bonne musique partout. Il n’y a pas un seul compositeur que je prends comme modèle. »

Goldwasser

Le prochain opéra de Hamburger, Goldwasser, est basé sur De Familie Goldwasser (La famille Goldwasser) d’Ariëlla Kornmehl. Il s’agit d’un roman néerlandais sur une jeune fille juive qui tombe amoureuse d’un non-Juif et qui est expulsée de sa famille. « Quand je l’ai lu au début des années 2000, j’ai trouvé que c’était une histoire pour un opéra, dit Hamburger. J’ai commencé à composer des scènes à partir de ce que j’avais lu, une scène à la fois. »

Une fois achevée en 2017, Hamburger a envoyé la bande originale MIDI à une compagnie d’opéra contemporain de New York. Par la suite, Barry Tucker de la Fondation Richard Tucker en a entendu parler et a invité Hamburger à le rencontrer. Même si Tucker ne s’est intéressé qu’à Mozart, Verdi et Puccini, après avoir écouté l’enregistrement MIDI, il a contacté Hamburger pour que l’opéra soit joué au Alice Tully Hall de New York en tant que présentation de la Fondation Richard Tucker.

« J’ai terminé la majorité de la partition uniquement en musique orchestrale avant d’avoir un livret, explique Hamburger. Grâce à son génie, Joel Ivany est capable d’adapter le livret de ma musique. Il y a des scènes où il écrit le livret original sans musique alors que j’écris la nouvelle musique pour ces scènes. L’original était de 18 titres et la version finale durera dix minutes de plus, pour un total de 90 minutes. Joel Ivany sera également le metteur en scène. »

C’est en 2017 lors d’une réception à New York pour Goldwasser que Hamburger a rencontré son épouse, Kathy, une Montréalaise. Pendant deux ans, il a voyagé entre Vancouver et Montréal pour finalement s’installer à Côte-Saint-Luc en juin 2020. « Nous avons vendu nos deux maisons et trouvé une maison dans laquelle nous pourrions faire passer le Steinway de neuf pieds par la porte d’entrée », dit-il.

Lorsqu’on lui demande s’il regrette de ne pas avoir fait de la musique à temps plein dès le début, Hamburger se montre assez pragmatique. « Si je n’avais pas fait de médecine, je ne serais pas au Canada, je n’aurais pas rencontré ma femme, je ne serais pas à Montréal, je n’aurais pas travaillé avec l’Orchestre Métropolitain. Qui sait ? Je pourrais ne pas avoir écrit une seule note du tout, je ne serais peut-être même plus en vie. Ma carrière médicale m’a permis de voir tout cela et m’a changé en tant qu’être humain, et tous ces points de vue sont communiqués dans ma musique. »

Après avoir composé un opéra, des symphonies et des concertos, qu’y a-t-il sur sa liste de souhaits ? « Si Dieu me permet d’écrire un quatuor à cordes, je serais profondément reconnaissant. »

Traduction par Andréanne Venne

www.jaaphamburger.com

www.leaf-music.ca

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